Un environnement à risques

La construction de ce genre de système locatif démontre que, selon les circonstances, l’occupation personnelle familiale peut être complétée par un recrutement locatif externe, dont les effets sur l’intégrité des lieux peuvent s’avérer pervers. Perçue comme une nécessité financière, la location peut vite devenir un environnement à risques si l’attitude des locataires sort du cadre légal et moral. A côté des dégradations matérielles, les porteurs de parts, comme tous propriétaires-bailleurs, doivent souvent faire face à d’autres problèmes qui sont plus ou moins bien acceptés et acceptables : les impayés ou les retards de paiement, une vacance prolongée ou le dépôt de bilan d’un locataire commercial.

Sur les 15 enquêtés (32,6%) ayant initié des SCI locatives, 8 admettent avoir été confrontés à ce genre d’accrocs contractuels. Tandis que les porteurs « HAB » condamnent les dégradations et les impayés, les porteurs « ICP » s’inquiètent eux davantage des dépôts de bilan et d’une vacance prolongée. Ces événements sont interprétés différemment et donnent lieu à des réponses que l’ont peut expliquer par les vécus personnels et les appartenances des enquêtés :

‘« Quand j’ai quitté ces locaux, j’ai pensé trouver facilement un locataire. Eh bien, je n’en ai pas trouvé ! Pendant 3 ans, parce que ça s’est passé en 1992 et que c’était pile au moment de la chute fantastique de l’immobilier. Les loyers que payaient le locataire, pour un local de 260 mètres carrés avec 5 parkings, représentaient à peu près 200 000 francs annuels… eh bien c’est tombé à 100 000 francs. Et même à 100 000 francs d’offre, je n’ai pas trouvé de locataires. Heureusement que je n’avais pas fait un emprunt trop long. J’ai pu financer la fin et ensuite je me suis retrouvé avec des locaux vides pour lesquels j’ai payé de ma poche l’ensemble des charges de copropriété, la taxe foncière et toutes les charges d’entretien ; c’est un immeuble qui a été ravalé. Donc pendant 2 ans effectivement, si vous n’avez plus de réserves personnelles, vous sautez avec votre SCI. »
R – Vous avez été à la limite de « sauter » à ce moment-là ?
« Ça a été à la limite d’une opération financière qui aurait pu se transformer en négatif en fait. Si vous avez quelques biens à côté, vous pouvez compenser »
[Jacques, PDP 13]’

Il ne l’avoue pas directement mais c’est en puisant dans ses ressources personnelles qu’il a entretenu, pendant deux ans, le compte-courant de sa SCI. Notons qu’en 1986 son associé avait quitté la SCI à la suite d’un divorce et que Jacques lui avait racheté ses parts, se retrouvant seul avec son épouse mais devenant majoritaire (60/40). La situation aurait peut-être été plus délicate à gérer si l’associé était resté puisqu’il détenait 40% du capital ; il n’aurait peut être pas trop toléré d’abonder le compte-courant. En 1997, Jacques parvient à vendre son local et 4 des 5 parkings. Une mésentente sur le prix a fait achopper la vente globale, Jacques préférant garder son parking plutôt que le brader. C’est pourquoi, il possède encore aujourd’hui sa SCI alors qu’il aurait voulu soit céder les parts, soit les biens et dissoudre la structure.

‘« Toutes les années, j’ai des impayés, mais comment dire, ça fait partie des risques. Je veux dire qu’on ne peut pas gagner partout. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, j’exagère, mais se gaver. Ça fait partie des risques. Comme en entreprise pendant 20 ans, toutes les années j’avais des impayés. Mais ça fait partie des risques commerciaux. D’ailleurs j’ai le cas d’un locataire à Brignais qui vient de déposer le bilan. Bon en industriel, vous avez quand même un avantage par rapport à l’habitation, c’est que vous demandez une caution de 3 mois. En 3 mois, on peut voir venir ; ça minimise le risque. Mais c’est des choses auxquelles vous ne pouvez pas échapper… Bon quand on veut faire ça, ce qui est mon objectif… parce que je voudrais avoir une centaine de locataires sur toutes mes SCI. C’est un chiffre comme ça, bizarre, que je me suis fixé parce que j’adore bosser, c’est mon truc. Il faut déjà en avoir déjà un certain volume pour pouvoir réduire ces problèmes d’impayés. Encore une fois, il ne faut pas pleurer dessus. Qu’est-ce que vous voulez y faire ? J’ai aussi un particulier dans cet immeuble qui a un an d’impayé. Je viens d’obtenir l’arrêté d’expulsion […] »
[Pascal, PDP 24]’ ‘« Le côté locatif c’est hallucinant quoi ! Aujourd’hui, on fait la part belle aux mauvais payeurs et c’est scandaleux […] L’huissier m’a même dit que si vous avez un mauvais payeur qui ne veut pas payer, que vous expulsez, eh bien vous êtes pratiquement obligé de lui trouver autre chose. Où est-ce qu’on va ? Quel est le propriétaire qui va accepter un propriétaire qui ne paye pas ? On est dans un système complètement aberrant. »
[Rémi, PDP 21]’
Notes
342.

Cf. François JUMPERZ et Louis LEVY-GARBOUA, « La rationalité du comportement des propriétaires-bailleurs », Notes de l’Observatoire de l’Habitat Ancien, ARMA-ANAH, n° 8, mai 1990. En adaptant les principes de la théorie économique du « capital humain » à l’étude des relations entre propriétaires et locataires, les deux auteurs précisent que cette recherche pose problème dans la mesure où l’on ne peut estimer facilement les capacités d’un postulant. Il y a donc une imprévisibilité qui peut se traduire concrètement par une perte de revenus financiers.

343.

Cf. Michel AMIOT, Les misères du patronat, op. cit., p 72. La peur de l’impayé constitue un trait conjoncturel caractérisant beaucoup de patrons de PME.

344.

Sur une analyse de la pensée de Niklas LÜHMANN, cf. Volkmar GESSNER, « Conflit », in André-Jean ARNAUD, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op. cit., p. 91-94 ; Liliane VOYE, « Transaction et consensus supposé », op. cit.