Rencontres

Rencontre avec soi-même

« Ogni dipingse se 1 . »
Leonard De VINCI

Quel chercheur en psychologie ou dans d’autres domaines apparentés ne saurait avouer qu’en tentant de comprendre une pathologie, un symptôme ou un comportement, il ne cherche des réponses sur sa propre personne ?

‘« C’est également par ses propres textes, en tant qu’écrivain et créateur de la psychanalyse, que Freud a travaillé ses propres identifications à son père (…) [qu’il] a pu élaborer sa relation aux objets internes ainsi que ses conflits psychiques. » (Monzani, 2001)’ ‘« Il [Freud] a projeté sa propre névrose sur le planétarium actuel et c’est là que réside une bonne part de son génie : sa névrose a donné un sens à la nôtre. » (Rodrigue, 2000)’

Nous pouvons compléter ces propos au travers de la célèbre expression de Rimbaud : « Je est un autre », c’est au travers de l’autre, de ce que nous avons été ou de ce que nous pourrions être, que nous nous découvrons. Cette attirance si particulière pour un sujet ou un objet, et donc pour une partie de nous-même, accentue nos intérêts et nos connaissances dont certaines données sont déjà en nous-même.

Parmi les éléments essentiels au développement de l’être humain et de son individualité, nous avons l’indispensable caractéristique du contact social. Nous sommes ici dans le registre de la relation, notamment de la relation comme objet de survie. Il nous parait impensable qu’il soit possible de survivre sans relation à l’autre. Dans un contexte très proche, le repli sur soi et la relation privilégiée avec soi-même font également partie intégrante du comportement et du développement humain. L’absence de contact avec l’extérieur est une des défenses accessibles aux individus face à un extérieur trop menaçant. Enfin, savoir se détacher de l’autre permet également cette relation privilégiée avec soi-même pour pouvoir, par la suite, mieux connaître l’autre au travers d’une meilleure connaissance de soi.

Nous apprenons à nous construire grâce à cette relation entre soi et l’autre. Ce fonctionnement n’est jamais unilatéral, il est perpétuellement en action, dans une sorte de réciprocité interactionnelle permanente.

Le syndrome de l’Autisme Infantile touche trois domaines particuliers : les interactions sociales, la communication, et les intérêts et comportements restreints.

Les deux premières catégories de troubles - les interactions sociales et la communication - sont des axes essentiels à l’apprentissage du développement et du fonctionnement de l’être humain au niveau psychique, social et développemental, à la survie psychosociale de tout être vivant. Une quelconque incapacité dans l’un de ces domaines peut avoir des conséquences majeures. Penser le trouble princeps de l’Autisme Infantile est penser la « non-relation » à l’autre, et donc l’absence de possibilité de se développer au travers de l’autre.

Est-ce que cette attirance pour ces caractéristiques autistiques ne révèlerait pas cette part en chacun de nous, ce désir inaccessible dans un contexte socialisé, de se déconnecter de ce monde si effrayant et non maîtrisable ? Nous serions dans une recherche de compréhension de cette incapacité à se passer de l’autre pour vivre.

La troisième caractéristique du syndrome de l’Autisme Infantile se compose de troubles du comportement. Ils sont à la fois révélateurs d’un renforcement de cette barrière autistique, mais également d’une confrontation à elle. Nous retrouvons ici les comportements composés de rituels, de restrictions, la recherche d’immuabilité, la peur du changement, de l’imprévu et de tout ce qui n’est pas maîtrisable. Ces comportements peuvent être perçus comme le reflet de notre lutte constante contre nos craintes et nos angoisses face au fonctionnement social et de ses aléas.

Les troubles autistiques nous confrontent au paradoxe de tout être vivant qui souhaite se créer sa propre identité en tant qu’individu séparé d’autrui mais forcément dépendant de l’autre pour survivre.

Si le terme « autiste » a eu un tel impact heuristique et médiatique ces derniers temps cela peut être dû à la révélation qu’il y a eu en chacun de nous, être vivant socialisé, la découverte d’une part cachée de nous-même au travers de notre rencontre avec ce syndrome. Tel un enfant qui tente de comprendre un nouveau mot en l’employant à tout va, l’utilisation aussi aisée de ce terme par le genre commun aurait pour but de découvrir sa signification.

‘« Ce qui différencia toute recherche sur l’homme des autres types de questions rigoureuses, c’est précisément ce fait privilégié que la réalité-humaine est nous-mêmes : "l’existant dont nous devons faire l’analyse, écrit Heidegger, c’est nous-même. L’être de cet existant est mien". Or, il n’est pas indifférent que cette réalité-humaine soit moi parce que, précisément pour la réalité-humaine, exister c’est toujours assumer son être, c’est-à-dire en être responsable au lieu de recevoir du dehors comme fait une pierre. Et comme "réalité-humaine" est par essence sa propre possibilité, cet existant peut se "choisir" lui-même en son être, se gagner, il peut se perdre. Cette "assomption" de soi qui caractérise la réalité-humaine implique une compréhension de la "réalité-humaine" par elle-même, si obscure que soit cette compréhension. "Dans l’être de cet existant, celui-ci se rapporte lui-même à son être". C’est que, en effet, la compréhension n’est pas une qualité venue du dehors de la réalité-humaine, c’est sa manière propre d’exister. Ainsi la réalité-humaine qui est moi assume son propre être en la comprenant. Cette compréhension, c’est la mienne. Je suis donc d’abord un être qui comprend plus ou moins obscurément sa réalité d’homme, ce qui signifie que je me fais homme en me comprenant comme tel. Je puis donc m’interroger et, sur les bases de cette interrogation, mener à bien une analyse de la "réalité-humaine", qui pourra servir de fondement à une anthropologie. » (Sartre, 1938)’
Notes
1.

« Tout peintre se peint lui-même »