« Minimiser un certain nombre de risques »

Comme nous l’avons postulé supra (cf. chapitre 1, § 1.3), l’avènement et la résurgence de la SCI dans le paysage patrimonial doivent beaucoup à la diffusion dans la pensée économique et sociale des modèles de la prévoyance, de la prévention et de la précaution. En cela, sa formulation s’appuie sur un raisonnement éthique où prévaut la question des risques et de leur anticipation. Aujourd’hui, tous les praticiens s’emparent de cet objet et l’adaptent à une multitude de situations.

Un extrait d’un entretien avec un conseiller en gestion patrimoniale nous autorise à mettre en valeur cette rhétorique et ce catalyseur comportemental. Il nous aide aussi à cerner les populations qui y sont a priori les plus sensibles. L’exemple qu’il mobilise dans sa pratique montre que si ses clients sont relativement fortunés, la vie « dissolue » qu’ils ont quelquefois menée doit les pousser à rester sur leurs gardes. En effet, la présence d’enfants adultérins ou de plusieurs lits peut s’avérer, à moyen et long terme, une source de conflits au sein de la demi ou quasi-fratrie et des familles recomposées pour l’appropriation du patrimoine 255 . Du coup, la stratégie de la fragmentation paraît inévitable et surtout rassurante :

‘« Récemment sur un très gros dossier, on a créé 10 SCI… sur le même individu. Ça correspondait à une stratégie bien particulière. On voulait identifier un certain nombre de sommes, de volumes, des répartitions entre les différents individus. Et puis souvent le problème, vous le savez bien, les gens un peu plus aisés sont d’abord des gens qui ont bien vécu, et puis il y a éventuellement des problèmes liés à leur santé personnelle. Donc il faut minimiser un certain nombre de risques. Je ne vais pas rentrer dans le détail mais ils peuvent par exemple avoir des enfants de plusieurs mariages. Donc il y a toute une gestion de la séparation entre ces différents enfants de différents mariages. Et bon des fois, c’est compliqué »
[Conseiller en gestion patrimoniale, PRAT 30]’

Le mot-clé est lâché : la séparation. Si le scénario ficelé par le conseiller illustre un cas-limite – dont les formes et les conséquences seront abordées dans la troisième partie –, il révèle aussi un point très important, qui est intrinsèquement lié à l’idée de besoin et de sélection. Confrontée à des événements individuels ou familiaux incertains, à des contraintes calendaires, la gestion du patrimoine sous-tend une organisation socio-juridique sui generis. Dans ce genre de situation, le recours sociétaire renvoie bien à un besoin et une nécessité : celui et celle de procurer une meilleure lisibilité aux relations patrimoniales que nouent des individus partageant des liens forts et/ou utilitaires. L’exigence d’un cadre normatif adéquat vaut alors quelle que soit la configuration interpersonnelle (couple, parents/enfants, fratrie, amis, partenaires d’affaires), ne serait-ce que pour bien identifier les apports financiers respectifs et les rôles impartis à chaque associé.

Notes
255.

Cf. Frédéric LUCET, « Familles éclatées, familles reconstituées : les aspects patrimoniaux », Répertoire du notariat Defrénois, 111ème année, 1991, p. 513-536. Pour ce juriste, il est souhaitable que les séquelles de l’éclatement et les richesses soient séparées.