L’alternative du rescrit

A la lecture d’ouvrages sur la SCI, nous avons découvert avec intérêt que les porteurs de parts pouvaient prévenir la sanction administrative en faisant formellement avaliser leurs montages. Cette procédure s’appelle le rescrit 421 . Elle consiste en une consultation écrite de la Direction de la Législation Fiscale (DLF) de la DGI. Le contribuable adoptant cette démarche doit fournir au fisc tous les éléments indispensables à l’appréciation des objectifs concrets de leurs montages. Au bout de 6 mois, si l’Administration ne fait pas part de ses remarques, la procédure répressive ne peut plus être activée.

Bien que n’ayant pas de chiffres à faire valoir, il nous semble que cette procédure soit peu usitée par les porteurs de parts. Ne l’étant pas par les plus légalistes d’entre eux, nous pouvons supposer qu’elle l’est encore moins par ceux qui ne respectent pas ou peu le protocole sociétaire. Qui plus est, son usage se présenterait même comme une forte contradiction puisqu’ils cherchent à desserrer l’étreinte fiscale. D’ailleurs, il suffit qu’ils écoutent de bons conseils ou parcourent une littérature spécialisée pour déterminer la viabilité de leurs opérations et se passer d’un nouveau formalisme jugé intrusif. Les exemples de Robert et de Pascal montrent à cet égard que le rescrit formel peut céder la place à une espèce de rescrit informel. L’oralité, les sociabilités sont, dans le contexte, préférées à l’écrit et à l’officialité des formes.

Ayant essuyé un sévère redressement en 1993 sur sa plus importante SCI, Robert avoue clairement avoir eu peur des retombées sur l’architecture de ses montages et sur la cohésion familiale. Au-delà des sommes à payer avec majorations, il a craint que sa mère et sa tante ne lui retirent leur confiance à cause d’arbitrages pouvant mettre en danger le patrimoine familial. Aujourd’hui, il fait très attention. Il se vante d’avoir sous la main le meilleur conseiller fiscal possible : le percepteur de la commune. Il en tire orgueil et satisfaction parce qu’il a l’impression de récupérer d’un côté ce qu’il perd de l’autre. Faisant montre d’opportunisme, chacun de ses projets est soumis à l’analyse du percepteur qui, au fil du temps, est devenu l’un de ses amis. L’identité de figure locale de Robert et l’aura de sa famille dans la commune ne sont sûrement pas étrangères à ce rapport privilégié. En allant faire enregistrer ses actes à la perception communale depuis longtemps, Robert en profitait pour rencontrer le percepteur et lui soumettre à la volée certains problèmes. La fréquence des contacts a fait que les deux hommes ont engagé des relations extra-utilitaires et se côtoient en dehors du cadre administratif. Fine tactique situationnelle ou sincérité durable ?

Pascal, quant à lui, connaît malheureusement bien le fisc. Surveillé de près depuis ses problèmes professionnels en 1992, il s’en prend crânement à une bureaucratie qu’il estime trop tatillonne. Nous avons vu plus haut qu’il était en désaccord sur une partie de la définition officielle des charges déductibles. Il va plus loin en appelant de ses vœux une meilleure communication interpersonnelle et en imaginant des méthodes pour combler le fossé qui, à son goût, sépare trop le contribuable qu’il est et l’Administration.

‘« […] L’intérêt des SCI, c’est de réinvestir sans arrêt parce qu’on déduit… Sur les 2072, on déduit les intérêts d’emprunt, ce qui n’est pas négligeable. Bon j’ai vu que Strauss-Kahn, notre ancien ministre des finances, a supprimé la déduction des intérêts sur un investissement à titre patrimonial. Je l’ignorais. Avant on pouvait et maintenant c’est fini. Il faudrait se renseigner un peu plus en détail sur tous leurs trucs. C’est pour ça, comme vous le voyez, que je suis en permanence avec le Guide du Contribuable. Je reprends toutes les informations des Guides, comme ça par curiosité, et puis c’est intéressant de connaître les derniers textes. J’aime assez ces bouquins. C’est bien détaillé puisque ça sort du centre administratif des impôts »
« […] Ce qu’il faudrait, c’est qu’ils informent un peu plus sur les possibilités de déductions. C’est pour ça que je me suis acheté plein de revues spécialisées, de manière à ne pas faire d’impair parce que bon… Attention, on n’a pas des murs en face de nous. Les gens voient qu’on est de bonne foi aussi, il ne faut pas exagérer […] Quand j’ai eu le redressement, un petit redressement léger, la fonctionnaire n’a pas mis la mauvaise foi. Comme quoi, il y a aussi des gens compréhensifs chez eux […] A mon avis, ils devraient, quitte à expliquer, faire des réunions ou, je sais pas, trouver un système pour qu’on ne soit pas obligé de se documenter personnellement »
[Pascal, PDP 24]’

L’utilisation du Guide du contribuable, disponible en librairie, lui permet de parfaire son stock de connaissances juridiques et fiscales. Les agents des impôts se montrant quelquefois peu diserts, il mobilise ce support par défaut. Rédigé par l’Administration elle-même, Pascal le perçoit comme un moyen de juguler diverses contestations. Si on lui adresse des reproches ou qu’on lui signifie un redressement, il pourra toujours se retrancher derrière une stricte application des prescriptions qui y sont contenues. Nous ne sommes pas ici en présence d’un rescrit stricto sensu – Pascal sait de toute façon qu’il est dans la ligne de mire – mais plutôt d’une méthode commune à des porteurs de parts curieux et soucieux de conserver ou de retrouver une certaine « virginité ». Au lieu d’envoyer un courrier à la DLF, autant se servir des ouvrages que le fisc publie à dessein pour ne pas que les porteurs de parts sanctionnés puissent faire valoir leur naïveté. Exciper de sa bonne foi demande des efforts de persuasion. Pascal souhaite la mise en œuvre de réunions d’information ou de clarification mais le fisc lui répond en éditant un guide annuel à l’usage du plus grand nombre.

Notes
421.

Cf. Le Particulier, « Les sociétés civiles immobilières », op. cit., p. 17.