11.4 Conclusion

Pour prévenir l’apparition et l’amplification incontrôlable de conflits entre associés sociétaires, le droit offre plusieurs alternatives techniques possibles retranscrites sur le support statutaire. Parmi elles, les cessions de parts (dans leurs modalités), la démission – dont nous avons dessiné quelques figures – ou le retrait organisé et des clauses contractuelles spécifiques, rédigées en fonction de stratégies économiques et politiques prédéfinies, de coutumes ou d’habitudes groupales que l’on prétend ardemment sauvegarder et perpétuer. Les mœurs et certaines dispositions affectives font à cet égard office de régulateurs. Elles possèdent une force normative tout aussi importante que les règles juridiques explicites. En somme, ces deux registres d’action et de représentation s’indexent l’un à l’autre dans le but de restreindre et de soumettre toute déviance.

Toutefois, le droit peut, dans des circonstances précises, montrer ses limites. Dès cet instant, les autres forces normatives prennent le relais. Rongé, le contrat sociétaire perd de son efficacité prophylactique, si bien que les normes et valeurs morales, infra-juridiques, coutumières, sont agitées haut et fort. Une sorte de plan B pour recadrer des associés « subversifs ». Le droit sociétaire ne règle pas tout les problèmes d’ordre relationnel. Lorsque les tensions font surface et se transforment en conflits ouverts, nous pouvons y voir aussi bien un effet pervers de la liberté contractuelle protégée par le droit positif que la conséquence de toute une série de facteurs endogènes-exogènes, plus ou moins indépendants de la volonté des rédacteurs. Ceux-ci pourtant n’éludent pas les occurrences d’une éventuelle dégénérescence groupale, mais leurs scénarios et prédictions, quand bien même ils ont des données personnelles tangibles entre les mains et en pressentent les augures, se heurtent aux aléas existentiels, à la dissymétrie des calendriers ou des trajectoires d’associés, aux non-dits familiaux, aux incertitudes temporelles et aux changements des macro-contextes. Tout n’est pas si rationnel et programmable.

Plusieurs sources et/ou expressions de discordes, différends et conflits sociétaires ont pu être identifiées et, selon les cas, connectées entre elles : égalité capitalistique, inégalité socioéconomique, appartenance professionnelle, mauvaise compréhension intellectuelle ou technique, désaffection ou désintérêt permanent, manque d’implication, méconnaissance des principes juridico-financiers, statuts mal écrits, valeurs et normes morales souillées, autorité trop forte d’un seul associé, infraction à ses devoirs, humeurs des hommes et leur compatibilité relative, cohabitation communautaire irritante avec choc internormatif des règlements, dissensus pré-contractuels et extra-sociétaires plus anciens, abus de confiance.

Les réponses fournies à ces problèmes ne sont pas pléthoriques. Soit, au pire, les « victimes » se complaisent dans leur situation, laissent passer l’orage et « respectent », nolens volens, le jeu contractuel – normalisation –, soit elles passent à l’action, avec pour objectif de renverser un ordre établi ou l’équilibre instauré contre leur gré, de rendre publique la crise. Pour réduire leur insatisfaction, témoigner de leur déception, lutter pour leurs droits élémentaires, elles peuvent se faire appuyer par des praticiens spécialistes de la résolution des conflits et/ou, phase extrême, solliciter la justice. Si leur mécontentement n’est pas pris en considération et réglé par une négociation, plus ou moins âpre selon les cas, elles aspirent à faire défection, d’où le recours périodique aux tribunaux pour trancher les différends. Auparavant, elles avaient déjà essayé de défendre leurs arguments, refoulant ainsi une partie du cadre contractuel originel. L’émotion peut ce faisant prendre le pas sur la raison et il n’est pas rare de voir des coalitions ou des contre-groupes d’associés se former.

Avec la judiciarisation des relations, les (r)éveils identitaires et le processus de résiliation contractuelle atteignent un stade très avancé pouvant conduire à la dissolution de la SCI. Praticiens et juges sont, chacun à leur niveau, confrontés à la puissance des enjeux de pouvoir sociétaire, que ceux-ci soient patrimoniaux, politiques, statutaires, symboliques, moraux et, partant, à des climats passionnels qui peuvent encore aujourd’hui provoquer leur effarement.