CHAPITRE I : LE NORMAL ?

« La pathologie nous apprend à connaître un grand nombre d’états dans lesquels la délimitation du moi avec le monde extérieur devient incertaine, ou dans lesquels les frontières sont tracées d’une manière vraiment inexacte ; des cas où les parties du corps propre, voire des éléments de la vie d’âme propre, perceptions, pensées, sentiments, apparaissent comme étrangers et n’appartenant pas au moi, d’autres cas où l’on impute au monde extérieur ce qui manifestement a pris naissance dans le moi et devrait être reconnu par lui. Ainsi donc le sentiment du moi est lui-même soumis à des perturbations et les frontières du moi ne sont pas stables. »
Sigmund FREUD, Le malaise dans la culture, 1929.

Le terme « autisme » est entré depuis quelques années dans un emploi relativement usuel du langage courant. En conséquence, sa définition ne se limite plus à un syndrome en lui-même mais en des troubles caractéristiques de comportements déviants perceptibles chez tout un chacun. La dénomination d’un caractère « autiste » est dès lors employée pour toute personne quelque peu repliée sur elle-même, ayant du plaisir à l’isolement, peu à l’aise dans les contacts sociaux ou ne sachant pas utiliser correctement les normes sociales.

L’utilisation de ce terme dans le langage courant trouve son origine dans une initiative d’information de la part des associations de parents d’enfants porteurs du diagnostic d’Autisme Infantile ou d’une pathologie proche. Ces derniers souhaitaient informer le grand public sur l’existence de la pathologie de leurs enfants, sur leur souffrance de parents d’un enfant porteur de troubles autistiques, et de fait, de la nécessité à leur venir en aide en termes de moyens publics et de recherche. Cette méthode a eu un profond impact sur le plan institutionnel : dans les moyens offerts aux associations, à la recherche et par rapport au regard social. Le succès en terme d’information au grand public a été tel que nous avons abouti au phénomène évoqué précédemment : l’utilisation de cette définition d’ordre nosographique – psychiatrique – comme caractéristique du comportement individuel.

L’étendue du phénomène médiatique a permis de nombreuses avancées dont nous pouvons nous réjouir : ouverture d’institutions spécialisées, développement de formations spécifiques aux soignants, aide à la recherche, meilleures représentations sociales de ces personnes et de leur famille… Une conséquence plus inattendue a été l’impact sémiologique similaire dans le domaine médical. Les chercheurs se sont eux aussi mis à élargir le champ des caractéristiques autistiques à des sujets non porteurs d’un syndrome nosologiquement défini. Ces nouvelles orientations ont alors remis en question la validité d’une entité propre à une pathologie mais elles ont également donné lieu a des interrogations beaucoup plus vastes sur la délimitation de toute pathologie.

Comment établir les limites d’un syndrome en totale dépendance avec les caractéristiques individuelles des sujets, leurs troubles associés, leur âge de développement et leur contexte bio-psycho-social ?

Cette notion de délimitation nous semble importante dans le cadre de nos réflexions heuristiques. Ce travail de redéfinition nosologique pourrait nous permettre de mieux comprendre l’étendue de cette dénomination pathologique (Padioleau & Ratel, 2003) et donc l’origine propre de ce terme de « troubles autistiques ».