Entretiens

L’âge de début de la symptomatologie a également pu être estimé par des études rétrospectives basées sur des entretiens avec les parents (Volkmar et al, 1985 ; Rogers & DiLalla, 1990). Il ressort que les signes de l’Autisme Infantile apparaissent avant l’âge de trois ans dans les proportions suivantes :

  • entre 0 et 11 mois dans 38 % des cas ;
  • entre 12 à 23 mois dans 41 % ;
  • entre 24 à 36 mois dans 16 % ;
  • après 36 mois dans 5 %.

Une récente étude (Davidovitch & al, 2000) a voulu approfondir cette distinction en fonction de l’âge de début. Toujours dans l’objectif de comprendre le développement d’enfants, porteurs d’un Autisme Infantile, ayant régressé après avoir eu un développement normal, les auteurs ont intégré un paramètre supplémentaire, la distinction inter-groupale entre deux catégories d’enfants ayant vécu une régression. C’est-à-dire, la comparaison d’enfants diagnostiqués Autisme Infantile qui ont régressé précocement à des enfants diagnostiqués Autisme Infantile qui auraient régressé plus tardivement. Leurs objectifs de recherche étaient les suivants :

  • percevoir les différences entre les enfants dont les mères ont noté une régression et ceux dont les mères n’ont constaté aucune régression ;
  • comparer les enfants diagnostiqués Autisme Infantile qui ont vécu une régression avant 24 mois (early) avec des enfants diagnostiqués Autisme Infantile dont la régression est apparue après 24 mois (late), dans l’intention de mettre au jour les différences entre ces deux sous-groupes.

Les auteurs ont recueilli le témoignage de 39 mères pour 40 enfants ayant reçu le diagnostic d’Autisme Infantile (29 filles et 11 garçons, dont 1 paire de jumeaux de sexe féminin).

Le questionnaire utilisé a été spécialement conçu pour cette étude. Il comprenait à la fois des questions ouvertes et des questions fermées. Les questions fermées concernaient des informations d’ordre démographique, les antécédents médicaux des membres de la famille, des informations sur les périodes pré, péri et post natale, le développement moteur (motricité fine et motricité globale), les comportements sociaux, les capacités langagières, l’utilisation de la communication non verbale, et le niveau de langage au moment de l’interview.

En amont, les mères étaient interrogées sur toutes formes de régressions dans chaque aire de développement. Dans les questions ouvertes, les mères devaient donner leur opinion sur le diagnostic, leur point de vue sur le protocole diagnostic et le traitement.

Sur les 40 enfants de l’étude, 19 (47,5 %) ont, selon leur mère, connu une régression dans au moins une des aires : 16 garçons (85 %) et 3 filles (15 %).

L’âge des parents et l’ordre de naissance étaient similaires dans les deux groupes. Seule une mère, dont l’enfant faisait partie du groupe sans régression, avait souffert d’une dépression dans le passé. Aucun trouble psychique n’a été noté du côté des pères, et aucune relation n’a été constatée entre le niveau socio-économique et la régression.

En ce qui concerne les complications prénatales, aucune différence n’a été constatée entre les deux groupes. Seul un nombre élevé de péridurales a été noté dans le groupe des enfants avec régression.

L’âge moyen de régression était de 24 mois. 11 enfants ont régressé avant 24 mois (Early Regression = ER), avec un âge moyen de 17,18 mois (ce qui reste élevé quand nous savons que le CHAT cherche à diagnostiquer des enfants à 18 mois), et 8 ont régressé après 24 mois (Late Regression = LR) avec un âge moyen de 33,5 mois.

Les troubles du regard ont été constatés à 17,95 mois en moyenne pour les enfants sans régression, à 17,36 mois pour les Early Regression et à 33,5 mois pour les Late Regression. L’intervalle de temps entre la découverte des troubles par la famille et le diagnostic définitif a été plus long pour les enfants sans régression (12,23 mois) que pour les enfants avec régression (6,84 mois). Il n’y a pas de différence significative à ce niveau entre les deux groupes avec régression. Cet intervalle de temps entre la perception des symptômes et la demande de diagnostique est similaire à l’intervalle constaté dans l’étude de Giacomo & Fombonne (1998).

Les mères notent une régression dans plusieurs aires incluant les compétences verbales et non verbales, les capacités sociales et le jeu, sans différence significative entre les Early Regression et Late Regression. Aucune régression au niveau des capacités motrices n’a été observée. Le fait que la régression ne touche pas les capacités motrices avait déjà été constaté par Tuchman & Rapin (1997). Cependant, les mères témoignent d’une marche indépendante plus précoce chez les enfants avec régression (14,42 mois) que chez ceux sans régression (16,71 mois). Cet âge de la marche se distingue également pour les deux groupes de régression : 13,18 pour les ER et 16,12 mois pour les LR.

En ce qui concerne les troubles médicaux, tous les EEG étaient normaux excepté pour un enfant ayant souffert de convulsions à l’âge de six mois, avant le diagnostic d’Autisme Infantile. Les analyses métaboliques étaient également toutes normales, de même que pour les analyses génétiques.

Au moment de l’entretien (à 6,89 ans pour les enfants avec régression et 7,26 ans pour ceux sans régression), le niveau de communication verbale était meilleur dans le groupe des enfants avec régression, sans différence significative entre les deux sous-groupes ayant eu une régression.

Lorsqu’il a été demandé aux mères des enfants sans régression ce qui les inquiétait le plus, 9 mères ont répondu l’autisme, 9 ont répondu les troubles de la communication et les problèmes de langage, et 3 ont cité le développement général. Dans les deux sous-groupes avec régression, 3 mères ont répondu l’autisme, 5 ont cité les troubles de la communication et le langage. Dans le groupe des Early Regression, 3 mères ont répondu le développement général. Les différences entre tous ces groupes n’ont pas été considérées comme significatives.

Chez les mères qui n’ont pas perçu de régression, 7 (33 %) n’ont pas d’explication sur les raisons du développement anormal de leur enfant. En revanche, chez celles ayant noté une régression, une seule mère n’avait pas d’explication. 9 des mères dont l’enfant a régressé expriment un sentiment de culpabilité contre 3 dans l’autre groupe. Toutes les mères des enfants ayant régressé attribuent des causes spécifiques à l’autisme de leur enfant. Pour les auteurs, la régression serait à l’origine d’une perception différente des parents des conditions. Dans le groupe des enfants avec régression, le sentiment de culpabilité des mères serait dû à la confrontation au changement négatif dramatique intervenu dans le comportement de leur enfant et qu’elles n’ont pu prévoir.

En conclusion, cette étude constate l’absence de différence significative en ce qui concerne les antécédents médicaux ou les analyses médicales chez les mères de tous les enfants. De même, la perception du diagnostic ne diffère pas. Pour les auteurs, le phénomène de régression est caractéristique du spectre autistique et ne représente pas une sous-classe séparée de l’Autisme Infantile.

Toutefois, deux points essentiels sont à noter à la suite de la lecture de cette étude. Tout d’abord, l’intention des auteurs n’était pas d’explorer l’étiologie de la régression au sein de l’Autisme Infantile mais les caractéristiques familiales et médicales en lien avec ce syndrome. Il paraît donc important de reprendre ces résultats en spécifiant la méthodologie établie. En effet, les données offertes ne permettent pas une analyse approfondie des différences dans l’apparition des troubles pour chaque sous-groupe ainsi que sur le plan de leur évolution. Seul un constat sur les troubles du regard, les capacités motrices et le niveau de langage au moment de l’entretien a été évoqué. La distinction intergroupale n’est donc pas totale et demande à être approfondie pour pouvoir aboutir aux résultats de non significativité évoqués par les auteurs.

De plus, les auteurs le reconnaissent eux-mêmes, la différence avec le Trouble désintégratif demeure délicate. Les recherches sur la distinction entre le Trouble désintégratif et l’Autisme Infantile à forme tardive ne sont pas totalement claires ni évidentes (Burd et al, 1998).

Cette étude offre une première vision des différences et des similitudes pouvant être rencontrées entre ces sous-groupes. Cependant, un approfondissement de ce type de recherche paraît nécessaire.

En 2002, Amorosa et Noterdaeme ont également travaillé sur la distinction de ces formes d’Autisme Infantile, Précoce et à Début Tardif. Leur objectif était d’analyser la fréquence d’un début tardif ou d’une régression dans le comportement social et du langage, et leurs liens avec d’autres troubles présents chez ces enfants. Ce travail a intégré 101 enfants diagnostiqués Autisme Infantile. Chez 75 % d’entre eux, il a été constaté un développement différent des autres enfants typiques dès les premiers mois de vie. Parmi ces enfants diagnostiqués Autisme Infantile, 14 ont présenté une régression dans le comportement social et 21 dans le langage. Aucune corrélation n’a été démontrée avec l’intelligence et le niveau de langage au moment de l’évaluation, ce qui tendrait à prouver, selon les auteurs, qu’il n’y a pas de lien entre le type d’autisme et les capacités évolutives. Cependant, les auteurs ont noté que les troubles épileptiques étaient plus fréquents chez les enfants ayant présenté un arrêt du développement que chez les autres. Toujours selon les auteurs, l’ensemble des données permet de percevoir ce syndrome comme un sous-groupe particulier du fait de son développement tardif. Ce qui diffère de la conclusion de l’étude précédente.

Les données statistiques de l’ensemble des études évoquées jusqu’à présent semblent similaires en ce qui concerne le pourcentage d’enfants au diagnostic d’Autisme Infantile développant la pathologie de manière tardive, ainsi que l’absence de traits autistiques avant l’âge d’un an. Cependant, les hypothèses émises quant aux symptômes associés, aux éventuels facteurs neurologiques, biologiques ou environnementaux en jeu sont encore très divergentes. Ces divergences sont également présentes quant à l’existence de groupes distincts dans l’Autisme Infantile.

Les analyses détaillées des symptômes, de leurs rôles et de la présence de facteurs extérieurs à la pathologie sont relativement récentes. Il est fort possible que, malgré la multiplicité des recherches, nous passions encore par des phases de divergences, du fait de la complexité de ce syndrome, avant qu’un consensus heuristique ne se développe. Enfin, outre la diversité qu’offre ce syndrome, nos influences intradisciplinaires et nos méthodologies de recherche, selon l’objectif désiré, peuvent fortement modifier nos résultats et nos analyses de données.