Remarques en guise d’ouverture

Etant donné que nous avons pris la décision de ne pas continuer, dans l’immédiat, l’aventure dans le monde académique, nous n’avons pas réellement, ni rigoureusement, creuser de nouvelles pistes de travail. Néanmoins, nous pouvons faire trois remarques à l’attention de ceux ou de celles qui souhaiteraient reprendre le flambeau et aller plus loin.

Au moment où nous écrivons cette conclusion, deux changements législatifs et réglementaires importants sont apparus : l’allègement des droits de succession en ligne directe et au profit du conjoint survivant, par la loi de finances pour 2005 770 et l’obligation pour les associés de SCI d’être déclarés au Registre du Commerce et des Sociétés, par le décret n° 2005-77 du 1er février 2005 771 . Ces deux nouveautés peuvent-elles freiner l’essor des montages sociétaires ? Nous ne le pensons pas tout à fait. Alors que la première mesure octroie une franchise d’impôt sur les successions jusqu’à 100 000 €, la seconde, dans le prolongement de la loi NRE de 2001 sur la transparence des transactions financières, renforce le formalisme légal touchant les SCI. Jusque-là, seuls les gérants étaient tenus de publier leur civilité et leur régime matrimonial au RCS.

La première mesure va peut-être limiter les petits montages sociétaires, sans toutefois remettre en cause les plus grosses opérations patrimoniales à visée fiscale et d’organisation dévolutive. En revanche, la seconde peut mettre fin aux montages organisés à des fins de discrétion patrimoniale. Les praticiens attachés à l’essence de l’outil sociétaire seront plutôt ravis. L’évocation de ces deux aménagements illustre la mouvance des environnements socio-juridiques dans lesquels peuvent évoluer les porteurs de parts et les agents économiques en général. Notre recherche est contextualisée, centrée sur la période 1978-1998, ce qui prouve que toute analyse sociologique digne de ce nom est historique. Certaines observations peuvent subir l’usure du temps mais c’est un des aléas de la recherche. Attention donc à ce que ces changements macro-contextuels ne viennent pas trop déranger l’analyse des comportements, stratégies et logiques d’action. La vérité d’un jour ne sera pas forcément celle du lendemain. Quand on traite des objets juridiques, les recadrages politiques sont inévitables.

Durant notre enquête, nous avons été frappé de voir à quel point les enquêtés, porteurs de parts et praticiens confondus, aimaient à discourir sur le moral, l’éthique, l’immoral et l’amoral. Comme si ces principes, alimentant conduites et croyances, avaient par moments plus d’impact que le droit légal… si bien qu’ils l’ignorent ou le sous-estiment souvent. Ceci nous a invité à repérer une autre facette des logiques déontiques et à confirmer un attachement à des valeurs que le droit n’escamote pas, mais que la sociologie et même l’anthropologie appréhendent bien par tradition. Bien que nous n’ayons pas proposé un modèle de portée générale, les confrontations et/ou les combinaisons entre droit et morale(s) devraient être plus souvent approfondies.

En fin de compte, nous avons trouvé fécond d’apporter, quand cela fut faisable, des éléments de réponse socio-anthropologiques aux logiques et processus étudiés. Aborder les relations socio-contractuelles entre porteurs de parts puis, surtout, les relations fiduciaires et commerciales entre ceux-ci et les praticiens en termes de symbolisme, don, contre-don, réciprocité, honneur, loyauté, oralité/écriture, etc., permet de dépasser les simples catégories d’intelligibilité utilitaristes. Même si elles possèdent une valeur intrinsèque, celles-ci ne représentent pas une fin en soi. Il en a été de même pour l’intégration analytique d’éléments de réponse psychologiques et affectifs, trop souvent oubliés, à notre sens, dans les travaux que nous avons pu lire. La sociologie ne perdra pas son identité à davantage brasser ces clés. C’est du moins celle qui nous plaît et que nous attendons…

Notes
770.

Cf. Le Tout Lyon en Rhône-Alpes, 25 septembre-1er octobre 2004, p. 78.

771.

Circulaire n° 14/2005 du Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce, avril 2005.