5.4 Jeux de motifs et dynamiques temporelles

Tel que nous venons de l’exécuter, le balayage des principales données objectives relatives aux porteurs-gérants et à leurs SCI donne à voir un ensemble explicatif assez statique duquel ressort malgré tout, au travers des axes stratégiques effleurés, quelques éléments dynamiques. Dès à présent, il s’agit de pénétrer davantage les biographies particulières afin de repérer les conditions de l’imputation causale de l’action.

Autrement dit, nous désirons restituer les contextes et conjonctures dans lesquels s’inscrivent les choix, motifs et stratégies sociétaires des enquêtés. En gardant en tête que les causalités sont toujours conditionnelles et que les conditions se modifient, nous solliciterons les principes des analyses archéologique, processuelle et structurelle, selon lesquels les motifs, les choix, les connexions causales et les carrières possèdent une origine précise, dépendent de l’enchaînement temporel des événements personnels et sont plus ou moins pré-structurés « par des chaînes causales indépendantes et préexistantes au déroulement des vies individuels » 278 .

La mise en parallèle de ces patterns nous permet d’une part d’invoquer le rôle de facteurs autant endogènes qu’exogènes dans le déclenchement de la décision (faisceau de contraintes) et, d’autre part d’envisager l’emboîtement des points de vue nomothétique et idiothétique. L’examen préalable des effets d’âge, de génération et de période – ce dernier ayant été abordé dans le chapitre précédent – témoigne par exemple de la pertinence du modèle structurel ; d’une certaine façon, ils ont valeur de lois comportementales. Toutefois, il importe de ne pas trop rigidifier l’analyse et de ne pas délaisser les interprétations subjectives qui sont faites de contextes et de situations jugées spécifiques par les porteurs-gérants eux-mêmes 279 .

Notes
278.

Pour une présentation plus approfondie de ces types théoriques, nous renvoyons le lecteur à l’excellent article de Frédéric DE CONINCK et de Francis GODARD, « Les formes temporelles de la causalité. L’approche biographique à l’épreuve de l’interprétation », op. cit.

279.

A ce niveau, le travail du sociologue emprunte à la rétrodiction, c’est-à-dire la recherche des causes les plus probables de comportements donnés. Elle reflète le souci du chercheur d’accoucher d’une « bonne » explication causale après avoir collationné documents, archives et entretiens. Les subjectivités à l’œuvre dans les entretiens participent à cette construction rétrodictive, en ce sens qu’elles cristallisent des points de vue sur une époque, des conjonctures, des événements passés mais significatifs. Sur ce concept de rétrodiction, cf. Paul VEYNE, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, « Points Histoire », 1996 (1971-78), p. 194 sq.