Informalisme, causalité familiale et statu quo patrimonial

Indice d’une distance, l’informalisme semble, à dire de praticiens, une pratique fortement répandue, y compris chez des chefs d’entreprise qui, toutes choses égales, seraient censés mieux maîtriser les paramètres et problématiques juridiques et économiques que le reste de la population. Malgré les nombreuses recommandations que leur mission et/ou leur intimité avec un client leur commande de réitérer, ils ne peuvent que prendre acte d’un irrespect déontique et d’une inaction gestionnaire quasiment routiniers, facteurs de multiples dangers.

‘« J’aurais tendance à dire que le plus grand nombre de SCI que nous constituons, on n’intervient peu après, dans la vie juridique. D’abord parce qu’à mon avis, mais il faudrait pouvoir le déterminer statistiquement, je pense que la plupart des SCI ne remplissent pas leurs obligations. C’est-à-dire qu’une SCI qui tient ses assemblées, l’approbation des comptes, qui tient ses registres, qui dépose au Greffe… eh bien il y en a pas beaucoup. »
Q – Et là vous êtes sollicité par vos clients ?
« C’est plutôt nous qui leur rappelons au passage ce qu’il est nécessaire de faire, parce que tant que tout va bien on n’en a pas besoin. Par contre, le jour où ça va mal, c’est mieux d’avoir tenu à jour ces informations. Je veux dire c’est vrai qu’une SCI c’est tellement souple. Vous faites votre déclaration fiscale, vous la déposez ; c’est le seul organisme qui va vraiment vous surveiller. Bon je veux dire, tenir une assemblée, répartir le résultat, vu la translucidité, l’appréhension fiscale du résultat, etc. Mais par contre, le jour où vous voulez vendre les parts de la SCI, selon qu’on a mis un petit ou un gros capital, il faudra bien voir comment le résultat a été appréhendé : qu’est-ce qui a été mis en réserve ? qu’est-ce qui a été incorporé au capital ? Et ainsi de suite. C’est vrai que peu de particuliers, enfin ce que j’appelle le particulier, chef d’entreprise personne physique, qui est un peu dans le familial patrimonial, qui fait sa SCI, 4 sur 5 ne tiennent pas leurs obligations juridiques. Quand c’est des sociétés commerciales, qui de façon plus ou moins indirecte sont liées par des associés communs ou filialisées, là les SCI tiennent leurs assemblées. Mais c’est vrai qu’une fois que la SCI est constituée… (il fait un geste fataliste) »
[Avocat fiscaliste, PRAT 11]’

A la manière d’un metteur en scène, le praticien s’efforce de rappeler les didascalies mais ne peut jouer la partition du client à sa place (cf. infra, chapitre 9, § 9.1). Si dans la situations de montages complexes et sophistiqués le message passe bien et les obligations sont respectées, c’est parce que la moindre impéritie, le moindre écart gestionnaire menace d’ébranler l’édifice juridique, économique, fiscal et social du projet patrimonial et de faire le lit des ingérences administratives. Les enjeux matériels prédominent, sans toutefois reléguer à l’arrière-plan une propension à l’auto-conservation de sa liberté individuelle. A contrario, dans les montages simples, ceux élaborés pour gérer un seul bien souvent familial, le laxisme gestionnaire l’emporterait. Les assemblées générales ne seraient pas effectuées, les procès-verbaux d’assemblées non rédigés et la comptabilité oubliée.

‘« Vous savez aujourd’hui, 99% des SCI n’ont pas de comptabilité. On est dans un cas de nullité juridique. Si on vous dit qu’effectivement cette société elle a une personnalité juridique distincte de celle de ses associés, encore faut-il le prouver. Et c’est notamment en ayant au moins des assemblées générales avec un registre, au cas où il y aurait à apporter des preuves, que vous allez montrer qu’elle vit de façon autonome de ses associés. Si vous ne le faites pas, on pourra à tout moment vous dire que cette société n’existe pas, que c’est un écran de fumée »
Q – C’est une sorte de jeu finalement ?
« Ben le problème c’est ça. Quelque part, on le vend comme une solution patrimoniale qui a des répercussions en termes quantitatifs, financiers, chiffrés. Mais trop souvent, on n’aborde pas les conséquences qui sont sensibles parce que dire à un client qui aurait trois immeubles et qui va créer trois sociétés qu’il faut tenir une comptabilité et faire les AG… Les gens n’y sont absolument pas prêts. Les gens veulent qu’on les accompagne dans la gestion de leur patrimoine parce qu’ils considèrent que c’est quelque chose qui n’est pas toujours simple, qui peut être chronophage et ils demandent à des professionnels de les assister, du moins quand ils ont un patrimoine importants »
[Directeur d’un GIE d’assistance juridique et technique patrimoniale, PRAT 35]’

L’une des clés de compréhension du phénomène d’informalisme affleure dans cet extrait. L’interposition d’une personne morale, entre des biens et des personnes, exige de prendre conscience que de nouvelles règles de droit vont régir la vie du bien immobilier et de leurs propriétaires et que celle-ci est sertie de tout un protocole. Pour des propriétaires fonctionnant avec des habitudes depuis de nombreuses années, la naturalisation n’est pas immédiatement acquise. S’ils ne sont pas renseignés et préparés par un praticien, la probabilité de l’inaction risque d’augmenter. Il suffit de plus qu’ils n’aient pas le temps et/ou affichent un profond désintérêt pour que le manquement à ses devoirs prenne une autre envergure et éveille ainsi un scepticisme fiscal (cf. supra, § 7.4).

Pour les 13 enquêtés qui manifestent une attitude distante et qui sont enclins à l’informalisme, la pratique officielle des assemblées générales annuelles est remplacée par une pratique des discussions, réunions et sociabilités ou, ce que nous pourrions appeler, des assemblées officieuses. A en croire certains juristes, l’assemblée générale se présente comme la clé de voûte du droit sociétaire dans le sens où, quand elle statue sur des règles de majorité ou d’égalité, elle est le moyen d’affirmer son identité d’associé et de construire une identité commune 366 . Ne pas les respecter (absentéisme) reviendrait en quelque sorte à nier les principes démocratiques d’égalité et de majorité (cf. infra, chapitres 10 et 11). Le fait que le protocole sociétaire soit dilué ou érodé ne nous incline cependant pas à convenir d’un affaiblissement corrélatif d’une identité commune. C’est du moins ce qui ressort chez Marie, Paul et Alain par exemple :

‘Q – Pour l’instant vous n’avez effectué aucune assemblée ?
« Non, aucune mais il faudra bien qu’on en fasse une. Maître S. nous a dit qu’il faudrait faire une assemblée générale début janvier. Il faut en faire une par an pour décider des travaux… En fait, on fait des mini-assemblées à longueur d’année entre nous pour décider de ce qu’il est urgent de faire. C’est une maison qui a pas loin de quarante ans, donc vous pensez bien qu’il y a des travaux »
[Marie, PDP 1]’ ‘« […] Des AG, je dis pas qu’on en fait à tous les repas mais presque (rires). Mais on n’écrit pas, il n’y a pas de cahier. C’est un tort […] Je n’aime pas vraiment le terme de SCI ; je préfère celui de communauté mais bon quand on aménage telle ou telle partie de la maison, ben tout le monde participe. Pour le moment, on doit avant tout apprendre à vivre ensemble »
[Paul, PDP 2]’ ‘« C’est une société qui est familiale. On l’a faite parce qu’a priori on s’entend normalement. Je veux dire que les décisions qu’on a été amené à prendre, comme les travaux entre autres, on les a prises en commun, verbalement si vous voulez. Ça se passe tout à l’amiable. »
Q – Ce n’est pas consigné ?
« Non, pas jusqu’à présent et il faudra d’ailleurs qu’on fasse un peu des PV. Mais on n’en a jamais fait »
[Alain, PDP 7]’

Pour ces trois porteurs de parts de SCI familiales, l’oralité prend le pas sur l'écriture. L’irrespect protocolaire n’est pas vraiment intentionnel mais trahit la présence d’autres préoccupations et d’autres préférences, suscitant un ajournement des obligations juridiques. Devant la nouveauté de leur projet de regroupement résidentiel, Marie, Christine et Paul font de la définition de règles de vie commune une priorité qui freine le procès du rite sociétaire. A tout le moins, le protocole est-il refondu puisque les décisions à prendre sont vivement débattues lors des repas de famille. Les sociabilités familiales deviennent en l’espèce une scène où s’exprime l’infra-juridique. Elles démontrent que la force des liens prime sur la force de l’officialisation juridique. Le rejet par Paul du vocable « SCI » préfigure aussi pour le coup une méfiance à l’encontre d’un nominalisme juridique. Conformément à ses valeurs chrétiennes, qu’il ne laisse accentuer dans l’entretien, la « communauté » symbolise le bien le plus précieux et s’apparente moins à un concept abstrait qu’à une réalité vécue au quotidien. Quand bien même ses quatre enfants ne détiennent pas de parts dans la SCI, ils participent activement aux travaux de rénovation de la maison, consolidant par-là la présence d’une communauté où le « nous » importe autant que les individualités. L’idée d’une communauté soudée apparaît également chez Alain. Dans son cas, le consensus a jusqu’à présent rythmé les relations entre ses deux frères et lui et permis une prise de décision rapide. Même si en tant que clerc de notaire, il demeure conscient de l’utilité de l’officialisation, la bonne entente dans la fratrie, le partage d’une vision commune de l’entretien de l’héritage maternel suffit à satisfaire les exigences de la situation, le respect du protocole étant jugé quelque peu superflu.

A la lumière de ces attitudes propres à beaucoup de gérants et de porteurs de parts de SCI patrimoniales, il n’est pas inconcevable de voir l’informalisme s’ériger en régularité coutumière. Plus précisément, ce genre d’attitudes laxistes ou velléitaires s’explique par ce que nous appelons une causalité familiale. En somme, c’est parce que la SCI est familiale que l’on ne s’en occupe pas ou peu. La communalisation – une socialité déjà existante et fonctionnant sur l’entente tacite – réduirait l’impact d’une sociation juridique et dédramatiserait l’irrespect protocolaire. Comme si en fin de compte on avait choisi la SCI sans réellement se représenter son statut juridique, obnubilé par les avantages fiscaux, successoraux et organisationnels qu’offre une utilisation simplifiée ou convaincu par un praticien à qui l’on accorde sa confiance.

La méconnaissance conceptuelle, génératrice d’une forme d’auto-disqualification, n’est par conséquent pas la seule en cause. L’essence familiale du projet patrimonial y contribue encore plus insidieusement, étant donné que dans ce contexte toute commercialité s’évanouit. Bon nombre de SCI familiales, constituées pour acquérir des résidences principales ou secondaires ou pour gérer des héritages entre descendants, et qui n’ont pas de recettes locatives déclarées, tombent souvent dans ce registre. L’absence de transactions financières conduit les associés familiaux, tentés par la propriété d’occupation, à faire comme si la SCI n’était qu’un objet nu, finalement dépourvu de l’intérêt qu’on paraissait pourtant lui porter à l’origine avec enthousiasme. Surprenant contre-pied qui nous ramène au rôle joué par les représentations sociales dans certains choix sociétaires : celles d’un montage idéal, ductile, répondant aux besoins les plus variés, bref une panacée. Dans cette perspective, l’argumentaire de certains concepteurs de techniques juridico-patrimoniales – ceux qui dépassent la simple prestation marchande par un décryptage personnel des comportements des utilisateurs – vient affiner notre analyse :

‘Q – Certains porteurs de parts disent qu’ils ne s’occupent pas de leur SCI parce que c’est familial…
« Je crois que le caractère familial les y encourage en effet. Maintenant, est-ce que c’est le facteur principal ? Pour eux, qu’ils le détiennent en direct ou au travers d’une SCI, c’est strictement la même chose. La seule différence pour eux, c’est qu’il y a une déclaration fiscale supplémentaire, la 2072. Mais s’ils l’ont fait, c’est qu’a priori c’était intéressant pour eux… mais ils ne sont pas prêts à en subir toutes les conséquences. Pour eux, ça ne doit rien changer ! Alors après, le fait que ça soit familial leur permet de le faire. Parce que si effectivement vous avez un tiers avec lequel ils n’entretiennent aucune relation juridique, ils seraient peut-être contraints de tenir une comptabilité parce qu’il pourrait y avoir des problèmes de libéralité, de donations indirectes ou déguisées. Il pourrait y avoir des problèmes de mésentente sur la comptabilité, l’un pourrait être pénalisé par rapport à l’autre, etc. Mais pour moi, le caractère familial est subsidiaire. Ce qui les amène à ne rien faire, c’est que dans leur esprit au départ ça n’a rien changé et rien ne doit changer»
[Directeur d’un GIE d’assistance juridique et technique patrimoniale, PRAT 35]’

Tandis que nous attribuons l’informalisme à une causalité familiale, l’expert interrogé préfère y voir l’effet d’un statu quo patrimonial. Si les deux analyses se complètent plus qu’elles ne se différencient radicalement, nous remarquons tout de même que pour lui l’interposition sociétaire ne modifierait en rien le sentiment de se sentir un propriétaire comme les autres, pas plus à l’abri qu’un porteur de parts de possibles erreurs et carences gestionnaires. De ce fait, la mauvaise appréhension de la personne morale ne favoriserait pas une meilleure matérialisation des enjeux protocolaires et conduirait inexorablement les porteurs de parts sur le terrain de l’irrespect. Les nombreuses demandes d’accompagnent juridique, les sollicitations procuratives auxquelles il doit répondre témoignent d’une dissymétrie entre intérêt et action. Le porteur de parts prenant acte de son ignorance – du moins quand son orgueil n’éclipse pas un réalisme de situation – a toujours le choix de déléguer sa gestion plutôt de s’encombrer avec des règles qui ne lui sont guère évocatrices et qui peuvent lui valoir, s’il ne les assument pas, des ennuis administratifs, une radiation de sa SCI et, ô malheur pour lui, un retour à l’indivision. Mais les regrets professionnels nourris vis-à-vis de l’informalisme cachent à notre avis, plus subtilement, une critique partielle des montages imputables à un effet de mode. Niche à ses débuts, le montage SCI s’est, comme nous l’avons montré par ailleurs, progressivement généralisé. Maintes sociétés ont donc été constituées sous couvert de motifs estimés irrationnels, si ce n’est farfelus. Dans ces conditions, il n’hésite pas à expliquer l’informalisme par l’« inutilité » ou l’absence de pertinence projective de plus d’un montage. A titre d’illustration, il fait de la mise en sommeil d’une SCI – quand elle ne correspond pas à une stratégie immobilière différée (cf. supra, chapitre 6, § 6.1) – un critère évaluatif de cette inutilité qu’il blâme et de cette fragilité qui le désole.

Par voie de conséquence, ceci nous invite à nous questionner sur un problème sensible qui sera approché plus largement infra (cf. chapitres 8 et 9) : la responsabilité des praticiens dans l’inaction formaliste des porteurs de parts. En filigrane de son argumentaire, l’expert enquêté ne tient pas à faire des porteurs de parts les seuls responsables de leurs impérities. Pour lui, certains conseils qui les entourent n’ont pas joué et ne jouent pas correctement leur rôle de pédagogue et ont fait ou font montre d’une vénalité répréhensible. Alors qu’ils devraient informer leurs clients sur les risques inhérents au laxisme protocolaire et essayer de parfaire leur rationalité arithmétique (axes comptables), ils se borneraient à insister sur une innocuité somme toute assez « vendeuse » 367 . D’une certaine façon, le cas de Solange relève de cette interprétation :

‘« Il faut faire des déclarations particulières en fin d’année, il faut faire des assemblées générales. Bon quand c’est entre nous, c’est pas grave. Mais oui, il faut respecter les règles de droit. Bon c’est vrai où il y en a où j’ai rien fait. Même ici (pour les SCI de son patron), on vient de s’apercevoir… on vient de changer d’expert-comptable et le nouvel expert-comptable a récupéré toutes les pièces : eh bien il y a 8 classeurs qui sont vierges, il n’a jamais fait une assemblée générale et pourtant c’est marqué dans les statuts »
[Solange, PDP 32]’

Bien consciente qu’elle ne remplit pas tout à fait ses obligations juridiques, hormis l’inévitable déclaration fiscale, alors qu’elle devrait le faire plus scrupuleusement, Solange met en exergue le modèle des praticiens les plus « tolérants ». Si sa longue expérience professionnelle familiale des sociétés commerciales l’a accoutumée à prendre plus d’une liberté avec le protocole sociétaire, on peut comprendre qu’il n’y ait pas de raison valable que cela change pour des SCI composées de proches, sauf si bien sûr le patrimoine et les enjeux financiers sont importants. Toutefois, le modèle de praticiens n’appliquant pas eux-mêmes les prescriptions légales compromet une meilleure probabilité participative. Ils font figure d’autorité, pratiquent une casuistique de façade, mais ne donnent pas franchement l’exemple. C’est pourquoi, son patron a décidé de changer d’expert-comptable afin de blinder la gestion de sa dizaine de SCI. Ce qu’il est finalement intéressant de découvrir ici, c’est une possible interférence entre les causes de l’informalisme. Le modèle des praticiens accompagne une causalité familiale qui, elle-même, selon les situations, peut être combinée à une méconnaissance, un désintérêt ou une résistance intellectuel(le), un manque de temps, etc.

Enfin, il nous paraît légitime de couronner l’explication causale en recherchant les raisons de l’inaction protocolaire dans le droit lui-même. A l’opposé des sociétés commerciales, il n’existe en effet pas de dispositions légales explicites qui enjoignent les porteurs de parts à tenir une comptabilité et à déposer les comptes sociétaires, ainsi que le procès-verbal de l’assemblée générale annuelle d’approbation, au Greffe du Tribunal de Commerce 368 . Cette « permissivité » instille un surcroît de souplesse dans un ensemble déjà marqué par la possibilité de libérer le capital au fur et à mesure des besoins de la SCI et de mobiliser le mécanisme des comptes-courants. Dès lors, la prescription et la préconisation relayent l’obligation proprement dite. Interprétant les contraintes indirectes subsumées sous certains textes et guettant le moindre arrêt de jurisprudence, les praticiens accentuent l’importance du protocole sociétaire et notamment la mise à jour d’une comptabilité. Certains juristes affirment à ce sujet que les petites SCI familiales peuvent très bien se contenter d’établir une comptabilité simplifiée par recettes et dépenses 369 . Mais en tout état de cause plus la SCI est importante – en termes d’associés et de patrimoine –, plus la comptabilité se doit d’être détaillée et solide. Son caractère obligatoire est alors plus économique que juridique. Outre l’enregistrement des recettes et des dépenses, elle sert à constater la libération différée du capital, à intégrer les amortissements réalisés, à mesurer la dépréciation des biens immobiliers dans le temps, à calculer le passif venant en déduction de l’actif lors des cessions de parts et à justifier les droits des divers associés en cas de donation anticipée de la nue-propriété des parts aux enfants.

Ce dernier cas de figure – celui d’une facilitation des objectifs poursuivis – peut-être éclairé de la manière suivante 370 . Soit une SCI créée par un couple pour transmettre un patrimoine. Les parents donnent à leurs enfants la nue-propriété des parts, la SCI faisant des bénéfices comptables. Le défaut de comptabilité ne permet pas de savoir ce que sont devenus ces bénéfices. S’ils ont été mis en réserve, ils appartiennent virtuellement aux enfants. Par contre, s’ils sont distribués, ils appartiennent aux parents usufruitiers. Ceux-ci peuvent alors choisir soit de les dépenser pour d’autres postes budgétaires, soit de les laisser à la disposition de la SCI et de placer sur un compte-courant. Partant, au décès des parents, l’Administration fiscale taxera la succession sur le compte-courant. Comme nous le pressentons, si la comptabilité n’existe pas, rien ne permet d’indiquer la mise en réserve des bénéfices indispensable à ce calcul.

Dans le sens où un praticien ne procède pas à un utile rappel des enjeux sociaux, familiaux, patrimoniaux et fiscaux et que les porteurs de parts n’en prennent pas conscience eux-mêmes, le flou persiste. Cependant, la permissivité reste relative puisque n’oublions pas que ce sont les statuts qui font la loi. Aussi, les porteurs de parts ont-ils le loisir de définir un mode particulier de comptabilité et son fonctionnement. En raison d’une activité financière limitée à l’encaissement des loyers versés par leur SA et au remboursement des crédits contractés pour la construction d’un bâtiment industriel à Charbonnières, Richard et ses associés ont rédigé les statuts de telle sorte à ce que ne soit mentionnée qu’une comptabilité simplifiée. Cette décision s’inscrit dans une volonté de ménager une place au consensus à côté d’un formalisme strict, y compris dans des SCI partenariales où les associés sont avant tout liés professionnellement. Les statuts ont force de loi, à plus forte raison parce que leurs articles reprennent les fondements du droit civil. Si l’organisation des règles comptables est laissée à la discrétion des associés, la loi n’imagine pas un instant le défaut d’une comptabilité. C’est en disséquant la responsabilité du gérant à l’égard des associés (article 1848) et les droits politiques de ceux-ci (article 1855) que l’on s’en convainc 371 . En effet, le gérant se voit confier la responsabilité d’effectuer tous les actes de gestion nécessaires à la vie de la SCI et, parmi leurs prérogatives, les associés conservent un droit à l’information. Plus exactement, ils ont le droit d’obtenir la communication de tous les documents sociétaires une fois l’an et de prendre connaissance du rapport de gestion consécutif à la clôture de chaque exercice, dont la rédaction incombe au gérant ou à un spécialiste mandaté pour l’occasion.

Notes
366.

Cf. Christian ATIAS, Droit civil. Les biens, op. cit., p. 98 sq.

367.

Curieusement, tous les praticiens n‘estiment pas manquer ou avoir manqué à leur responsabilité dans ce domaine. Si un seul a eu le courage de nous avouer avoir monté des SCI « inutiles » dans l’espoir de conserver des clients fortunés, la tendance est plutôt à la vitupération contre des confrères ou des concurrents dont on peut se demander s’ils ne sont pas des contre-modèles de circonstance, imaginés pour faire valoir la justesse de son message et de ses méthodes. Ou quand l’éthique de la conviction rejoint celle de la responsabilité (cf. infra, chapitre 8, § 8.3).

368.

Cf. La société civile et la gestion de patrimoine en 150 questions, op. cit., p. 49 ; 87ème Congrès des Notaires, Patrimoine privé et stratégie fiscale, op. cit., p. 495. Les notaires notent que « cette absence de dispositions contraignantes à l’égard des tiers et le caractère souvent familial des sociétés civiles conduisent dans la plupart des cas à négliger la tenue des assemblées générales. Cette défaillance est regrettable à de nombreux titres. D’une part, on doit toujours regretter que la loi et les dispositions statutaires ne soient pas respectées. D’autre part, la tenue régulière des assemblées générales est la matérialisation de la personnalité morale et constitue un moyen d’habituer les associés à son existence et à son fonctionnement. L’association rapide des enfants à la vie de la société, ne serait-ce qu’avec des parts minoritaires, n’est-il pas le meilleur moyen, intelligemment utilisé, de les informer de la vie du patrimoine, de les préparer à la responsabilité de la gestion ».

369.

Cf. Véronique RIPERT-JOUVEL, Les sociétés civiles immobilières familiales, op. cit., p. 31.

370.

Nous empruntons cette simulation à Thierry ANDRIER, Guide pratique des sociétés civiles immobilières, Paris, Litec, 3ème édition, 1997, p. 183 sq.

371.

Cf. Maurice COZIAN, Alain VIANDIER et Florence DEBOISSY, Droit des sociétés, op. cit., p. 492-497.