8.4 Conclusion

En guise de conclusion, reprenons les deux hypothèses posées en début de chapitre. D’abord, le rapport des praticiens au conseil patrimonial et aux techniques sociétaires se présente comme un processus créateur dans le sens où ils explorent des méthodes et des savoir-faire, proposent des argumentaires novateurs, en décalage avec ceux en vigueur, jugés trop rebattus et stéréotypés. Les catégorisations objectives et subjectives se recoupent. Leur statut ou leur identité d’expert – à conforter ou en cours de formation – est en jeu, comme le démontre notamment l’emploi des métaphores médicale et couturière. D’une certaine façon, ils se veulent des « hommes de l’art » au milieu d’une majorité de praticiens hyper-réalistes ou opportunistes, dérogeant aux règles morales de la division du travail patrimonial. Ils souhaitent qu’on les reconnaissent moins comme de simples rédacteurs que comme des concepteurs. L’innovation, la personnalisation des stratégies qu’ils conçoivent sont d’indéniables porte-identités.

Ensuite, l’analyse – contextualisée à la SCI – des relations entre praticiens nous a permis de révéler l’existence d’une interprofessionnalité tantôt positive, tantôt négative, tantôt désirée, tantôt subie, tantôt externalisée, tantôt internalisée. En fonction de leurs histoires, de leurs schèmes de perception, de leurs rationalités et stratégies professionnelles, ce mode de relations pluridisciplinaires n’a pas la même résonance chez tous les praticiens. Tandis que certains élisent les sociabilités informelles, les réciprocités directes et différées, d’autres ne jurent que par une contractualisation formelle. Au même titre qu’un travail sur la pédagogie, ce serait alors pour eux un moyen d’amortir les effets des processus de déprofessionnalisation et d’acculturation anglo-saxonne touchant le monde du conseil patrimonial.

Qu’ils soient conscients de leurs limites, et comptent à cet égard sur la prescription, ou bien qu’ils optent pour tout faire eux-mêmes, en diversifiant leurs compétences, en montant ou prenant des parts dans des sociétés connexes, ils sont guidés par une espèce d’« œcuménisme ». Ils veulent varier leurs connaissances et compétences, rajouter des cordes à leurs arcs, et prêcher une conduite aux accents « universels ». Chacun pense que ce qu’il fait peut et/ou doit s’appliquer au plus grand nombre. Là encore, leur identité et leurs solutions techniques ont beaucoup à y gagner. N’oublions pas que, par ricochet, leur satisfaction détermine en partie celle de leurs clients.

En leur qualité d’experts du conseil, les praticiens deviennent partie prenante du processus de décision patrimoniale de leurs clients. Mais alors que leur expertise technique est a priori censée cristalliser la production de savoirs aussi neutres et objectifs que possible – ils n’ont pas à juger leurs clients et mandants –, il est leur difficile d’observer un détachement total. En puisant dans les analyses de Robert Castel, nous dirons que leur expertise est « instituante » 497  : elle dispense des normes, des jugements de faits et de valeurs, des reproches et des contredits, et dresse des règles de conduite. Comme nous l’avons exposé à propos des interactions entre praticiens, il est désormais temps de voir comment se trament in concreto celles entre praticiens et clients.

Notes
497.

Cf. Robert CASTEL, « Savoirs d’expertise et production de normes » in François CHAZEL et Jacques COMMAILLE (dir.), Normes sociales et régulation juridique, op. cit., p. 177-188.