Troubles sensoriels

« Mes oreilles se comportent comme un microphone qui ramasse et amplifie le son. J’ai deux choix : 1) je continue l’écoute et me laisse envahir par un déluge de sons, 2) je me coupe de la source des sons. Ma mère me disait que j’agissais comme une sourde. Mais les examens d’audition indiquaient que mon ouïe était normale. Je ne peux pas moduler les stimuli auditifs qui m’arrivent. Alors j’ai découvert que je pouvais me fermer à ces sons douloureux en inventant un comportement autistique, rythmique et stéréotypé. »
Temple GRANDIN, Mes expériences avec les problèmes sensoriels : La pensée visuelle et les difficultés de communication, 1996.

Les parents évoquent souvent une impression de surdité de la part de leur enfant. Le discours parental cible fréquemment le manque de réaction de l’enfant lorsqu’il est appelé par son prénom, et vis-à-vis de certains bruits de forte intensité. A l’inverse, de nombreux enfants réagissent douloureusement à certains bruits tels que celui de l’aspirateur ou de robots ménagers, ou de manière plus sensible à des sons très faibles tels que le grésillement d’un néon. Les réactions sont diverses et varient selon l’intensité du trouble. Certains enfants seront sujets à des crises d’angoisse assez importantes entraînées par certaines sonorités ou d’autres se boucheront les oreilles. Ces comportements paradoxaux sont également constatés du fait que de nombreux sujets considérés comme autistes sont fortement attirés par la musique.

Ces particularités sensorielles peuvent être présentes au niveau visuel, gustatif, olfactif ou cutané. On les retrouve par exemple, dans les jeux d’ombre et de lumière (absorption dans un rayonnement lumineux, le mouvement des doigts devant les yeux). De nombreux sujets au diagnostic d’autiste, en plus des troubles alimentaires d’ordre physiologique, ont des préférences sensorielles gustatives (couleur, texture) selon la sensation qu’il leur procure.

L’utilisation des sensations, principalement au niveau gustatif et olfactif, semble parfois les aider à reconnaître des objets ou des personnes. Tel un petit enfant, le sujet à troubles autistiques peut avoir besoin de mettre un objet dans sa bouche pour mieux se le représenter, ou sentir une personne pour la reconnaître. Ce lien sensoriel peut également avoir un rôle apaisant, être une forme d’autosensorialité rassurante qui se retrouve souvent chez un bébé avec sa tétine ou son doudou.

La réaction au contact cutané est tout aussi étrange que la réaction aux sensations auditives. Certaines textures peuvent entraîner des douleurs inexplicables. L’acquisition d’un nouveau vêtement est parfois difficile car celui-ci offre une sensation rêche qui révèle une distinction avec sa propre enveloppe corporelle, il devient un élément étranger en contact avec le corps. A l’inverse ils peuvent ne pas percevoir certaines sensations qui seraient douloureuses ou gênantes pour des personnes « normales ». Il peut arriver de voir des sujets autistiques sortir du centre en tee-shirt sous la neige sans aucune sensation de froid, ou toucher un objet brûlant ou de l’eau bouillante sans réaction douloureuse.

Le contact corporel de personne à personne semble provoquer des sensations de douleur similaires. Les sujets autistiques acceptent rarement d’être touchés dans un but interactionnel, tel un câlin, être pris dans les bras ou par la main. Le contact est en revanche plus facilement accepté s’il est hors contexte relationnel. Certains enfants « s’installent » parfois sur nos genoux à condition que nous acceptions de jouer le rôle de fauteuil et de ne pas rechercher d’autres formes de contact. De même, ils peuvent se servir de votre main comme d’un outil. Par exemple, il arrivait à Guillaume de nous « grimper » dessus (tel que sur un arbre) pour que nous le « serrions » dans les bras ou que nous le fassions tournoyer à des fins de satisfactions sensorielles. Guillaume faisait partie de ces enfants qui demandent d’être serrés dans les bras ; il se collait à notre torse afin d’être contenu comme un bloc à écraser afin de prévenir les crises. Cette technique semblait l’apaiser et le rassurer, principalement lorsqu’il était sujet à des angoisses de morcellement. Tous ces liens corporels sont à l’initiative de ces enfants et s’inscrivent dans une logique de relation de personne à objet, et non de lien interactionnel tel que l’entendrait un sujet « normal ».

Le grincement de dents est une autre forme d’expression corporelle. Thierry utilisait principalement cette sensorialité lors d’activités nécessitant une certaine concentration.

Ces comportements peuvent se retrouver dans le cadre des objets autistiques décrits par Tustin :

‘« …une déficience sensorielle affectant un mode de perception peut impliquer que les satisfactions sensorielles obtenues par l’intermédiaire d’autres organes prennent une importance excessive. » (Tustin, 1972)’

Les objets autistiques seraient une défense contre ces défaillances sensorielles, une compensation à une frustration interne. L’enfant peut y avoir recours en utilisant soit des parties de son corps, soit par des parties du monde extérieur (souvent ressenties par l’enfant comme appartenant à son corps).

La salive (en faisant des bulles), la langue (le suçotement d’objets), ou l’agrippement à des objets peuvent représenter des objets autistiques. Mais ces objets peuvent aussi s’exprimer par des activités répétitives ou stéréotypées. Les enfants concentrent alors toute leur attention sur ces activités pour échapper à l’angoisse menaçante de l’environnement.