Etudes sur l’âge d’apparition de l’Autisme Infantile

Films familiaux

Du fait de nombreuses études, il est officiellement reconnu que le syndrome d’Autisme Infantile débute avant l’âge de trois ans. Cette période reste cependant difficile à cerner tant la distorsion des souvenirs affecte l’anamnèse. Pour contourner cette difficulté, différentes équipes de recherche ont eu recours à l’analyse de films familiaux tournés avant que le syndrome n’ait été diagnostiqué. Les études les plus récentes ont comparé des films d’enfants ayant eu après trois ans le diagnostic d’Autisme Infantile avec des films d’enfants sans trouble du développement. Les cliniciens choisis pour ces études ne sont habituellement pas informés de la catégorie diagnostique de l’enfant.

Ainsi, grâce à l’analyse comparative de onze films du premier anniversaire, Osterling et Dawson (1994) ont montré que l’enfant au futur diagnostic d’Autisme Infantile présentait des difficultés au niveau des interactions sociales et de l’attention conjointe. Il est ressorti de leur analyse intragroupale, neuf enfants au diagnostic d’Autisme Infantile dont les parents avaient constaté des symptômes dès la première année de vie, et deux enfants au diagnostic d’Autisme Infantile dont les parents n’avaient pas constaté de symptômes avant douze mois. Une étude complémentaire (Werner et al, 2000) ajoutant quatre enfants au diagnostic d’Autisme Infantile (portant le total à quinze enfants) présentait trois Autistes à Début Tardif. Ainsi, statistiquement, 80 à 82 % des enfants au diagnostic d’Autisme Infantile sont des Autistes Précoces, et 18 à 20 % des Autistes à Début Tardif.

Dans l’objectif d’une analyse plus détaillée, les auteurs de cette étude ont comparé trois groupes d’enfants afin de tenter d’apporter une réponse aux interrogations sur ce phénomène d’entrée tardive dans l’Autisme Infantile. Ces groupes se composaient d’enfants au diagnostic d’Autisme Infantile dits « avec régression », d’enfants au diagnostic d’Autisme Infantile dits « sans régression » (qu’ils nommaient « early onset autism ») et des enfants au développement dit « typique ».

Les résultats suivants sont ressortis de l’analyse des données :

A l’âge d’un an, les enfants au futur diagnostic d’Autisme Infantile, pour lesquels les parents ont ultérieurement constaté une régression, utilisaient des mots, babillaient et pointaient aussi souvent que les enfants au développement typique au même âge. A l’opposé, les enfants dont les parents ont décrit un autisme précoce utilisaient beaucoup moins le pointage pour montrer de l’intérêt, et faisaient preuve d’une moins bonne attention conjointe.

A l’âge de deux ans, les enfants des deux groupes au futur diagnostic d’Autisme Infantile utilisaient très peu de mots et de phrases en comparaison aux enfants dit « typiques ». Ces deux groupes répondaient beaucoup moins à l’appel de leur nom et pointaient moins que les enfants « typiques ». Le temps passé à regarder les personnes était aussi moins long. Les auteurs constatèrent d’ailleurs que ce temps passé à regarder les personnes diminuait principalement entre 12 et 24 mois pour les deux groupes.

Les parents ont également été interrogés sur de nombreux items du développement précoce tels que : l’alimentation, le sommeil, le comportement social et le développement du langage. Il en est ressorti que les autistes précoces montraient des difficultés dans tous ces domaines, en comparaison aux enfants « typiques ». Les autistes avec régression ne montraient pas de difficultés dans ces items, excepté pour le sommeil et la sensibilité auditive et tactile.

Cette distinction développementale constatée chez ces sous-groupes a amené les auteurs à poursuivre leurs travaux afin de confirmer ces premiers résultats.

Dans ce genre d’étude, de nombreux biais peuvent être rencontrés lors du recueil des données. Le contexte de déni parental est à envisager. Avant l’apparition de l’utilisation d’une caméra vidéo dans les familles, la plupart des études s’appuyaient uniquement sur les témoignages parentaux. Le discours parental est-il d’une sincérité objective, ou, un phénomène de déni contredit-il les données relevées ? Quelle est la valeur des propos des parents ?

Une étude complémentaire de la même équipe (Werner, Dawson, Osterling & Dinno, 2000), faisant le lien entre les films familiaux et les témoignages des parents, a analysé ce phénomène. Les auteurs ont constaté une proximité développementale très forte entre les Autistes à Début Tardif et le groupe témoin avant l’apparition des symptômes.

Ce travail comparait le développement d’enfants de 8 à 10 mois au travers de séquences vidéo. Parmi les sujets, deux groupes ont été constitués. Le premier groupe se composait de 15 enfants diagnostiqués Autisme Infantile après l’âge de trois ans ; le second groupe faisait office de groupe contrôle et se composait de 15 enfants présentant un développement typique. La période des 8-10 mois a été choisie du fait que plusieurs aptitudes telles que des capacités d’imitation et de communication vocale élémentaire commencent à apparaître à cet âge.

A l’aide de questions standardisées, les parents étaient interrogés sur l’histoire développementale de leur enfant, et particulièrement sur la date d’apparition des symptômes. Les parents de tous les enfants sauf trois ont rapporté qu’ils avaient noté des symptômes spécifiques de l’Autisme Infantile pendant la première année de vie. Les parents des trois autres enfants ont décrit un Autisme Infantile de forme développementale tardive : aucun symptôme n’avait été constaté jusqu’à la fin de la deuxième année de vie.

Lors de l’analyse vidéo, le système de codage des comportements mesurait l’absence ou la présence de comportements appropriés ainsi que les symptômes autistiques. Les trois catégories diagnostiques de l’Autisme Infantile ont été codées : comportement social, communication et comportements répétitifs. Le comportement social intégrait l’attention portée à autrui, l’attention portée au sourire d’une personne, et l’orientation vers une personne qui l’appelle par son nom. La communication a été évaluée par la vocalisation d’un son : voyelle (« ahh ») ou combinaison d’une consomme et d’une voyelle (« ba.ba ») qui sont généralement observés dès les premiers mois de développement, puis par la vocalisation réglée sur celle d’un adulte, qui apparaît habituellement vers 6 mois. Les comportements répétitifs consistent en l’évaluation de la présence ou non de ceux-ci.

Afin d’analyser les capacités d’un professionnel de la petite enfance à percevoir la précocité des troubles de l’Autisme Infantile, il a été demandé à une pédiatre de visionner les séquences vidéo, puis de se prononcer sur la catégorie dans laquelle entrait l’enfant (Autisme Infantile ou développement typique).

Les résultats ont montré des différences significatives dans le domaine des comportements sociaux mais pas dans les aires de la communication et des activités répétitives. Les écarts les plus significatifs ont été constatés dans l’orientation au moment de l’appel du nom. Les enfants du groupe contrôle s’orientent dans 75 % des cas contre 37 % pour les enfants au diagnostic d’Autisme Infantile. Cependant, aucune différence n’a été constatée pour les trois enfants au diagnostic d’Autisme à Début Tardif (83 %). L’attention portée vers une personne qui sourit était moins présente chez les enfants au diagnostic d’Autisme Infantile que chez les enfants du groupe contrôle, cependant les scores restaient faibles pour les deux groupes (respectivement 1,6 % et 4,3 %). Aucun effet n’a été noté dans l’attention portée aux personnes, présente chez 32 % des cas d’enfants au diagnostic d’Autisme Infantile et 35 % des enfants du groupe contrôle. Dans chacun de ces items, aucune différence significative n’a été relevée entre le groupe d’enfants typiques et celui des Autistes à Début Tardif.

L’analyse de la pédiatre a été effectuée à deux périodes d’âges. A 8-10 mois, elle estimait que 11 enfants sur 15 avaient un syndrome d’Autisme Infantile et 14 sur 15 à l’âge de 1 an. L’enfant qui n’était pas considéré comme porteur d’un Autisme Infantile à un an faisait partie du groupe des Autistes à Début Tardif. Cependant, elle a eu tendance à trouver des faux positifs dans le groupe contrôle, 7 sur 15 à 8-10 mois et 8 sur 15 à un an.

Cette étude a permis de constater des différences entre des enfants au devenir pathologique de l’Autisme Infantile et des enfants au développement typique. Celles-ci ont été constatées très précocement, principalement en ce qui concerne les troubles du contact social. La précédente étude de Osterling et Dawson (1994) que nous avons présentée analysait des séquences vidéo à l’âge de un an. La méthodologie et le codage des données étaient identiques. Cependant, les auteurs ont relevé de nombreux autres troubles supplémentaires pour le groupe des sujets diagnostiqués Autisme Infantile par opposition aux enfants au développement typique. Ces symptômes touchaient particulièrement les domaines de la communication tels que l’attention conjointe et le pointage.

La comparaison de ces deux études a amené les auteurs à considérer que la période des 9-12 mois revêtait une grande importance dans le développement social et la communication. Ce qui est également conforté par les meilleures capacités de la pédiatre à détecter les futurs sujets au diagnostic d’Autisme Infantile à 12 mois plutôt qu’à 8-10 mois.

Cependant, la différence constatée avec le groupe des Autistes à Début Tardif prouve qu’il existe des variations en terme de développement précoce au sein même de l’Autisme Infantile. Les auteurs expriment la nécessité de poursuive ce genre de recherche, ciblée sur cette population particulière des Autistes à Début Tardif.

Les résultats de la pédiatre prouvent les difficultés actuelles à poser un diagnostic d’Autisme Infantile avant l’âge d’un an. Cette étude permet donc de confirmer, tout d’abord, qu’il est nécessaire de développer l’information et les outils spécifiques de la détection de l’autisme précoce pour les professionnels de santé, mais également que la perception du syndrome avant un an reste fortement limitée. Enfin, elle prouve qu’un groupe distinct existe véritablement au sein de l’Autisme Infantile pour lequel il est actuellement impossible de percevoir le moindre indice pathologique avant la deuxième année de vie.

Une autre étude complémentaire est venue préciser ces découvertes, il s’agit de l’étude de Emily Brown Werner (2002) menée dans le cadre de son doctorat. Cette recherche, d’une méthodologie identique, regroupait trois catégories d’enfants : des enfants à troubles autistiques dès la naissance, des enfants au développement normal jusqu’à l’âge de 12 à 24 mois, et un groupe contrôle d’enfants typiques. L’ADI et un nouvel instrument, l’EDI (Early Development Interview), constituaient le matériel de cette étude. L’EDI est un entretien parental détaillé sur le développement rétrospectif de l’enfant au niveau des épisodes et données médicales, et des symptômes précoces de l’Autisme Infantile. Un troisième outil est venu confirmer ces données, les films familiaux.

Les résultats ont indiqué que les enfants diagnostiqués Autisme Infantile pour lesquels les parents ont constaté une régression ne présentaient pas de différences significatives par rapport au groupe contrôle en ce qui concerne les capacités d’attention conjointe et de communication à 12 mois. A l’inverse, les sujets porteurs d’un Autisme Infantile sans régression possédaient des troubles au niveau de ces items au même âge (12 mois).

Il a été constaté qu’à 24 mois, les deux groupes d’enfants au diagnostic d’Autisme Infantile, avec régression et sans régression, présentaient des troubles au niveau de leurs capacités sociales, de l’attention conjointe et de la communication, toujours par rapport au groupe contrôle.

Dans la même lignée Osterling, Dawson & Munson (2002) ont analysé le développement de ces différents groupes d’enfants jusqu’à la fin de la première année. Ils ont de nouveau retrouvé de fortes similitudes entre les Autistes à Début Tardif et les enfants au développement normal.