Rappel historique

Dès 1956, des interrogations sont apparues sur l’âge d’entrée dans la pathologie des enfants au diagnostic d’Autisme Infantile. Dans leurs analyses, Eisenberg et Kanner (1966) ont remarqué que ce syndrome pouvait apparaître plus tard, après un développement apparemment normal au cours de la première ou des deux premières années de vie.

En 1976, Ornitz et Ritvo proposent de distinguer deux cas : dans le premier cas, les signes apparaissent dès la naissance, l’enfant a un « comportement étrange », il pleure rarement, n’a pas besoin de stimulation ni de compagnie, et devient rigide ou mou quand il est pris dans les bras. Dans l’autre cas, les parents décrivent un développement normal jusqu’à 18 ou 24 mois, moment où ils remarquent les premiers symptômes.

En 1977, Ornitz et coll. approfondissent leurs recherches en envoyant un questionnaire très détaillé à plus de cent parents d’enfants au diagnostic d’Autisme Infantile et normaux âgés de moins de 4 ans. La moitié des parents d’enfants au diagnostic d’Autisme Infantile ont répondu qu’ils n’avaient jamais pensé que « quelque chose n’allait pas » durant la première année de vie de leur enfant.

Des études plus récentes, telles que celle de Rogers et Di Lalla (1994) montrent que parmi 1512 enfants au diagnostic d’Autisme Infantile, 38 % développaient la pathologie avant 1 an et 40 % entre 1 et 2 ans.

En 1995, Fombonne évalue un âge moyen d’apparition des signes à 13 mois.

Notre recherche s’appuie plus précisément sur les travaux de l’équipe de Pise, coordonnés par Sandra Maestro et Filippo Muratori. Ces derniers décrivent plusieurs modalités de début du syndrome d’Autisme Infantile :

‘« ...une, la plus fréquente et la plus connue dans la littérature, que nous avons définie early onset coïncide avec les caractéristiques des cas décrits dans les études de Massie ; l’autre plus rare (le 30 % des cas observés par nous-même) que nous avons défini late onset, dans laquelle les symptômes apparaissent seulement après la première année de vie (Maestro, 1999). » (Maestro & Muratori, 2002)’

Lors de cette étude, S. Maestro et F. Muratori (1999) ont analysé les films familiaux de 26 enfants au diagnostic d’Autisme Infantile lors des moments clés de leur développement et de la vie familiale (anniversaires, Noëls, bains, premiers pas…). Ils se sont, pour cela, aidés de la grille ERC-A-III de Lelord et Barthélemy, puis ils ont classé par étapes l’évolution des enfants : 0-6 mois, 6-12 mois, 12-18 mois, 18-24 mois, et 24-36 mois.

Les résultats révèlent une absence de significativité entre les items avant 12 mois. Les principales distinctions entre 12 et 18 mois concernent les items suivants : Difficulté à communiquer par les gestes et la mimique (item 6) ; Emissions vocales, verbales stéréotypées, écholalie (item 7). Après 18 mois de nombreux items deviennent significatifs : Recherche l’isolement (item 1) ; Ne s’efforce pas de communiquer par la voix et la parole (item 5) ; Troubles de la conduite vis-à-vis des objets (item 9) ; Intolérance au changement, à la frustration (item 11) ; Activités sensori-motrices stéréotypées (item 12) ; Mimique, posture et démarche bizarres (item 14) ; Troubles de l’humeur (item 18).

De cette analyse sont ressorties trois formes de début et d’évolution :

C’est la forme de début la plus fréquemment décrite en littérature. Elle est d’évolution lente et progressive, donc souvent difficile à détecter. Les enfants ont des troubles de l’humeur dès le début. Dès trois mois, ils sont hypotoniques et manquent d’ajustement postural. Leur comportement dénote une certaine indifférence, une apathie ou une humeur dépressive.

Cependant, ils ne paraissent pas présenter de problèmes immédiats dans le domaine des compétences sociales : ils montrent quelques capacités de communication, une attention aux objets et aux stimuli environnementaux ; mais l’attention est limitée en vivacité et en échanges interactifs. Les relations émotionnelles s’amenuisent d’autant plus avec l’évolution. (Ce groupe rassemblait 10 enfants).

C’est le type le plus décrit au travers des films familiaux. Il se caractérise par une période de développement normal, généralement jusqu’à 18 mois : réactions aux stimuli environnementaux, gestes communicatifs, intérêt pour les autres et bonne expression du regard.

Brutalement des changements apparaissent : l’enfant passe d’une situation de contact social à une indifférence et à l’isolement. (Ce groupe rassemblait 11 enfants).

Pendant les premiers mois de vie, ces enfants montrent un ralentissement du développement postural et des initiatives motrices accompagnées d’hypo-réactivité aux stimuli environnementaux. L’évolution alterne entre émergences sociales et pertes de contact. (3 enfants répondaient à ces critères de ce groupe).

A partir de cette première analyse, les auteurs se sont interrogés sur les éventuelles différences entre les modalités d’entrée dans l’Autisme Infantile.

Pour eux, le premier type, nommé « progressif », semble sous-tendu par un aspect clinique non négligeable : la suspicion d’un trouble de l’humeur chez ces enfants, chez les parents et dans leurs interactions. Les auteurs s’interrogent sur le lien entre ces comportements et la dépression chez le bébé. Ils précisent, cependant, que leur définition de la dépression dans ces cas précis est différente de la pathologie clinique que nous connaissons. Avant d’avancer de plus amples suggestions, les auteurs proposent d’approfondir ces réflexions au travers d’autres travaux de recherche en ciblant particulièrement les interactions entre les enfants porteurs de cette pathologie et les parents.

A partir de ces analyses de données, nous nous interrogeons à nouveau sur l’influence de l’environnement dans l’Autisme Infantile, telle que nous l’avons précédemment présentée (au Chapitre III) par le « processus autistisant » proposé par J. Hochmann. À la lecture des résultats, ces enfants dont les troubles se développent précocement, ne seraient-ils pas encore plus sensibles aux réactions de leur environnement que les autres enfants à troubles autistiques ? La fragilité autistique présente chez certains enfants, dont l’hypothèse a été émise au Chapitre II, est peut-être encore plus porteuse de vulnérabilité, de sensibilité environnementale que dans les autres formes de développements autistiques à début tardif.

Le second cas, qualifié de « régressif » par les auteurs, les conduit vers deux hypothèses de causalités. Soit il y aurait perte des acquisitions, soit un manque d’intégration des capacités en émergence. Ces deux points font penser à des troubles d’ordre neurologique, bien que les auteurs n’expriment aucune hypothèse à ce sujet.

Le troisième type, nommé « fluctuant », n’est constaté que chez trois enfants sur les vingt-quatre de l’étude, soit moins de 1 % de la population. Les auteurs considèrent cette catégorie comme révélatrice des difficultés d’exploration des mécanismes en jeu dans l’Autisme Infantile, et ceci principalement vis-à-vis du rôle des éventuels facteurs organiques.

Cette première distinction intergroupale nous amène plus précisément à notre recherche. La poursuite des travaux de cette équipe, principalement soutenue par Sandra Maestro et Filippo Muratori, est en cours. L’étude actuelle est relativement parallèle à la nôtre, leurs objectifs de recherche sont globalement identiques mais leur méthodologie diffère.