Ces deux simulations et modélisations nous ramènent du côté des jeux arithmétiques et des jeux de parts. Un dernier moyen de se persuader de la force de ces jeux et des gains retirés est de revenir sur les « tours » proposés par trois enquêtés en particulier : Patrick, Stéphanie et Solange. Dans la première section, nous avons dit que Stéphanie et Patrick avaient mobilisé le soutien de leurs parents et de leurs amis pour inaugurer leurs montages. Mais ce soutien de personnes de confiance n’a pas été conçu de leur part comme un soutien éternel. Patrick savait dès le début de l’aventure qu’il rachèterait les parts de ses associés au moment opportun, une fois le crédit-bail amorti. Après tout, il s’est toujours agi de son projet professionnel. Stéphanie ne réfléchit pas autrement car elle n’imagine pas un instant voir ses parents s'agripper à leurs parts de capital. Eux non plus d’ailleurs. C’est un projet conjugal, celui d’une autonomisation résidentielle ; les parents jouent simplement leur rôle. Tout porte à croire qu’ils s’effaceront une fois le remboursement de l’emprunt échu, soit dans au moins 15 ans, ce qui est long mais nécessaire au vu des exigences bancaires. Solange, quant à elle, développe, par l’entremise du mécanisme des cessions de parts, une tactique plus axée sur la dévolution patrimoniale. Son projet résidentiel est aussi quelque part celui de ses enfants :
‘« […] Alors les cessions de parts, il faut les faire au début du crédit ; il ne faut pas les faire quand le bien est entièrement payé parce qu’après la valeur de la SCI, c’est la valeur du bien. Donc les droits d’enregistrement sont proportionnels à la valeur des parts. Moi j’ai remonté une SCI avec un capital de 2 000 francs pour acheter l’appartement ou je vais habiter. J’ai mis ma patronne comme associée et elle va faire des cessions de parts d’ici cinq ans au profit d’un de mes enfants »Elle a mûri une transmission clés en main dans laquelle sa patronne, devenue au fil du temps une amie, occupe une position singulière. Alors que dans un montage précédent, les proches recrutés avaient concouru à la récupération d’un appartement et s’étaient par la suite désistés au profit des trois enfants de Solange, dans celui-ci, elle planifie d’entrée l’effacement. Dans cinq ans, ses enfants devraient arriver dans la SCI en rachetant les parts de sa patronne ; le calendrier est, sauf fortune contraire, bouclé. Nous pouvons dès lors identifier sa patronne à une sorte d’agent fidéicommissaire ou fiduciaire. Indiquons qu’en droit patrimonial, le fidéicommis désigne une disposition testamentaire héritée du droit romain, selon laquelle une personne reçoit une chose – un legs confié à sa bonne foi – qu’elle doit transmettre à une autre 682 ; c’est un contrat juridique sui generis. Or, ici, les deux femmes n’ont pas passé un contrat de fiducie, l’effacement résultant d’un contrat éminemment tacite ou moral.
De jure, sa patronne n’est pas une héritière fiduciaire, chargée d’un fidéicommis. Elle a financé ses parts, prévoit de les vendre et trouve aussi un intérêt fiscal personnel au montage. Pourtant, dans les faits, et même si Solange n’a pas rédigé un testament, nous nous rapprochons un peu de ce système dans le sens où elle a été sollicitée pour assurer une transition. Elle s’en ira lorsque la SCI aura trouvé son rythme de croisière, lorsque les crédits seront soldés et, enfin, lorsque les enfants auront été formés. Elle ne leur remettra pas gratuitement les parts, mais fixera, en accord avec Solange, par serment, un montant symbolique, quasi gratuit. La SCI présente à ce titre tous les traits d’une parade légale. Dans son article 896, le Code Civil prohibe en effet les substitutions fidéicommissaires ayant trait aux legs ou donations, si celles-ci ont pour objet une quotité de la succession ou des biens individualisés. Finissons-en là car nous flirtons trop avec le discours juridique et cela risquerait de dénaturer notre propos.
Le fidéicommis offre de nombreux points de ressemblance avec la technique anglo-saxonne du trust, technique que certains juristes libéraux aimeraient voir apparaître dans l’arsenal juridico-patrimonial français. Selon l’article 2 de la Convention de La Haye de 1985, le trust « vise les relations juridiques créées par une personne (le constituant ou le settlor), par un acte entre vifs ou à cause de mort, lorsque les biens ont été placés, sous le contrôle d’un trustee dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou dans un but déterminé ». Cf. 96ème Congrès des Notaires, op. cit., p. 356 sq. Il s’agit donc d’un système à 3 acteurs. Pour ce qui concerne Solange, si nous transposions les termes, elle serait le settlor, sa patronne le trustee et ses enfants les bénéficiaires.