Deux adjuvants du pacte sociétaire : les clauses d’agrément et de préemption

Fouillons un peu plus l’analyse de la nature des cessions de parts en invoquant les textes juridiques. Dans son article 1861 et ses deux alinéas, le Code Civil dispose que les parts sociales ne peuvent être cédées qu’avec l’agrément de tous les associés et que les cessions, sauf disposition contraire des statuts, ne sont pas soumises à cet agrément lorsqu’elles sont consenties aux ascendants et descendants du cédant. Toute cession, rappelle en sus le droit, doit être constatée par écrit sous peine de nullité (article 1865). Aussi les porteurs de parts enquêtés, à l’aune des clauses constitutives de leurs statuts, appliquent-ils convenablement la règle en la matière sans pour autant manquer de retranscrire, au coup par coup, leurs préférences stratégiques et culturelles : liberté des cessions aux ascendants ou descendants en ligne directe, aux seuls descendants en ligne directe, etc.

Traiter de la typicalité des cessions revient ce faisant à s’interroger sur ce principe de l’agrément, en d’autres termes à se demander dans quelles conditions permission est accordée ou non de rentrer dans la SCI. Acteurs d’un groupe clos – intuitu personae – où l’interdépendance est élevée, les associés vont par ce biais produire leurs propres normes d’anticipation et de règlement des litiges 702 .

Tableau 53 – Type d’agrément des cessions de parts à des tiers
TYPE D’AGREMENT N SCI %
Majorité :
Majorité simple :
Majorité des associés représentant
au moins ¾ du capital :
Autre (Hervé) * :
90
30

59
1
82,6
27,5

54,1
0,9
Unanimité  19 17,4
TOTAL 109 100
* Autres cessions soumises à l’agrément du gérant si la cession ne porte pas sur un nombre de parts supérieurs à 5% du capital, des associés, statuant à la majorité simple de moitié des parts + 1 si elle porte sur un nombre de parts supérieur à 5%

Source : Archives RCS

Bien que selon l’article 1861 l’unanimité prime, des aménagements ou des combinaisons contractuelles, plus ou moins restrictives, sont toujours envisageables. Les statuts peuvent par exemple spécifier le remplacement de la règle d’unanimité par celle de majorité, prévoir des majorités différentes selon la qualité des cessionnaires, dispenser d’agrément les cessions aux coassociés ou au conjoint 703 (cf. supra, Tableaux 51 et 52). Qui plus est, ces mêmes statuts peuvent transférer le pouvoir d’agrément au seul gérant. Dans ce cas de figure, si certains spécialistes attirent l’attention sur les méfaits de l’omnipotence sociétaire en général 704 , ils se formalisent moins pour les SCI familiales dont l’objet tourne autour de la transmission du patrimoine (cf. supra, chapitre 10, § 10.1 et 10.2). Etant donné que l’un des deux parents, ou les deux, est l’unique détenteur du pouvoir d’agréer les cessions, il pourra aisément éviter que ses enfants cèdent leurs parts à des tiers étrangers. Les « pièces rapportées » intrigantes trouveront à qui parler !

L’enquête montre un très net penchant pour l’aménagement statutaire [cf. Tableau 53]. Dans 82,6% des SCI du corpus prévaut une règle de majorité (90/109). Cette règle connaît des variations dont la plus flagrante est le recours décisionnel à une majorité des associés représentant au moins ¾ du capital (54,1%). Chez nos enquêtés, cet aménagement a un sens politique, a fortiori quand le détenteur majoritaire ou ultra-majoritaire des parts est également gérant ; ce choix consolide le leadership sociétaire dans ce qui le définit en partie : préserver un certain niveau de fermeture. Se dégage ainsi une majorité virtuelle de blocage. Il a aussi du sens sur un plan plus technique et financier. Des juristes préconisent à cet égard de « ne pas fermer totalement une SCI en soumettant à l’agrément unanime des associés toute personne présentée pour acquérir ou recevoir des parts sociales [car] la loi leur impose, s’ils refusent l’agrément, de racheter ou de faire racheter par un tiers les parts du cédant » 705 . Si l’unanimité fait défaut, les associés réfractaires seraient obligés d’investir de nouveaux fonds dans la SCI pour racheter les parts du cédant. C’est peut-être pourquoi 27,5% (30/109) des SCI du corpus comportent dans leurs statuts une règle statutaire de majorité simple ou encore, pour une seule d’entre elles, celle de Hervé, une règle plus hétéroclite.

Notre investigation ne dévoile pas à ce sujet la formulation de scénarios trop raffinés ou le choix d’un agrément à la majorité, absolue ou renforcée, des associés présents. Les SCI du corpus se fondent globalement dans la norme. Les statuts que nous avons compulsés ne font pas non plus ressortir de façon nette un agrément incombant aux seuls gérants alors que leur influence est réelle. Arrêtons-nous de nouveau sur les SCI familiales pour mieux cerner les résultats chiffrés obtenus. Pour les experts en ingénierie patrimoniale, l’alternative entre des cessions à l’agrément de la gérance et celles à l’agrément de l’assemblée des associés procède de l’objectif de contrôle recherché ab initio 706 . Si le pouvoir de contrôle revient au gérant, ses prérogatives en sont renforcées et la contrainte formaliste que représente la convocation à l’assemblée est dépassée. De l’aveu des experts, cette solution sert surtout les intérêts des SCI familiales bâties dans un objectif de transmission, le ou les parents gérants « se réservant ainsi un droit de contrôle sur l’ouverture éventuelle du capital ou même sur l’équilibre des participations de chacun des associés » 707 .

Le fait qu’ils concèdent à l’inverse le pouvoir d’agréer à l’assemblée correspond à la recherche d’un autre équilibre des pouvoirs, dépendant aussi bien de la force des liens qui unissent les membres que de la sensibilité des contextes intra- et inter-familiaux dans lesquels ils évoluent. Redoutant par suite de donation ou de succession une trop grande dispersion du capital, ils pourront élargir le domaine de l’agrément et y inclure les cessions autorisées aux ascendants et aux descendants. Selon la clause rédigée, les associés et/ou le gérant, peuvent de la sorte, au décès de chaque associé, décider d’agréer ou non les héritiers du de cujus et donc d’ouvrir ou non la SCI. Cette clause subordonnant l’entrée des héritiers à l’agrément préalable des associés survivants est très répandue parce qu’elle circonscrit l’entrée de personnes jugées « indésirables » 708 . A l’inverse, le refus d’agrément sous-tend l’indemnisation des héritiers d’après la valeur des parts au jour du décès et de la poursuite de l’activité sociétaire avec d’autres personnes. En revanche, habités par une tout autre stratégie, moins dévolutive que marchande, ils pourront jouer l’ouverture en supprimant l’exigence d’agrément à l’égard des associés et/ou du conjoint. Les équilibres de majorité seront moins stables, vu qu’un associé pourra librement céder sa participation sans que le gérant ni les autres associés ne s’y opposent, mais leur objectif primitif – faire vivre une société pour faire fructifier le patrimoine, le consommer et gagner de l’argent – sera rempli. Ici, la valeur symbolique du patrimoine est dépréciée au profit de sa valeur monétaire. De surcroît, en prévoyant dès le départ que les parts sont libres entre associés, ils peuvent exclure tout ou partie de leurs héritiers, ces derniers ne jouissant d’aucun droit sur les parts elles-mêmes, tout au plus d’un droit de créance pour la valeur des parts transmises.

Le bénéfice retiré de l’usage des clauses d’agrément est double : politique d’une part pour la gestion de l’équilibre des tensions et des forces en présence, psychologique d’autre part pour la gestion des affects et l’apport d’une précieuse sérénité. Dans le même ordre d’idée, celui d’une volonté de maintien de l’équilibre relationnel, les porteurs de parts et leurs praticiens peuvent imaginer puis rédiger des clauses de préemption. Ces clauses empruntent aussi bien au droit des successions qu’au droit régissant les relations entre actionnaires de SA ; elles instituent une espèce de préférence intérieure. Dans son article 815-14, le Code Civil précise que tout associé qui entend céder toute ou partie de ses droits à une personne étrangère à l’indivision est tenu de le notifier, ainsi que le prix et les conditions de vente, par acte extra-judiciaire (notarié ou établi par huissier de justice) aux autres indivisaires. Dans un délai légal d’un mois, tout indivisaire doit faire connaître au cédant sa décision d’exercer ou non son droit de préemption aux prix et conditions notifiés. Passé ce délai, la préemption est caduque. Dans les statuts de SA, la clause de préemption joue un rôle désigné comme « stabilisateur » 709 . Elle a pour fonction de permettre « aux actionnaires restants de maintenir une certaine proportion entre leurs participations ». Celui qui aspire à céder ses droits doit d’abord les proposer aux autres actionnaires sous peine de nullité.

Au sein de notre corpus de porteurs de parts, seuls Raymond, Richard et Frédéric ont recouru à ce genre de clause : le premier pour se protéger d’une éventuelle fuite des parts en nue-propriété dévolues à ses deux enfants vers des inconnus, conjoints ou tiers ; le second pour contrecarrer une possible vente vers la concurrence et donner la priorité à des associés historiques très impliqués dans le projet professionnel et patrimonial collectif; le troisième enfin pour assurer la viabilité de son système gestionnaire et réaffirmer la primauté des membres de son milieu sur d’autres candidats potentiels.

Notes
702.

Cf. Völkmar GESSNER, « Conflit », op. cit.

703.

Cf. Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, Droit des sociétés, op. cit., p. 495. Les 3 ajoutent, en reprenant les textes, qu’en cas de refus d’agrément par les associés, ceux-ci devront soit racheter eux-mêmes les droits du cédant, soit les faire racheter par un tiers dûment agrée, soit les faire racheter par la société en vue de leur annulation, cette dernière option entraînant une réduction du capital.

704.

Cf. Le Particulier, Les sociétés civiles immobilières, op. cit., p. 58.

705.

Ibid., p. 58.

706.

Cf. 96ème Congrès des Notaires, op. cit., p. 324-325.

707.

Ibid.

708.

Cf. Thierry ANDRIER, Guide pratique des sociétés civiles immobilières, op. cit., p. 215-216.

709.

Cf. Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, Droit des sociétés, op. cit., p. 325.