Rencontre avec son enfant

« Ma mère dit qu’elle ne savait plus quoi faire avec moi. Elle me regardait, incapable d’inventer quoi que ce soit pour créer le lien entre nous. Parfois, elle n’arrivait même plus à jouer. Elle ne me disait rien. Elle pensait : "Je ne peux pas lui dire que je l’aime, puisqu’elle n’entend pas". Elle était en état de choc. Tétanisée. Elle pouvait plus réfléchir. »
Emmanuelle LABORIT, Le cri de la mouette, 1993.

Cette citation ne provient pas d’un enfant à troubles autistiques, la réaction de la mère n’est pas celle d’une maman d’enfant à troubles autistiques, et pourtant… Son comportement vis-à-vis de son enfant pourrait être mal interprété si nous regardons uniquement la mère sans voir l’événement dans sa globalité. Cet extrait est le témoignage d’Emmanuelle Laborit sourde de naissance.

Comment réagir face à un enfant sourd ? Ce témoignage est un exemple de réaction nullement anodine. Pourtant, un enfant sourd « est juste sourd ». Alors, que faire face à un enfant à troubles autistiques qui, lui, non seulement semble ne rien entendre, mais ne cherche pas la communication, le jeu, l’échange…

Avant d’entreprendre ce travail de compréhension de la rencontre d’un parent avec son enfant porteur de troubles autistiques, étudions la rencontre d’un parent avec son enfant.

Que se passe-t-il à un niveau intrapsychique chez un parent, de l’annonce d’une grossesse jusqu’à sa rencontre avec son enfant « réel autonome » ?

Dans un article (Samyn, 2003) écrit lors d’une précédente recherche nous avons interrogé la question du lien chez le parent dans sa relation au fœtus, et donc la question du retour ultérieur de l’attachement prénatal, de ce qui est attendu en échange d’avoir transmis la vie.

Ces interrogations nous ont amené à travailler l’influence des interactions parents-enfant dans le développement psychique du nourrisson au niveau pré et postnatal. Ces réflexions sont un préambule à nos travaux sur la compréhension du développement des troubles au sein d’une pathologie autistique ; et l’influence de ceux-ci dans l’interaction intrafamiliale.

La rencontre d’un parent avec son enfant, et plus particulièrement d’une mère, s’effectue dès les premières sensations de la grossesse. Toutefois, l’enfant est là bien avant ces premières sensations.

Au début de la grossesse, M. Soulé (1982) parle d’une période de « blanc d’enfant ». L’enfant est éliminé au profit du vécu et de la représentation « d’être enceinte ». Progressivement, l’image de l’enfant apparaît dans le psychisme maternel, mais l’objet ne sera réel qu’à une date ultérieure. Peu à peu, plusieurs facteurs feront advenir ce fœtus à la réalité de la mère : les mouvements fœtaux actifs, la sollicitude et les questions de la part du père et de l’entourage, la signification symbolique favorisée et privilégiée par la valeur socioculturelle, la surveillance médicale et les examens techniques.

Ce décalage entre le biologique et la reconnaissance psychique peut être plus ou moins grand. Parfois, une méconnaissance persiste, dénégation maintenue de la présence du fœtus vivant. C’est alors qu’un examen médical demandé « pour une toute autre raison » en vient à découvrir que la femme est enceinte de plusieurs mois.

Comment est représenté cet enfant avant même ces toutes premières sensations ?