La transmission des modèles gestionnaires : entre perfectionnement, gratitude et rupture

L’exposition des divers modes d’accès à la connaissance sociétaire (cf. supra, chapitre 5, § 5.2) nous a permis de juger de l’influence partielle des réseaux familiaux. Sans toutefois être aussi efficaces que la pratique professionnelle, le cursus scolaire ou la détention d’un capital réticulaire, ils méritent d’être pris en considération, ne serait-ce parce que la question de la transmission des savoirs, des procédés, des normes et des valeurs y pèse de tout son poids.

Bien plus que de transmettre des biens et des savoirs, la famille transmet, soit implicitement, soit intentionnellement, des attitudes. Celles-ci alimentent un processus de socialisation qui, au cours du temps, est soumis à des modifications, des dynamiques, génératrices de changement social 319 . Outre le patrimoine lui-même, la gestion du patrimoine n’échappe pas à ce rapport de continuité et de discontinuité. Les modèles qui sont légués peuvent soit être conservés en l’état, soit corrigés compte tenu des contextes sociaux spécifiques que traversent les légataires. En définitive, nous observons des pratiques et des représentations variables qui dépassent le strict cadre de la SCI ou qui la réintègrent dans un système patrimonial plus général. Les attitudes vis-à-vis de la transmission et des traditions gestionnaires oscillent donc entre la césure, le respect et le renouvellement, et restent ce faisant toujours plus ou moins réflexives 320 . Au décryptage de 3 attitudes familiales, nous ajouterons celui de 2 attitudes face à la transmission des procédés dans un milieu associatif et à une gestion traditionnelle des placements :

‘« […] Le commerce de l’époque, vous ne l’avez pas connu, mais il y en avait au plafond, dans la cave, au grenier, à droite et à gauche (rires). Donc on a déménagé dans un local de 160 mètres carrés ; c’était déjà un développement important. Tout ça a été fait dans le cadre de la SARL. Bon, mon père avait des méthodes de gestion qui étaient les siennes à l’époque. On ne va pas rentrer dans le détail ».
R – C’est-à-dire ? Une gestion familiale ?
« C’était une gestion familiale et très personnelle. C’était l’époque où quand vous faisiez du commerce, du petit commerce comme ça, on pouvait faire fortune… enfin mettre un peu d’argent de côté. Bon, c’était sa méthode, mais en fin de mois, quand les charges étaient bouclées, ce qui était en excédent, eh bien ça passait à gauche (rires). Donc on a eu l’opportunité, enfin l’opportunité si on veut, disons qu’à partir du moment où ses enfants sont rentrés dans l’entreprise, bon on a fait pression pour la développer […] Tous les travaux, agrandissements, aménagements qui avaient été faits n’apparaissaient pas… A aucun moment, ça n’a paru dans les comptes de la SARL. Tout était fait par mon père en nom propre. Enfin bon, il y a eu des « salades » parce qu’à trois ans d’intervalle on a eu des contrôles fiscaux assez sévères à l’époque »
[Jean-Louis, PDP 10]’
Notes
319.

Cf. Isabelle BERTAUX-WIAME et Anne MUXEL, « Transmissions familiales : territoires imaginaires, échanges symboliques et inscription sociale » in La famille en questions, état de la recherche, Paris, Syros, IDEF, 1996, p. 187-210.

320.

Pour Anthony GIDDENS, la tradition est réinventée à chaque génération, à partir de l’héritage culturel de celle qui la précède. Elle est sujette à la « réflexivité sociale de la vie sociale moderne », c’est à dire à « l’examen et la révision constante des pratiques sociales, à la lumière des informations nouvelles concernant ces pratiques mêmes, ce qui altère constitutivement leur caractère ». Cf. Les conséquences de la modernité, op. cit., p. 44-45. Dans un ordre d’idée assez proche, Raymond BOUDON et François BOURRICAUD soutiennent que la tradition doit moins être abordée sous ses aspects reproductifs que sous ses aspects « sélectifs », « évaluatifs » et « évolutifs » ; elle est moins donnée que construite. Cf. Article « Tradition » in Dictionnaire critique de la sociologie, op. cit.

321.

Sans trop rentrer dans le détail, il convient de dire que sa posture axiologique s’exprime aussi sur le terrain du militantisme politique. Nous avons appris par hasard qu’il était proche des idées développées par le Centre National des Indépendants (CNI) et par celles du parti de la Droite Libérale et Chrétienne (DLC), présidé par Charles Millon.