La question de limite

Toutes les pathologies ne sont pas d’une évidence diagnostique. Certaines sont génétiquement définies, par exemple la trisomie 21, d’autres sont moins porteuses de connaissances, principalement certains troubles du comportement. Le temps où les pathologies étaient évaluées sur de purs critères quantitatifs est révolu. L’époque de l’antipsychiatrie a joué un rôle prépondérant dans cette évolution du mode de pensée au point même de tomber dans l’extrême inverse.

Les troubles schizophréniques ont été les plus touchés par cette révolution nosographique. Les revendications étaient telles que certains allaient jusqu’à considérer le sujet porteur de troubles comme seul personnage sain dans une société malade (Cooper, 1967). Nous retrouvons ici la définition d’une atteinte pathologique issue du modèle exogène, où l’objet externe est totalement responsable. Cette période a vécu une perte de repères en ce qui concerne la simple définition de « maladie ». Il s’est alors développé une confusion entre maladie mentale et trouble de la vie de la relation (Ey, 1977).

Dans un autre contexte sociétal, la confusion actuelle sur les troubles autistiques n’aurait-elle pas les mêmes conséquences au niveau nosologique ? L'amalgame entre les troubles autistiques, les troubles du comportement, les syndromes autistiques et les comportements de type autistiques, n’engendre-t-il pas une perte de la définition d’un syndrome spécifique, au sens psychopathologique du terme ?

A partir de quelles caractéristiques comportementales pouvons-nous aborder l’hypothèse psychopathologique ? Quelles limites pouvons-nous mettre en place afin de distinguer le normal du pathologique, ou simplement, de l’original ? Cette question ne trouvera pas sa réponse dans cette étude mais sa réflexion pourra nous orienter dans notre objectif de mieux appréhender les difficultés de définition de l’Autisme Infantile.

Au cours de son développement, l’enfant rencontre des périodes plus ou moins difficiles qui l’amènent à affronter ses angoisses et à exprimer ses affects. Ces comportements peuvent se révéler par l’émergence de conduites quelque peu déviantes. Certains enfants trouvent des moyens de défense grâce à leur imaginaire, d’autres par des confrontations ou des provocations à l’adulte. À un certain niveau, ces comportements sont considérés comme « normaux » et mêmes nécessaires à un bon développement. Cependant, s’ils sont trop intenses, ils peuvent être perçus comme inquiétants pour la « bonne évolution » des enfants.

A l’opposé du modèle précédemment cité, nous aboutissons ici à une définition du modèle endogène, c’est-à-dire d’un trouble issu de l’intérieur du sujet. Ce modèle inclus les notions de tempérament, de constitution, de disposition, de prédisposition, d’hérédité, de patrimoine génétique, mais également de ressources d’autodéfenses. Bien entendu, les causes de ces troubles sont plus difficilement localisables que dans un modèle exogène où, comme nous l’avons dit, l’objet externe est totalement responsable. Au niveau du modèle endogène, nous ne pouvons isoler les causes des troubles au sein de l’organisme car elles peuvent provenir d’un déséquilibre général du fonctionnement interne du sujet.

A partir de quand pouvons-nous décider qu’un enfant nécessite un soutien psychique et éducatif plus intense ? Si la considération pathologique est trop large, nous risquons de mettre de nombreuses personnes dans une même catégorie nosographique, et donc d’intensifier le flou entre le normal et le pathologique ?

Où situer la frontière entre un enfant trop expressif ou trop absent ?

L’a-normalité ou la limite du pathologique peuvent être considérées à partir du moment où un sujet, par son comportement, entraîne de nombreuses perturbations dans son environnement. Dans certains cas, ce constat est un bon outil d’évaluation des contraintes qu’il entraîne. Par exemple, lorsque les parents doivent modifier ou réaménager leur cadre familial pour le bien être de leur enfant porteur de rituels pathologiques.

Néanmoins, le réaménagement familial et social n’est-il pas une étape incontournable pour le devenir parental ? Avoir un enfant est un bouleversement. Par conséquent, où se situe la limite entre l’adaptation « normale / pathologique » de l’environnement pour le bien-être d’un individu ?

Ce concept d’adaptation peut être étendu à un domaine plus vaste que celui de l’adaptation sociale et familiale, vers le concept d’homéostasie du fonctionnement interne. Nous, êtres vivants, possédons cette propriété essentielle qu’est la faculté de maintenir la stabilité du milieu interne.

‘« Tous les mécanismes vitaux quelques variés qu’ils soient, n’ont toujours qu’un seul but, celui de maintenir l’unité des conditions de la vie dans le milieu intérieur. » (Bernard, 1903)’

Lorsque la stabilité du milieu intérieur est perturbée, il y a vulnérabilité à la pathologie. Un dérangement de l’équilibre normal conduit à une fragilisation. La défaillance physiologique primaire n’est pas le seul facteur en jeu dans le développement pathologique du sujet (Bernard, 1903). La limite entre le normal et le pathologique est donc celle que nous, praticiens, pouvons établir à l’aide des classifications.

Cette réflexion sur le concept de normalité va, non seulement, nous orienter sur les problèmes nosologiques actuels rencontrés au sein de l’Autisme Infantile, mais elle va également nous amener, au cours de notre étude, aux éventuels liens entre cette pathologie et d’autres pathologies à troubles autistiques.

Il nous paraît aberrant de vouloir rassembler, Rainman, Albert Einstein, Andy Warhol, Bill Gates et bien d’autres (Ratel, 2003) sous le terme d’autisme. Toutefois, ces descriptions nous amènent à soupçonner une base autistique présente chez certaines personnes apparemment « normales ». En imaginant que leurs comportements autistiques soient beaucoup plus présents, serions-nous dans la même lignée pathologique que nos sujets ?

Ces réflexions nous amènent à remettre en question l’idée de continuum (Frith, 1991 ; Grandin, 1996 ; Aussilloux, 2002) au travers de l’hypothèse suivante : les différentes formes autistiques seraient porteuses d’un processus sous-jacent commun à diverses pathologies s’apparentant à la catégorie générale des troubles du comportement.

Quelles sont les caractéristiques communes à l’ensemble de ces personnalités « normales » dites « à troubles autistiques » ?