Guillaume

Guillaume est un jeune garçon également suivi de l’âge de quatre ans et demi à l’âge de six ans. Il faisait partie de la même institution que Thierry et était généralement intégré aux mêmes groupes. Nous avons donc côtoyé ces deux enfants à la même période et dans un contexte institutionnel équivalent.

L’anamnèse de Guillaume est assez caractéristique des sujets dits « autistes classiques ». Guillaume était un bébé considéré comme « trop sage ». Dès la naissance, il paraissait indifférent à son environnement. Il possédait d’importants troubles du regard et une absence de sourire.

Son langage était inexistant. Seule une mélodie écholalique se faisait entendre de temps à autres. L’unique évolution langagière perçue avec les autres membres de l’équipe a été celle d’une hypothèse d’imitation vocale lors des comptines et un semblant de « mama » s’échappant parfois. L’imitation gestuelle est apparue au cours de ces comptines, après de longues étapes d’adaptation au groupe. Il a commencé les premières séances par une simple présence, sa participation semblait quasiment impossible. Il s’est intégré au fur et à mesure du temps et de la confiance acquise au sein du groupe.

La caractéristique principale de Guillaume dans son comportement était son rapport aux sens.

Dans nos relations avec Guillaume, tous les membres de l’équipe avaient l’impression d’être de simples objets. Il lui arrivait de nous utiliser comme outil, comme fauteuil par exemple. Il donnait toutefois l’impression de nous reconnaître en tant qu’individu. A force de retrouvailles matinales avec Guillaume, les autres membres de l’équipe soignante et nous-même avions découvert une particularité dans nos étreintes avec lui : il nous sentait. Ce comportement nous a fait émettre l’hypothèse qu’il s’aidait de son odorat pour reconnaître les gens. Une attitude similaire était également présente avec les objets : alors que Guillaume possédait une hypersensibilité auditive et tactile, son odorat semblait l’aider dans sa relation à son environnement. Les autres sens paraissaient trop perturbés pour permettre une représentation du monde extérieur.

Les sensations corporelles utilisées comme intermédiaire entre lui-même et son environnement ont été découvertes principalement dans son utilisation de l’eau.

Guillaume avait une angoisse de morcellement relativement importante. Il paraissait avoir de grandes difficultés à délimiter son corps du monde environnant, l’utilisation de notre corps comme outils confirmait ces hypothèses. Afin de lui apprendre à découvrir son corps et ses limites, une infirmière a mis en place des bains thérapeutiques. La relation de Guillaume avec l’eau semblait tellement lui plaire que nous le laissions amener de l’eau lors d’autres séances groupales. Les bains thérapeutiques lui ont permis d’apprendre, dans un premier temps, la distinction thermique. Lors d’une séance groupale où Guillaume avait amené de l’eau il nous a fait découvrir son plaisir sensoriel dans sa relation à l’eau froide. Nous avons eu l’idée, avec une infirmière, de lui offrir à boire un verre d’eau assez froide. Les premières réactions ont été grimaçantes et interrogatives. Les jours suivant Guillaume a réclamé ses verres d’eau froide de manière régulière. Nous avons alors remarqué, par l’intermédiaire des expressions de son visage et de son corps, qu’il apprenait, au travers de l'infiltration de cette eau froide, à découvrir son corps. Son activité avec l’eau se déroulait de la manière suivant : il commençait par en mettre quelques gouttes sur le contour de sa bouche, sur sa tête, puis à se procurer d’autres sensations en tapant des pieds après avoir bu son eau. La découverte de l’intérieur de son corps lui a permis d’accéder à l’extérieur de celui-ci.

Guillaume a poursuivi ces expérimentations lors des repas. C’était un enfant très difficile au niveau de l’alimentation, il ne se nourrissait quasiment que de compotes. Il aimait également la pâte à tartiner et le miel. Tous ces produits sont des aliments qui collent au tube digestif et permettent de ressentir l’intérieur du corps. Nous avons alors eu l’idée d’aider Guillaume à développer ses sens, par l’intermédiaire de la nourriture, en l’initiant aux plats épicés. Guillaume, dans sa quête de sensations, a très bien accepté notre expérimentation.

Tels les jeunes enfants, Guillaume s’est découvert au travers des expériences que lui offrait son environnement sensoriel.

Le contact sensoriel tactile était fortement perturbé chez Guillaume. Nous pouvions le toucher uniquement quand lui le décidait et, apparemment, quand il nous percevait en tant qu’objet, en mode non-relationnel. Les étreintes matinales évoquées précédemment s’étaient instaurée plus en terme d’objet de reconnaissance de la personne rencontrée que dans un lien affectif (bien que Guillaume n’aurait jamais eu ce comportement avec un inconnu et l’offrait d’ailleurs uniquement aux personnes avec qui il était le plus en lien et en confiance).

Le niveau auditif paraissait être également très défaillant. Guillaume possédait une hypersensibilité auditive qui pouvait l’entraîner dans des souffrances relativement violentes.

Son monde environnant semblait être très douloureux pour lui. Le contact, la moindre ouverture au monde, étaient source d’angoisse.

Au fur et à mesure de son suivi Guillaume semblait plus à l’aise avec les personnes qui l’entouraient. Nous avions appris à nous comporter pour être le plus en adéquation possible avec lui et il avait appris à ne plus craindre cet environnement familier.

Guillaume a conservé de nombreux troubles autistiques. A notre séparation, à ses six ans, ses troubles sensoriels (auditifs, tactiles) étaient encore fortement présents, ses jeux ritualisés également, ainsi que sa difficulté de contact (troubles du regard, repli dans son univers en cas d’absence de sollicitations…).

Les deux enfants présentés ont tous les deux reçu le diagnostic d’Autisme Infantile, ils ont le même âge et ont bénéficié de programmes thérapeutiques équivalents avec les mêmes membres d’une équipe soignante. Pourtant, pour l’ensemble de cette équipe, ils étaient distincts. Ils n’étaient pas uniquement différents dans leur caractère mais particulièrement dans leur pathologie.

Nos rencontres avec des préadolescents et adultes au diagnostic d’Autisme Infantile nous ont amené au même constat. Les deux cas présentés semblaient pertinents à comparer, à la fois pour l’influence de la thérapie sur leur développement, du fait de leur jeune âge, et pour leur cursus quasi-similaire au niveau du soin.

Ces enfants appartenaient-ils vraiment à la même catégorie diagnostique ?