Des ripostes au parfum de représailles

La conduite de Solange nous instruit sur un autre stade du processus conflictuel. En quittant la gérance et en sollicitant la justice, elle réplique à la calomnie ou à la médisance. Attaque/contre-attaque donc. Robert, quant lui, à travers les propos d’airain qu’il emploie, agit un peu différemment. Il faut dire que le contexte n’est pas tout à fait le même. Sa riposte ressemble davantage à de la rétorsion ou à des représailles. Il est vrai qu’avec son frère et sa sœur, il est un peu coincé entre Charybde et Scylla. Ce qui est remarquable dans sa réponse, c’est que le respect du droit légal côtoie un type de sanction plus clanique, proche de la loi du talion : « Œil ou œil, dent pour dent ». Robert a de la ressource :

‘Q – Dans la SCI où vous avez des soucis, vous ne pouvez pas remettre votre mandat en jeu ?
« Ce que je voudrais faire en fait, c’est surtout me débarrasser de la personne qui n’a rien compris à ce qu’est une SCI. C’est éventuellement l’opération qu’on va faire »
Q – Comment ça va se passer ? Vous allez utiliser les statuts ?
« Oui. Je les ai bien regardés parce qu’ils ont été bien faits. J’aurais pu les utiliser avant et déclencher des guerres, mais des procès dans ma vie professionnelle, j’ai dû en avoir une trentaine alors… J’en gagne, j’en perds. Je ne cherche plus la bagarre (sourire). Par contre, ce qu’on a toujours fait, on a mis toutes les comptabilités sur ordinateur. Ça a été long à mettre en place et au début on a patiné […] »
[Robert, PDP 12]’

Afin d’enrayer les manœuvres de sa sœur et son action intentée devant les tribunaux, il envisage, secondé par un avocat, de s’appuyer sur les statuts de la SCI pour dixit « s’en débarrasser ». Puissance de l’écrit ! Elle semble lui reprocher un abus de majorité mais Robert excipe de son légalisme et de sa probité. Elle devra prouver aux juges que l’affectio societatis est rompu et que le désaccord est rédhibitoire. Elle a donc pour objectif de faire dissoudre les deux SCI et de récupérer sa part indivise de l’ensemble. En tant que gardien de l’esprit familial, Robert ne goûte que modérément à la stratégie de sa sœur et c’est pourquoi il s’investit pleinement dans la préparation de l’audience. Il sait qu’il devra contre-argumenter en s’aidant non seulement des clauses statutaires mais aussi de la jurisprudence. Il devra prouver que ce n’est pas lui mais bien elle qui est à l’origine de la mésentente par son opposition infondée aux décisions sociétaires (cf. supra). Il prend conscience que la communauté patrimoniale familial est « profanée » et se redécouvre une âme de procédurier, comme tend à l’attester les nombreux procès qui ont émaillés sa carrière professionnelle. Il veut « l’obliger à vendre ses parts » dans le but d’un rachat par ses enfants qui, eux, ont adhéré sans réelle réserve à l’esprit des montages. Vu qu’elle ne donne rien, autant l’obliger à rendre ou faire en sorte qu’elle se dédise. Pourtant, sa future contre-attaque judiciaire n’est pas sa seule arme :

‘« […] Le cas de ma sœur est typique. C’est quelqu’un qui est rentré dans une SCI sans comprendre et lorsqu’on on a eu des problèmes à la suite d’un procès qu’on avait perdu (i.e. contre un constructeur qui a déposé le bilan), j’avais fait appel à la population pour sortir de l’argent. Mon frère et ma sœur m’ont gentiment dit non »
R – Ils ont refusé ?
« Ils ont refusé platement. J’étais le grand frère gérant qui n’avait qu’à se débrouiller seul ! »
Q – Qu’est-ce que vous avez fait ?
« Ben j’ai simplement mis l’argent moi-même puis après je l’ai repris en me donnant des intérêts. J’ai trouvé ça un peu vache de leur part parce que c’était juste au moment de la création de ma SARL ; j’avais d’autres soucis. »
[Robert, PDP 12]’ ‘« […] Moi je me suis opposé à la rentrée de ma sœur dans la dernière SCI parce que voyant les ennuis qu’elle m’avait causés dans les deux autres… J’ai donc utilisé le droit de veto qui était dans les statuts. Donc, elle a été éliminée (sic). Il fallait la dédommager et elle a été dédommagée. Dans la troisième SCI, elle refuse que mes enfants y rentrent et comme il y a la même clause, on est un peu bloqués. Mais j’ai regardé avec un avocat et on devrait pouvoir débloquer la situation sans difficulté. Puis elle a fait la bêtise de nous assigner pour la dissolution des deux sociétés. Alors, on n’a aucun problème devant tribunal, lui faire comprendre que si elle veut s’en aller, elle peut s’en aller. Elle n’a qu’à vendre ses parts et puis c’est tout, on n’en parle plus. »
R – Vous l’avez dédommagée ?
« On était obligés parce que c’était un bien qui venait en partie par un héritage. Donc on a donné des terrains qu’on n’a pas eus, c’est tout. »
[Robert, PDP 2]’

Quand son frère et sa sœur n’ont pas accepté de le suivre dans son appel à souscription, a priori obligatoire à la lecture des statuts, il n’a pas invoqué des arguments juridiques. Il a préféré se taire devant un tel camouflet et avancer l’argent nécessaire à leur place, mais s’est par la suite remboursé en taxant leur part dans le compte-courant de forts intérêts. Il n’a eu aucun remord à franchir le Rubicon, c’est-à-dire à enfreindre cette règle anthropologique voulant qu’on ne prenne pas d’argent à ses proches (cf. supra, § 10.2). Suite à ce problème, il a aussi refusé que sa sœur intègre le capital de la troisième SCI familiale, utilisant à cette occasion son droit de veto et ses prérogatives de gérant. De même, toujours en guise de rétorsion, il a blackboulé ses neveux et nièces, ne souhaitant pas qu’ils profitent, à l’instar de ce qui s’était passé pour ses propres enfants, des cessions de parts pour rentrer dans les SCI. Ceci a eu pour effet de tendre encore plus le fonctionnement sociétaire, de nuire aux décisions d’investissement ultérieures – « J’avais un projet d’extension du port mais lors de l’AG, ils m’ont fusillé (sic) ! » –, et de dégrader autant l’ambiance générale que les sociabilités familiales : sa sœur boude dorénavant toutes les réunions et festivités organisées au moins une fois par an.