10.2 De la gérance et de l'exercice du pouvoir. Fiction ou réalité collective ?

Une autre manière d’interroger la validité empirique de la ligne monarchique ou d’une pratique normée de l’inégalité consiste à sonder le rôle joué par le ou les gérants. Responsables de jure de la SCI et de la défense des intérêts sociétaires, ces gérants peuvent soit être nommés à ce poste par des associés consentants ou clairvoyants, soit s’autoproclamer comme tels en raison de leur emprise sur le projet patrimonial immobilier requérant l’usage sociétaire, les autres associés n’ayant alors d’autre choix que de se soumettre à cette prise de pouvoir. Avec ce second cas de figure, nous retombons sur cette « ambiguïté entre individuel et collectif » [PRAT 5] qui gênent les juristes et praticiens qui désirent réhabiliter un principe d’affectio societatis si souvent malmené dans la réalité.

Mais si la SCI est perçue comme un « mode d’exercice du pouvoir » [PRAT 33], la question de savoir qui va exercer ce pouvoir et comment se pose inexorablement. L’élu pilotera-t-il seul, relativement à une logique hégémonique, peu ou prou hiérarchique ou autoritaire, et qui corrode les valeurs de solidarité et de réciprocité, ou bien en ne se dérobant pas devant les commentaires de ses associés, par compromis, plus dans la lignée d’une logique transactionnelle ? Nombre de praticiens réservent la gérance à l’acteur central d’un projet qui a une idée plus ou moins nette de la façon dont il va « gouverner » à ce poste. A partir de là, le gérant devient une espèce de chef de projet qui, selon sa personnalité, son « sens politique », la stratégie conduite ou ses intentions, doit composer en fonction et/ou avec les autres « sujets-acteurs » 625 que sont ses associés. L’analyse du positionnement de ces derniers face à un projet individuel – critiques, aboulie, indifférence, entrain, etc.– peut nous amener à comprendre comment se prennent les décisions, d'après quelles règles rationnelles et quels fondements psychologiques, micro ou macro-culturels et comment le droit les avalise.

Notes
625.

Pour Jean-Pierre BOUTINET, rappelons qu’il n’y a pas de projet sans sujet. « Le sujet nous renvoie dans la problématique du projet à une sorte d’homonymie instructive à travers l’action de jeter sous, selon que l’on considère l’acteur-auteur qui jette une action sous l’objectif qu’il poursuit ou l’acteur-assujetti qui est jeté sous l’action d’un autre. Nous dirons en conséquence qu’il n’y a pas de projet sans un sujet-auteur qui montre sa capacité à concevoir et à réaliser ses propres intentions […] » (souligné par l’auteur). Cf. Psychologie des conduites à projet, op. cit., p. 87.