Avec Stéphanie, nous abordons un autre aspect des tensions. Elles ne concernent pas directement les relations entre associés, mais entre des personnes qui auraient pu éventuellement l’être. Dans sa ligne de mire, ses beaux-parents. Elle explique sa décision de ne pas les avoir conviés au montage sociétaire :
‘Q – Vous disiez que auriez éventuellement pu monter la SCI avec vos beaux-parents. Mais là, dans votre SCI, vos parents sont présents. Par rapport à votre mari, ça ne pose pas de problèmes ?Si les liens de filiation apparaissent centraux, surtout que ces parents sont co-emprunteurs et, par là, solidaires de son projet d’autonomisation résidentielle (cf. supra, chapitre 10, § 10.1), les liens d’alliance font davantage l’objet de retenue, voire de défiance. L’absence des beaux-parents du montage suscite chez le sociologue bien des interrogations : pourquoi ceux-ci sont-ils détournés de la SCI alors que ses parents y participent ? Qu’en pense son mari ? Quels sont les enjeux en filigrane de cette relégation ? Deux raisons sont invoquées : la première basée sur des critères matériels et culturels, la seconde sur des critères relationnels et affectifs. En premier lieu, ils n’ont pas été « invités » du fait de leur appartenance sociale. Vu qu’ils sont agriculteurs, Stéphanie pense qu’ils n’auraient pas compris le sens du montage. Son interprétation revêt donc, à notre avis, un caractère « discriminatoire ». En second lieu, c’est surtout la tension qui règne entre Stéphanie et ses beaux-parents qui légitime la mise à l’écart. Avec ses parents, elle jouit en effet d’une indéniable liberté dans la conduite des opérations – ils lui font confiance – tandis qu’avec ses beaux-parents, de son propre aveu, cette liberté aurait été « abîmée » du fait de leur méconnaissance de la technique sociétaire. Ils auraient de surcroît toujours cherché à en savoir plus, posé une foule de questions. En un mot, ils auraient empiété sur son territoire conjugal, chose qu’elle refuse en bloc.
Par conséquent, c’est une certaine idée de l’ingérence dans l’intimité qui est repoussée et à ce titre ses beaux-parents présentent un danger. En cela, la relation beau-parentale symboliserait l’idéal-type de la « relation froide » 732 . A rebours, ses parents ont semble-t-il mieux accepté leur gendre, lui ont montré plus de « chaleur ». Les relations inter-familiales prennent ici deux tournures différentes. A la lumière de la relation ainsi décrite, nous ne retrouvons que partiellement les propositions avancées par certains sociologues de la famille 733 . Si nous devinons bien l’établissement d’une « bonne distance » entre Stéphanie et ses beaux-parents, celle-ci paraît pourtant moins négociée que commandée par la situation. D’ailleurs, elle ne cherche pas à jouer la pédagogue avec eux. Le fait que son mari n’ait apparemment rien trouvé à redire à cette proscription implique alors soit un accord conjugal, soit une « sujétion » de celui-ci – c’est Stéphanie qui tient et gère les finances. Nous ne rencontrons pas, de plus, une parfaite symétrie des relations beaux-parents/bru et beaux-parents/gendre. En définitive, l’attitude de Stéphanie est non seulement dictée par la prudence, mais aussi par la place qu’elle désire donner à son « moi conjugal » 734 . Liberté patrimoniale, liberté domestique et liberté conjugale vont de pair.
Cf. Théodore CAPLOW, Deux contre un, op. cit., p. 116 sq.
Cf. François DE SINGLY et Clotilde LEMARCHANT, « Belle-mère et belle-fille : la bonne distance », in Martine SEGALEN, Coordonné par, Jeux de familles, op. cit., p. 119-136.
Ibid.