Notre enquête auprès des porteurs de parts nous donne principalement à voir des frictions entre associés qui peuvent être résolues avec un peu d’imagination au moyen de clauses statutaires ou d’aménagements contractuels. Les conflits ouverts, convulsifs, violents, tranchés par la justice sont plus difficilement perceptibles. On ne s’épanche pas avec facilité et plaisir sur des blocages sérieux et des règlements de comptes, à plus forte raison encore quand il s’agit de conflits familiaux, quasi insondables – loi de l’omerta ? A dire vrai, nous avons seulement recueilli trois témoignages de différends profonds entre associés, ce qui semble insignifiant et en même temps révélateur de l’empreinte contentieuse et judiciaire laissée par les SCI et les sociétés civiles de patrimoine en particulier ces dernières années 735 .
Lorsque nous employons le terme de « différend », nous l’entendons aussi bien dans son sens juridique que dans son sens politique, à savoir « ce qui porte sur l’application ou l’interprétation du droit existant » et « ce qui n’est pas susceptible d’un règlement prenant pour base le droit existant et ne peut être résolu que par l’abandon de la prétention de l’une des parties ou par une modification du droit positif » 736 . Dans certains cas, le droit préventif atteint ses limites. Les associés pris dans le maelström d’un conflit ne souhaitent pas renoncer à leurs droits, dénoncent la privation de leur prérogatives, des incuries gestionnaires ou de grosses lacunes administratives et saisissent les tribunaux pour trouver une solution. Il y a toujours quelqu’un qui est pris pour cible.
‘« Il n’y a quand même pas cinquante sortes de conflit. Il peut y avoir un gérant qui est un peu despotique, mais le gérant d’une SCI il n’a pas grand chose à faire. Qu’est-ce qu’il fait ? Il loue ses immeubles le mieux possible, il encaisse ses loyers, le mieux possible également, et il fait face aux réparations qui sont à faire. Donc qu’est-ce qu’on peut lui reprocher ? De faire trop de réparations tassant trop la répartition des résultats, c’est tout… Alors comment on agit. Ben bien souvent, s’il s’agit d’une société civile familiale, on essaye d’arranger les choses et d’arrondir les angles. Si on ne peut pas les arrondir, après les gens vont au tribunal et il y a un certain nombre de litiges importants en matière de sociétés civiles. Après bon, il y a les litiges qui sont propres au droit des sociétés : des cessions de parts qui sont intervenues sans respecter les clauses d’agrément, des entorses aux statuts… font qu’il peut effectivement y avoir des litiges qui ne sont pas réglés par la négociation et les transactions mais qui sont réglés par les tribunaux civils […] »Pour cet avocat spécialiste en droit des sociétés, la négociation ne règle pas tout. Bien qu’il en soit a priori un partisan, il est impuissant face à la détermination d’associés excédés qui veulent en découdre devant les juges. La négociation – la quête d’un accord au moyen de procédures ad hoc –, la concertation – l’harmonisation des conduites respectives – et la conciliation – la démarche visant à mettre fin de façon non contentieuse à un différend – n’ont pas produit les effets tant espérés par le praticien et certaines parties. Les tribunaux deviennent alors arbitres d’une situation confuse pour laquelle la médiation du praticien a échoué, « le jugement imposant l’issue de la discorde » 737 . Il est aussi par moments stupéfait et impuissant face à la violence des affrontements entre associés, celle-ci manifestant une radicalisation du conflit :
‘« Vous savez, j’ai vu des associés de SCI qu’on réunissait tous les ans dans une grande salle de réunion et il y en avait quelquefois qui passaient par-dessus la table pour taper ceux qui étaient en face (rires). Donc là, on arrive à un stade où on ne peut plus rien faire. »Quatre points ressortent plus ou moins explicitement de cet avant-propos :
Cf. Henri HOVASSE, « Les sociétés civiles de patrimoine », Droit et patrimoine, n° 61, juin 1998, p. 46-48. Le nombre croissant d’arrêts de jurisprudence touchant ces sociétés est aussi, pour l’auteur, le signe de leur développement actuel.
Simona ANDRINI, « Conflit » in André-Jean ARNAUD (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op. cit.
Cf. Louis ASSIER-ANDRIEU, Le droit dans les sociétés humaines, op. cit., p. 174.