Des honoraires rédhibitoires…

Les praticiens sont unanimes : pour avoir accès à un conseil patrimonial de qualité – à des informations et des techniques essentielles –, les clients doivent prendre l’habitude de le rémunérer à sa juste valeur. Ce qui, comme le rappelle un praticien cité au début de la première section, n’est pas une mince affaire. De près ou de loin, à des degrés divers, cette question interpelle presque tous les porteurs de parts enquêtés 560 .

Nous observons en fait 3 types d’attitudes face à ce problème [cf. Graphique 13]. Il y a d’abord ceux qui consentent à payer sans sourciller (20). Les compétences du praticien ont un prix qu’il est, à leur sens, normal de payer ; de plus, outre le fait qu’ils soient parfois eux-mêmes professionnels libéraux, ils ont des ressources suffisantes et se montrent satisfaits de la prestation. Il y a ensuite ceux qui se résignent à payer (9). Ils n’ont pas les compétences nécessaires pour concrétiser leurs projets et s’en remettent à des experts ; la prestation reste onéreuse mais ils considèrent ne pas avoir vraiment le choix – i.e. ils veulent circonscrire les risques. Il y a enfin ceux pour qui les honoraires réclamés sont jugés disproportionnés par rapport aux solutions fournies (17). Ils ont les ressources financières mais refusent de payer autant et préfèrent soit se débrouiller seuls, soit « courtiser » les personnes les plus qualifiées de leur réseau de connaissances, soit, encore, « marchander » avec le praticien. Il n’y a pas de petites économies !

Graphique 13 – Mesure de la satisfaction des enquêtés PDP envers les prestations des praticiens

A bien des égards partisans du « time is money », les plus réticents désirent s’affranchir de l’obligation relationnelle ou d’une sorte de « socio-dépendance ». A l’instar de Patrick, ils peuvent « négocier un forfait » avec un cabinet juridique. Cette alternative a pour mérite de réduire les contacts 561 et donc les occasions de frais supplémentaires. S’il conçoit que leurs services peuvent être intéressants et soutenir son légalisme, cette tractation commerciale lui permet de « leur serrer la main qu’une fois par an » (sic). Pascal, quant à lui, sait ce qu’il doit à sa conseillère juridique. Néanmoins, cette dette morale, ce lien, présentent un coût matériel qu’après son dépôt de bilan il a difficilement pu honorer. En prenant tout en charge, il a réalisé de substantielles économies et pu réserver son argent aux investissements immobiliers proprement dit :

‘« […] Les banques n’ont rien pu faire et c’est grâce à cette femme. Bon au départ je faisais tout faire, que ça soit les déclarations, les différents documents nécessaires, les cessions de parts, parce que je n’avais pas le temps de m’en occuper. Bon entre parenthèses, ça revenait très cher parce que le moindre papier c’est 4 000 balles. Et depuis 1992, date de mon malheureux dépôt de bilan, j’ai tout re-potassé, tout ce que j’avais fait avec elle et puis d’autres, style expert-comptable, et je me suis aperçu que je n’avais besoin de personne. En potassant, en décortiquant chaque dossier, je me suis bien imprégné de tout ça et j’ai tout repris en main moi-même […]. »
[Pascal, PDP 24]’

De façon plus virulente, Robert, Rémi, Solange, Norbert et Sylvain stigmatisent volontiers la supposée vénalité des notaires. Ce sont eux qui se montrent les plus déçus par la contrepartie financière des prestations proposées. Dans leur esprit, les praticiens ne sont pas à la hauteur de leur réputation technique et morale. Aussi, Rémi a-t-il, par exemple, choisi d’informatiser les statuts de SCI et de ne plus en confier la rédaction à son notaire :

‘« Très rapidement j’ai été amené à monter mes SCI moi-même parce que, si je ne m’abuse, la première c’est mon notaire qui me l’a montée. Je crois que j’en ai eu pour 12 000 francs. Comme j’ai vu que ce n’était pas trop difficile à faire, j’ai intégré ça sur mon ordinateur. Chaque fois que je montais une nouvelle SCI, je sortais mon texte, je modifiais peut-être 10 lignes sur 16 pages et puis voilà. Ensuite, j’allais l’immatriculer au Greffe. Au total, ça devait me coûter 3 500 francs, c’est-à-dire beaucoup moins cher […] »
[Rémi, PDP 21]’

Dans le même ordre d’idée, Sylvain, qui n’est pas à une réaction épidermique près quand on lui parle des notaires, dénonce une « dérive » marchande qui légitime l’emploi de statuts-types. Tous les moyens sont bons pour leur donner une leçon :

‘« Vous allez chez G., le libraire, qui se trouve vers la Préfecture, après le cours Lafayette, vous dites : « Bonjour Madame, je voudrais des statuts de SCI », elle va vous donner des SCI toutes faites ! Y a qu’à remuer la main dedans ! Ça vous coûte 20 balles je crois (il se lève et va chercher des exemplaires dans son armoire). Ensuite, vous faites vos 2 photos à 3,60 francs et vous aller au Greffe pour les enregistrer. Alors, les notaires, ils vont toujours vous dire que ça se fait pas. Les notaires en ce moment, quand ils signent un compromis, et je suis en train de me gendarmer avec eux, quand ils signent un compromis pour acheter une maison, ils disent : « Euh, il faut quand même mettre une petite somme d’argent – Oui, mais vous vous rendez compte, j’ai pas encore mon prêt – Mais on vous la rend ». J’ai eu le cas trois fois en un mois. « Versez-moi 25 ou 30 000 », les gens ont toujours 25 ou 30 000 ; ils achètent une maison, ça rentre dans la maison après. Mais si ça se casse la gueule, ben le notaire il rend les 25 ou 30 000 moins, mais ça, il vous l’a pas dit, moins les 2 000 pour le compromis. Les notaires aujourd’hui, tout est payant ! »
[Sylvain, PDP 36]’

Notes
560.

Nicolas HERPIN et Lucien KARPIK déclarent que 17% des ménages qui ont eu recours aux services d’un avocat entre 1995 et 1997 critiquent des honoraires trop élevés. Les reproches qu’ils leur adressent ne portent pas en priorité sur leurs compétences juridiques, bien que 23% les trouvent « limitées ». Cf. « Le divorce est le principal motif pour lequel les particuliers consultent un avocat », op. cit.

561.

Ce qui n’est pas le sentiment des praticiens adeptes de l’« abonnement-conseil », qui est une sorte de forfait censé favoriser le contact et la personnalisation relationnelle.