Ces enfants à troubles autistiques

L’absence de description de l’Autisme Infantile avant 1943 ne nous permet pas de poser le diagnostic de ce syndrome chez des sujets rencontrés avant cette date. Les cas suivants seront donc présentés comme à « troubles autistiques ».

Victor de l’Aveyron

« Quiconque vivrait absolument seul perdrait bientôt la faculté de penser et de s’exprimer ; il serait à charge à lui-même ; il ne parviendrait qu’à se métamorphoser en bête. »
VOLTAIRE Questions sur l’encyclopédie, 1770.

Au début du XIXème, Jean-Marc Gaspard Itard, médecin et pédagogue français, a fait la connaissance d’un enfant au comportement étrange. Ce jeune garçon qualifié d’« enfant sauvage » a été nommé par la suite Victor de l’Aveyron.

Itard a été l’auteur de nombreuses études sur les maladies de l’oreille, la rééducation de sourds-muets et la question du retard mental.

A l’époque, Victor reçu le diagnostic d’« idiotisme irrécupérable ». Pinel, qui avait examiné Victor avant Itard, l’a qualifié d’« idiot congénital ».

A la suite de la description de l’Autisme Infantile, le cas de Victor a engendré de nombreuses polémiques dans le monde de la recherche. Etait-il porteur de ce syndrome ? Si oui, cela était-il dû à son environnement précaire et défaillant ?

Les données écrites retraçant l’histoire de Victor ne débutent qu’à l’âge de ses douze ans, âge auquel il a été recueilli par le Dr Itard.

Voici la suite de la description de cet enfant (préalablement présenté en début du chapitre 2) issue du rapport du Dr Itard :

‘« Pour peu que l’on voulût juger de la vie passée de cet enfant par ses prédispositions actuelles, on voyait évidemment qu’à l’instar de certains sauvages des pays chauds, celui-ci ne connaissait que ces quatre choses : dormir, manger, ne rien faire et courir les champs. (…) Ainsi, par exemple, quand on observait celui-ci dans l’intérieur de sa chambre, on le voyait se balançant avec une monotonie fatigante, diriger constamment ses yeux vers la croisée, et les promener tristement dans le vague de l’air extérieur. Si alors un vent orageux venait à souffler, si le soleil caché derrière les nuages se montrait tout à coup éclairant plus vivement l’atmosphère, c’étaient de bruyants éclats de rire, une joie presque convulsive pendant laquelle toutes ses inflexions, dirigées d’arrières en avant, ressemblaient beaucoup à une sorte d’élan qu’il aurait voulu prendre pour franchir la croisée et se précipiter dans le jardin. Quelquefois, au lieu de ces mouvements joyeux, c’était une espèce de rage frénétique ; il se tordait les bras, s’appliquait les poings fermés sur les yeux, faisait entendre des grincements de dents et devenait dangereux pour ceux qui étaient auprès de lui. » (Itard, 1801).’

Nous retrouvons dans cette description de nombreux troubles de l’Autisme Infantile. Pouvons-nous de ce fait affirmer la pathologie ?

Comme nous l’avons exposé dans un précédent chapitre, dans son ouvrage L’énigme de l’autisme, U. Frith (1989) évoque le cas de cet enfant. Elle met un terme aux grands débats sur ce sujet en justifiant un point essentiel au diagnostic de l’Autisme Infantile : nous n’avons aucune connaissance sur le développement précoce de cet enfant. Pour elle, arrivé à un certain âge, de nombreux sujets à troubles autistiques ne peuvent plus recevoir le diagnostic d’Autisme Infantile s’ils ne l’ont pas eu plus tôt.

A l’époque, Victor a été décrit par J-M. Itard comme porteur d’un défaut de contact humain du fait qu’il avait vécu dans un isolement complet de la société et des hommes. Les conceptions théoriques de Itard étaient influencées par celles de Rousseau, Diderot et Condillac. Pour lui, la plupart des déficiences intellectuelles ne sont pas innées mais trouveraient leur origine dans l’absence de socialisation et de parole.

Ce regard théorique orienté vers des conceptions psychodynamiques n’empêchait pas Itard d’être ouvert à d’autres orientations. Ceci s’est illustré au sein de ses tâtonnements thérapeutiques. Sa méthode de traitement consistait à stimuler les différents sens de l’enfant par des exercices de plus en plus complexes visant à stimuler le raisonnement et le langage.

Ces recherches pour comprendre le syndrome particulier présent chez Victor tendaient à confirmer ses hypothèses sur la malléabilité du cerveau.

Dans son mémoire Sur le mutisme produit par la lésion des fonctions intellectuelles (1828), Itard a démontré que l’audition et la vision ne dépendaient pas exclusivement de conditions physiologiques. Il avait d’ailleurs noté un an auparavant qu’il existait des cas où l’ouïe la plus parfaite ne pouvait percevoir la parole. L’illustration du cas de Victor exposa l’influence évolutive du contact relationnel qui s’était développé entre l’enfant et la personne qui s’occupait de lui, Mme Guérin.

Néanmoins, l’ensemble des résistances présentées par Victor n’a pu être expliqué.

En insérant Victor dans le spectre autistique nous avons là un cas bien représentatif de troubles à la fois neurodéveloppementaux et environnementaux. La caractéristique primaire de son étiologie restera à jamais mystérieuse.

L’exposé de ce cas a eu une influence considérable sur les recherches futures. Ceci en termes d’aide à la découverte des troubles autistiques mais également pour mettre en exergue l’importance d’une approche interdisciplinaire pour comprendre les pathologies.

Victor n’a pas été le seul cas ayant remis en cause et stimulé la découverte de l’Autisme Infantile.

Dans la succession de J-M. Itard, Edouard Seguin a également procédé à quelques descriptions de cas.