Mouvements et stabilité formalistes

Les modifications dont les SCI peuvent faire l’objet au cours de leur existence juridico-financière, liées à des évolutions projectives et stratégiques ponctuelles ou programmées, doivent en principe donner lieu à une déclaration de mise à jour au Greffe du Tribunal de Commerce (fichier RCS). Parmi celles-ci, certaines sont agréées lors d’une assemblée générale ordinaire ou extraordinaire dont le procès-verbal est déposé auprès de la juridiction commerciale. Il s’agit des transferts de siège social (TRA SS), des changements de dirigeant (DIR), des augmentations de capital (AUG K) et des dissolutions/liquidations (DIS/LIQ). D’autres, par contre, comme les cessions ou donations de parts (CP) et les nantissements de parts (NANT), ne sont pas subordonnées à la tenue d’une assemblée, sauf si les statuts le prévoient ou qu’elles provoquent, pour les premières, une augmentation de capital ou la nomination d’un nouveau gérant. Cette obligation de publicité légale pour l’information au tiers s’accompagne, pour les augmentations de capital, les dissolutions/liquidations et les cessions, d’un formalisme fiscal indispensable à la détermination du calcul droits de mutation à titre onéreux ou gratuit.

Sur les 1 521 SCI de notre échantillon, 689 – soit 45,3% – ont connu au moins un mouvement modificatif déclaré au cours de leur vie [cf. Tableau 43].

A la vue de ces résultats, nous remarquons que les cessions et/ou donations de parts représentent près de 40% des mouvements sociétaires enregistrés, les transferts de siège social 364 et les changements de dirigeants n’arrivant qu’en deuxième et troisième positions dans la hiérarchie des formalités.

Tableau 43 – Récapitulatif des formalités sociétaires modificatives accomplies au RCS de Lyon selon la Destination [1981-2001]
FORMALITES SCI HAB SCI ICP TOTAL %
Cessions/donations de parts (CP) 230 328 558 37,7
Transferts de siège social (TRA SS) 130 159 289 19,5
Changements de dirigeants (DIR) 96 156 252 17,0
Nantissements de parts (NANT) 59 139 198 13,4
Augmentations de capital (AUG K) 41 63 104 7,0
Dissolutions/liquidations (DIS/LIQ) 35 44 79 5,3
TOTAL 591 889 1480 100,0

Source : « BDSCI.XLS »

Si nous allons plus avant, 60% de ces mouvements formels concernent les SCI « ICP » (889/1 521). Ceci s’explique en partie par le fait que les stratégies immobilières et patrimoniales des dirigeants et de leurs associés sont en règle générale corrélées à la fréquence de leurs stratégies professionnelles ou d’entreprise. Ainsi, l’arrivée de nouveaux associés dans une société commerciale entraînera bien souvent leur participation au capital de la SCI, à tout le moins si celle-ci reste extra-familiale ou purement partenariale. Le mécanisme des cessions de parts est prévu à cet effet, tout comme il peut être mobilisé pour résoudre un conflit d’intérêts et simplifier une sortie (cf. infra, chapitre 11, § 11.1). De surcroît, nous pouvons observer des situations où la cession de parts s’accompagne d’un changement de dirigeant ; le rachat des parts par un tiers ou par un associé déjà en place peut aboutir à une nouvelle répartition des responsabilités électives. De son côté, l’augmentation de capital et le nantissement de parts peuvent exprimer une stratégie de réinvestissement immobilier par le biais d’apports personnels ou d’emprunts bancaires, le nantissement des parts devenant alors l’une des formes du cautionnement requis par la banque. Rien n’interdit non plus de voir une augmentation de capital succéder à une cession de parts. Enfin, pour ce qui relève des transferts de sièges de SCI, ils coïncident bien souvent avec les transferts des sièges des sociétés commerciales qui les gèrent par dirigeants communs interposés. C’est seulement l’adresse administrative de la SCI qui est délocalisée et non le bien lui-même. La plupart du temps, celui-ci est conservé pour être loué à une autre entreprise et générer des revenus. La délocalisation spatiale stratégique de l’entreprise ne déclenche pas une décentralisation gestionnaire puisque les dirigeants opèrent un regroupement logistique dans leurs nouveaux locaux.

Les mouvements observables des SCI « HAB » collent approximativement aux mêmes logiques de souplesse, de financement et de résolution de problèmes relationnels. L’usage des cessions et des donations dans des sociétés le plus souvent familiales correspond soit à un vœu de transmission anticipée défiscalisée, soit à une politique de prévention de tensions intra-familiales, amicales ou partenariales, soit encore à la décision d’attirer des énergies socio-financières supplémentaires nécessaires à la réussite d’un projet d’investissement locatif. Pour ces SCI, la formalité de transfert de siège peut traduire deux phénomènes : la migration résidentielle des dirigeants et/ou associés quand le siège et le domicile ne font qu’un ; l’établissement du siège dans le bien immobilier détenu par la SCI, alors qu’au départ il avait été provisoirement installé pour des raisons de commodité au domicile d’un associé, de parents ou d’amis, dans des bureaux divers, etc. 365 .

Etroitement lié à l’évolutivité des projets, stratégies et trajectoires des porteurs de parts, le dynamisme des SCI ressort davantage lorsqu’on considère à la fois les combinaisons effectives de formalités déclarées et leur survenance temporelle.

Ainsi, 89,1% des SCI « dynamiques » (614/689) se signalent par l’accomplissement d’au moins deux formalités au cours de leur vie. Nous recensons surtout des combinaisons qui ont une traduction logique immédiate comme « cession de parts/changement de dirigeants » (164) ou « cession de parts/augmentation de capital » (87). Toutes les combinaisons sont cependant autorisées mais leur interprétation impliquerait une meilleure connaissance de leur histoire et des motivations contextualisées de leurs protagonistes, ce qui dépasse le cadre de cette étude. Si nous continuons l’observation, nous notons que la combinaison de 3 mouvements et plus demeure l’apanage de seulement 13,6% des SCI « dynamiques » (94/689). Il s’agit d’un petit noyau de SCI « ICP » très actives qui jonglent avec des cessions de parts, des changements de dirigeants, des transferts de siège, des augmentations de capital et des nantissements de parts à répétition.

Afin de restituer l’historicité de ces mouvements, nous avons jugé bon de les ranger dans des classes quinquennales [1-4, 5-10, 11-15, 16-20 et + de 20 ans]. Alors que nous présumions un étalement dans le temps des formalités, vu que les SCI ont des durées assez longues, nous avons été surpris de constater que la très grande majorité d’entre elles survenaient essentiellement lors des 10 premières années : 78,7% des cessions/donations de parts, 82,5% des transferts de siège, 73,3% des changements de dirigeant, 72,1% des augmentations de capital et 84,4% des nantissements de parts, laissant à penser que les stratégies patrimoniales, professionnelles et financières – individuelles et collectives – et la gestion des relations interpersonnelles, objectivées par le recours sociétaire, se définissent à court et à un moyen terme et se stabilisent par la suite.

Qu’en est-il des SCI de nos enquêtés ? La proportion de SCI « dynamiques » y est un peu plus importante que dans l’échantillon : 54,1% ont enregistré au moins une formalité au RCS durant leur existence juridique (59/109). Toutefois, comme nous l’avons déjà mentionné à plusieurs reprises, ces résultats doivent pris avec précaution en raison de la sur-représentation des SCI de Frédéric dans le corpus (26/109). L’examen des formalités accomplies par ces 59 SCI montre que la tendance aux cessions de parts y est même plus amplifiée que dans l’échantillon. Il y a plus de formalités de cessions que de SCI : les cessions/donations de parts ont été employées 64 fois, dont 31 fois par Frédéric pour ses 26 SCI. Pour les autres formalités, les occurrences d’apparition sont peu significatives sauf dans le cas de Frédéric. Tandis que nous relevons seulement 9 augmentations de capital, 6 transferts de sièges, 5 changements de dirigeants et 3 nantissements de parts dans 33 SCI, la logique juridico-financière et la stratégie patrimoniale de Frédéric viennent accroître le volume de formalités. Sur 15 ans, il a en effet procédé à 18 changements de dirigeant, en particulier au profit de sa société Delta, a organisé 16 augmentations de capital et convenu de 12 nantissements de parts, justifiant par là, avec les nombreuses cessions de parts, la souplesse de ses structures d’investissement et de gestion ainsi qu’une pratique rodée de l’autofinancement via des appels de fonds et des emprunts bancaires.

La description et l’analyse des mouvements formalistes constituent un peu, si l’on nous permet l’expression, l’arbre qui cache la forêt. En effet, les SCI sont avant tout des structures relativement stables, pour ne pas dire quelquefois inertes. 54,7% des SCI de l’échantillon n’ont jamais déclaré au RCS le moindre changement (832/1521), ce pourcentage étant un peu moins fort dans le corpus des SCI des enquêtés, mais non moins éloquent compte tenu du biais mis en avant (50/109, soit 45,9%). Ce constat appelle quelques explications qui seront développées dans le suite de ce chapitre. Tout d’abord, notons que plus la date d’immatriculation est récente moins nous avons de chances de voir apparaître un quelconque changement. Dans la mesure où nous avons borné notre champ d’enquête à 1998, et que la majorité des mouvements formalistes surgissent entre 1 et 10 ans après, il paraît hasardeux de raisonner sur la stabilité « artificielle » de bon nombre de SCI. Néanmoins, nous pouvons tout de même avancer que la stabilité administrative observée est imputable soit à une permanence (relative) des situations immobilières, financières, patrimoniales, professionnelles ou résidentielles et des configurations interpersonnelles, soit au non accomplissement, délibéré ou inconscient, des déclarations modificatives au RCS. Nous avons donc affaire à des systèmes d’attitudes différents fondés sur des éléments aussi divers que l’immobilisme, l’oubli, la méconnaissance ou l’ignorance, la disqualification partielle de l’ordre public, l’attachement à de tenaces pratiques traditionnelles et dont les origines sont à rechercher aussi bien dans les biographies, les dispositions et les valeurs socio-culturelles de chaque porteur de parts que dans la permissivité insufflée par le droit des sociétés civiles lui-même.

Notes
364.

Seules 27 des 689 SCI concernées sont initialement nées dans d’autres départements (3,9%) et ont été transférées par la suite dans la région lyonnaise. 13 ont été montées dans des départements limitrophes.

365.

Il convient de dire, autant qu’il nous a été permis de le voir lors de notre travail au Greffe, que ce phénomène de localisation administrative provisoire n’est pas rare. En effet, dans la mesure où c’est la SCI qui achète le bien et/ou le fait construire et qui emprunte l’argent, celle-ci doit être montée avant pour signer le compromis de vente. Ce document ne suffisant pas au RCS pour l’immatriculation – par définition un compromis est fragile, peut être cassé à tout moment – les initiateurs du montage délivrent une attestation gratuite de mise à disposition d’un local pour l’accueil du siège social. Ce n’est qu’une fois qu’ils détiennent le titre définitif de propriété, ou au bout de quelques années s’ils préfèrent attendre d’autres changements à déclarer, qu’ils peuvent régulariser la situation au RCS en réalisant une nouvelle formalité. Nous renvoyons le lecteur à notre problématisation de l’ubiquité sociétaire, cf. supra, chapitre 3, § 3.2, et son analyse partielle dans le chapitre 4, § 4.1.