Retrait, dédit et compensations financières ou quand les départs se monnayent

Nous en rediscuterons infra mais ce choix stratégique, pour autant qu’il garantisse une fermeture, est aussi susceptible de produire de forts désagréments. L’entente a ses limites et le droit n’y peut pas toujours grand chose (cf. infra, 11.2 et 11.3). Malgré tout, de plus en plus de praticiens, grâce aux effets des décisions jurisprudentielles, encouragent une meilleure organisation du droit de retrait dont jouit en théorie tout associé. A notre avis, ce droit s’impose comme l’expression la plus éloquente de la défection ou de la démission mentionnée supra.

Quand la prise de parole ou les contestations ne sont plus respectées, quand le ras-le-bol et l’insatisfaction guettent, quand la déception atteint son point culminant, on peut organiser un départ, « résilier » le contrat sociétaire, sans heurts, après de calmes et adroites négociations. Ceci est même concevable dans des familles où la défection est en général mal appréciée et quelquefois sanctionnée. Le droit de retrait, lorsqu’il est bien posé et délimité, vient donc suppléer la technique des cessions de parts – la voie classique –, technique dont la (bonne) mise en application reste soumise aux rapports des forces en présence et à des transactions souvent délicates.

Dans l’article 1869 du Code Civil, il est dit que « sans préjudice des droits des tiers, un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, dans les conditions prévues par les statuts ou, à défaut, après autorisation donnée par une décision unanime des autres associés […] ». Partir, sortir, dans les conditions prévues par les statuts. Là réside l’intérêt de la démarche préventive prônée par les juristes, car le droit de retrait permet d’éviter des dissolutions de SCI en cas de mésentente. Une fois encore, une majorité peut se substituer à une unanimité, plus difficile à obtenir dans les faits. Ainsi que le soulignent certains spécialistes, des associés minoritaires déçus par la stratégie sociétaire établie peuvent, via ce droit qui leur est accordé, se munir d’une « garantie efficace » 711 . De plus, ils n’essuient pas les difficultés que représente la recherche de repreneurs ou de successeurs agréés par les autres coassociés et se voient rembourser au juste prix leurs parts dans le capital. Le départ de l’associé de Frédéric relève un peu de ce principe : la cession de ses parts ressemble à peu de choses près à un retrait négocié, quoique les modalités ne soient pas inscrites dans les statuts de la SCI concernée. Et d’ailleurs, si les porteurs de parts enquêtés en proie à des brouilles avaient exploité ce ressort, nous pensons qu’ils auraient mieux épargné leur énergie et leur argent.

Dans certaines situations, le retrait et le remboursement des parts peuvent être sujets à des tensions palpables (cf. infra, § 11.2 et 11.3). Si les autres associés expriment leur désaccord ou s’abstiennent, la justice s’en mêle. Devant l’exposé des faits, elle peut être conduite à prononcer une autorisation de retrait pour « justes motifs » (cf. infra, § 11.3) 712 . Parallèlement, les débats sans fins et l’impossibilité de trouver un terrain d’entente pour déterminer la valeur des parts peuvent donner lieu à l’intervention d’un expert (expert judiciaire, expert-comptable, commissaire aux comptes) qui, doit être promu d’un commun accord par la collectivité des associés. A cette lumière, nous saisissons un peu mieux le sentiment éprouvé par l’avocat d’affaires cité en début de section, entre sang-froid, flegme et scepticisme, devant l’attitude jugée « saugrenue » de la fille de son client.

Partant, les contextes groupaux auxquels ils se heurtent, ainsi que le désir d’éluder autant que faire se peut une traduction judiciaire des désaccords, tendent à inciter les praticiens à une rédaction et scénarisation plus fines. En tant que vecteur de « prévention des conflits et du respect des équilibres financiers » 713 , le retrait joue aussi bien en faveur des intérêts personnels des associés que de la pérennité d’une société qui courrait à sa perte dans l’hypothèse de désunions. Nous en pressentons l’importance dans les SCI familiales en particulier. Dans cette optique, tout porte les professionnels des montages à transformer le droit de retrait en droit d’éviction, à savoir introduire dans les statuts une « faculté d’exclusion de l’associé indésirable » 714 . Il s’agit, après consultation du ou des clients à l’origine du montage, de prévoir dans quelles circonstances cette exclusion est possible : le manquement à une règle statutaire ou au règlement intérieur de la SCI, la non réponse aux appels de fonds, la remise en question des décisions du gérant, des absences injustifiées aux décisions collectives, etc., En somme des défaillances caractérisées constituant une infraction aux règles sociétaires mais aussi, plus sociologiquement, une preuve d’insolence, de déloyauté ou d’ingratitude envers le groupe des associés. Vous avez dit retrait forcé ? 715

Au bout du compte, pour nourrir leur répertoire résolutif, les praticiens à la pointe de la réflexion sociétaire n’hésitent pas à façonner des solutions innovantes. D’aucuns militent par exemple pour une adaptation du dédit 716 . Notion de droit commercial que nous rencontrons dans certains contrats de vente, le dédit doit permettre au contractant de se désister de ses engagements, de se rétracter, contre le versement aux autres d’une somme prévue à l’avance. Par analogie –syncrétisme socio-juridique – il est loisible d’imaginer l’exclusion d’un associé de SCI en contrepartie d’une somme d’argent pré-convenue, une espèce de dédommagement ou de compensation financière. Le dédit revêt alors un caractère indemnitaire, destiné à réparer le préjudice causé par la rupture du lien contractuel. Appliqué à l’ensemble des SCI, cette mesure faciliterait les rétrocessions de parts, sans perte d’argent, bien au contraire ; dans les SCI familiales orientées autour de la transmission patrimoniale, elle modérerait des déshéritages contraints et regrettables, qui ne disent pas leur nom.

Notes
711.

Cf. Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, Droit des sociétés, op. cit., p. 496.

712.

Deux décisions de justice sont venues au secours d’associés sur le départ : une de la Cour d’Appel de Paris du 9 février 1983, autorisant le retrait d’un associé ne pouvant assurer sa subsistance du fait de la faiblesse des bénéfices sociétaires distribués, et une de la Cour d’Appel de Nancy du 27 septembre 1989, autorisant le retrait d’un associé au motif que son éloignement géographique ne lui permettaient pas, conformément à l’objet sociétaire, de jouir directement des immeubles détenus par la SCI. Cf. Le Particulier, op. cit., p. 75.

713.

Cf. Axel DEPONDT, « Variations pratiques et d’actualité sur la personnalité morale des sociétés de personnes », op. cit.

714.

Ibid. Le notaire précise que « la densité de la personne morale de la société se mesure à l’aune de la facilité avec laquelle la société peut exclure un des associés et, en sens inverse, avec laquelle un associé peut se retirer. Plus il est facile d’exclure et plus on renforce la personnalité morale. Plus on facilite le retrait et plus on affaiblit l’être moral ».

715.

Cf. Le Particulier, op. cit., p. 76. La loi autorise l’exclusion d’un associé mis en faillite personnelle, en liquidation de biens ou en redressement judiciaire. Il est alors remboursé mais est destitué de sa qualité d’associé. Mais ce sont les statuts qui envisagent d’autres motifs de retrait forcé.

716.

Cf. Axel DEPONDT, « Variations pratiques et d’actualité sur la personnalité morale des sociétés de personnes », op.cit