10.4 Conclusion

Toutes les dimensions du problème de la structuration socio-juridique des groupes d’associés n’ont pas été explorées dans ce chapitre. Nous avons pris le parti d’en ausculter quelques unes, influencés que nous avons été par les raisonnements, les logiques et les pratiques, plus ou moins exprès, de nos enquêtés. Le manque d’éléments nous a conduit à recourir à des simulations ou des cas d’école puisés dans la littérature juridique et parfois récupérés par des praticiens. La recherche d’un équilibre entre discours sociologique et discours juridico-économique ne s’avère pas des plus commodes, les deux n’offrant pas une vision identique du paradigme utilitariste. Sans dénigrer ses postulats, nous avons essayé de jeter un regard transversal. Les porteurs de parts ont d’indiscutables intérêts à utiliser le contrat sociétaire mais ceux-ci s’expliquent aussi par leurs systèmes de valeurs et de croyances, par leurs appartenances socio-culturelles et leurs vécus relationnels.

L’examen des clauses statutaires demeure une entrée pertinente. Les porteurs de parts soucieux de garder et d’améliorer leur pouvoir patrimonial et groupal, qui plus est doués d’une bonne conscience juridique, ont intérêt à se pencher dessus avec minutie. Pour autant, ces clauses contractuelles s’érigent moins comme des règles universelles que comme un instrument au service d’un projet, d’une stratégie, de représentations politiques donnés, que ceux-ci soient individuels ou collectifs. Leur description et leur analyse nous a permis de renouer le lien entre sociation et communalisation, de mettre en relief les conditions d’une légalisation d’attitudes hiérarchiques et autoritaires ou bien transactionnelles et démocratiques.

Le recrutement d’associés idoines s’appuie sur une certaine idée de la confiance, de l’ordre établi ou encore sur des contraintes situationnelles relativement fortes. En d’autres termes, le casting peut être naturel ou forcé, mais reste presque toujours à l’initiative d’un porteur de parts-réalisateur, proclamé ou auto-proclamé leader du groupe. L’inégalité capitalistique de la plupart des montages rend ainsi raison d’une individualisation projective et ce, même si la solidarité constitue souvent un vecteur et une modalité de leur usage. Ligne monarchique et « paternalisme » peuvent concorder. Conjuguée à une fine rédaction des statuts, l’organisation du recrutement étaye cette vaste entreprise de légitimation.

Ceci nous a invité à présupposer, puis à démontrer, l’existence d’une fiction collective et d’une illusion contractuelle. Plus qu’une discussion de l’épistémologie juridique, nous y avons vu une façon d’interroger les aspects et les contextes d’une monopolisation et de manipulations économiques et politiques, qui nous ont tant frappées durant l’enquête. Cette appropriation ne s’incarne pas uniquement dans la décision initiale du montage ; elle se vérifie également dans les décisions qui gouvernent la vie de la SCI et, partant, du patrimoine immobilier. Les modes d’exercice de la gérance et de consultation des associés en font foi et peuvent officialiser un culte, plus ou moins bien admis, du plébiscite. Elle justifie en outre le processus de « territorialisation » des tâches gestionnaires.

En dehors des associés free riders qui pensent profiter un jour de l’influence qu’ils subissent maintenant, d’autres – enfants et/ou conjoints par exemple – ne semblent pas capter pas le sens ou n’y adhèrent simplement pas. Nous avons alors toutes les chances de les voir se grimer en associés fantoches, apathiques ou silencieux – des figurants – à la prise de parole, moralement et juridiquement, circonscrite. Leur indifférence est de surcroît consolidée par les dispositions juridiques prises à cet effet. Certains meneurs en sont surpris et s’en plaignent, alors qu’ils en sont, peu ou prou consciemment, à l’origine ; d’autres se chargent de prévenir une indigence participative en socialisant et en responsabilisant des associés qui défaillissent ou pourraient défaillir. D’aucuns enfin pratiquent la négociation ou la jouent au mérite en confiant des responsabilités ou en donnant des parts. Les éthiques de l’engagement et les modes incitatifs sont par conséquent très variés.

L’inaction peut laisser la place à l’action lorsque, en fin de compte, les associés « enchaînés » ne supportent plus une domination qu’ils revisitent comme un abus, une injustice, voire une illégalité. La prise de parole change de couleur et vire au rouge. Des tensions émergent et mènent à des crises dont la gravité dépend des enjeux financiers et relationnels. Pour achever notre recherche, nous allons justement traiter de ces dynamiques conflictuelles.