De petites structures à vocation familiale. Ou quand la raison juridique pèse sur les configurations interpersonnelles

L’exploration des comportements objectifs des porteurs-gérants et de leurs SCI nous procure l’occasion de tester sur un plan empirique les effets morphologiques du concept socio-juridique d’intuitu personae. Rappelons en substance qu’il sert à justifier l’efficacité des structures sociétaires comprenant un nombre limité d’associés, liés entre eux, au-delà d’une communauté d’intérêts contextualisée, par de présumées relations de confiance. Si le fond de cette question éminemment sociologique sera traité dans la troisième partie, nous pouvons d’ores et déjà mettre en évidence les conséquences matérielles induites par l’application de ce concept – un formatage ? –, et sa mobilisation sous-jacente par des praticiens respectueux pour la plupart de l’esprit méta-normatif.

Tableau 36 – Nombre d’associés dans les SCI des enquêtés
NOMBRE D’ASSOCIES N %
2 43 39,5
3 24 22,0
Entre 4 et 6 22 20,2
Entre 7 et 9 6 5,5
Entre 10 et 14 9 8,3
Plus de 15 5 4,5
TOTAL 109 100

Source : Entretiens et archives RCS

En effet, près de 82% des SCI des enquêtés regroupent entre 2 et 6 associés [cf. Tableau 36]. Si l’on va plus avant, nous relevons que les SCI de 2 associés contribuent explicitement à l’émergence de cette proportion sans équivoque (43/109). A l’opposé, les SCI qui comportent entre 7 et plus de 15 associés sont, avec 18,1%, reléguées à l’arrière-plan. A première vue donc – i.e. dans un registre synchronique occultant d’hypothétiques entrées/sorties au cours d’une vie sociétaire –, les SCI « peuplées » et « très peuplées » paraissent inhabituelles car tributaires de projets pour le moins singuliers. Deux exemples pris dans le corpus viendront faire la lumière sur cette corrélation, celui, déjà entrevu, de Frédéric et celui de Hervé [PDP 4, 41 ans, responsable associatif] :

Figure 5 – Le montage sociétaire organisé par la fédération associative d'Hervé

A leur manière, ces deux exemples reflètent la force des configurations partenariales assises sur une communauté de pensée et d’action. L’adjectif « partenarial » admet différentes acceptions : des amis, des membres familiaux ou des associés professionnels sont partenaires d’un projet patrimonial et d’un montage financier. Dans le cadre de notre étude, nous n’allouons cet épithète qu’aux groupes d’associés professionnels. Si nous reprenons nos deux exemples, nous concevons que le partenariat est à plus à même de définir la seconde configuration sociétaire. Par contre, pour les SCI de Frédéric, les configurations sont plutôt qualifiables d’« amicales-partenariales » parce que les coassociés, acteurs d’un même réseau amical et d’un même univers professionnel, font passer leurs intérêts financiers et commerciaux avant leurs sentiments. Pour affiner l’analyse, nous agréons un troisième niveau d’observation : les configurations « amicales », qui désignent, a contrario, des situations où l’amitié prime. L’instauration d’un tel classement, en partie fondée sur l’estimation des perceptions subjectives des enquêtés, nous a paru indispensable en comparaison de la clarté des combinaisons caractérisant les configurations familiales : parents/enfants, époux, concubins, frères et sœurs, etc., reposant sur des éléments d’identification objectifs tels que la situation matrimoniale, la filiation, la germanité ou l’avunculat.

Ce faisant, notre corpus se signale par une majorité de SCI familiales (54,1%), au sein desquelles les SCI « nucléaires », conjugales et de concubins prédominent (22% et 19,3%) [cf. Tableau 37]. Sans empiéter sur l’interrogation ultérieure du phénomène (cf. infra, chapitre 10), nous concèderons volontiers qu’il s’explique non seulement par la mise en branle de stratégies patrimoniales verticales et horizontales, mais aussi par la confection de tactiques normatives faisant du conjoint ou des enfants de simples prête-noms enrôlés pour la finalisation contractuelle d’un projet individuel.

Tableau 37 – Les configurations interpersonnelles des SCI des enquêtés (A la création des montages)
CONFIGURATION N SCI %
Amicale 12 11,0
Amicale/partenariale 26 23,9
Partenariale 8 7,3
Familiale et amicale 4 3,7
Familiale :
Parents/enfants
Conjugale (dont concubins)
Fratrie
Oncles ou tantes/neveux ou nièces
59
24
21
9
5
54,1
22,0
19,3
8,2
4,6
TOTAL 109 100

Source : Entretiens et archives RCS

Pour ce qui concerne autres types de configurations rencontrés, nous constatons que les montages mêlant amis et membres familiaux, soit 4 sur 109, enchantent très peu d’enquêtés. C’est comme si dans leur représentation les deux ne faisaient pas forcément bon ménage : « chacun chez soi ». Du coup, ce sont les configurations amicales et amicales-partenariales qui occupent une place significative en touchant 35% des SCI.

Néanmoins, nous insistons une fois encore sur le trompe-l’œil des résultats car les 26 SCI amicales-partenariales du corpus sont la réalisation d’un seul enquêté, déroulant une stratégie patrimoniale presque sans égale par son envergure et sa méthodologie, tandis que les autres types interpersonnels sont mieux répartis. Partant, nous pressentons que dans la réalité les configurations amicales et partenariales doivent atteindre de plus fortes proportions que dans notre corpus – sans que cela n’infléchisse trop la tendance vérifiée à une plus grande « conquête » familiale des SCI.

Notes
277.

Pour plus de détail sur le contenu de l’opération et l’accueil d’un tel montage dans un milieu plutôt a priori méfiant envers tout ce qui symbolise le capitalisme, cf. infra, chapitres 6 et 7.