Discussion

La lecture du premier tableau nous fait percevoir une fréquence importante de troubles relationnels dans les deux groupes d’enfants. Ce trouble est essentiel à l’Autisme Infantile. Malgré son pourcentage élevé il paraît singulier que les statistiques n’atteignent pas les 100 %. L’environnement de l’enfant aurait-il des difficultés à percevoir ce comportement normalement pathologique avant trois ans ? Ce constat pourrait expliquer les difficultés de repérage de l’Autisme Infantile et par conséquent les difficultés à demander un premier rendez-vous. La différence significative entre les deux sous-groupes en ce qui concerne ce symptôme pourrait s’expliquer par l’arrivée tardive des troubles chez les Autistes à Début Tardif. Le tableau sur l’apparition des symptômes après l’âge de 12, 18 ou 24 mois permet de constater le déploiement tardif de ces symptômes. Le trouble relationnel n’est pas systématiquement le premier trouble à apparaître, il peut donc se développer plus tardivement, aux alentours de l’âge de trois ans ; le recueil des troubles précoces n’évaluait pas les symptômes développés juste après le troisième anniversaire.

Une autre remarque concerne les troubles du regard. Ceux-ci semblent avoir leur importance dans l’Autisme Infantile. Les trois quarts des enfants possèdent ce trouble dès le début de la pathologie. Il peut être considéré comme un paramètre important pour le repérage de la pathologie. La valeur de ce symptôme est intéressante à étudier car chez les Autistes à Début Tardif il est absent avant que la pathologie ne se déclare. Cela signifierait que pour cette population, les troubles sont absents avant l’âge de 12, 18 ou 24 mois. Cela expliquerait également la difficulté de repérer la pathologie avant cette période. Cette dernière remarque est confirmée par l’absence d’autres troubles avant l’apparition de la pathologie chez ces enfants.

Une comparaison intergroupale rend compte de la présence de nombreux troubles dont la plus forte prégnance serait chez les Autistes Précoces.

Les Autistes à Début Tardif développeraient majoritairement des troubles à connotation communicationnelle (troubles relationnels, troubles du regard, impression de surdité). Les Autistes Précoces, quant à eux, présenteraient des troubles plus divers (troubles alimentaires, du sommeil, du tonus…). Des résultats similaires ont été retrouvés dans les études de Osterling & Dawson (1994), Maestro & Muratori (1999), ainsi que dans notre étude de 2001.

Certains troubles paraissent avoir un effet moindre dans les premiers stades du développement de la pathologie : l’hyperactivité, l’absence de sourire, les balancements rythmiques et les activités répétitives. Ce constat se retrouve dans les deux groupes. Les travaux de Werner et al. (2000) notaient une absence de troubles de la communication et des activités répétitives jusqu’à l’âge de 10 mois : seuls des troubles du comportement social étaient présents dès cette période de la vie. Il peut paraître étonnant que l’absence de sourire ne soit pas constatée plus fréquemment. Cependant, c’est la présence du sourire, et non le sourire réponse, qui est enregistré ici, ce qui peut expliquer que cette attitude ne soit pas perçue comme un trouble. De fait, lors de l’interview, il convient de chercher à avoir si les parents définissent de la même façon que nous ce trouble du sourire. Pour eux, cette absence peut signifier une absence totale de sourire et non un trouble de l’échange. Lors de notre précédente étude (Samyn, 2001), nos résultats à cet item étaient quelque peu différents puisque les troubles du sourire étaient enregistrés chez 54 % des Autistes Précoces et chez aucun des autistes tardifs. Cependant, la répartition est très homogène dans les deux groupes après l’âge de trois ans, que ce soit pour la présence ou l’absence de sourire, ou le manque de réciprocité. Ces données sont beaucoup plus faciles à évaluer dans les questions de l’interview après 3 ans que dans les questions sur le développement précoce. Les difficultés à estimer ces troubles sont à explorer du coté des questions posées sur le développement précoce.

Des différences significatives ont été constatées entre les deux groupes. Une des plus importantes apparaît au niveau du tonus. Le trouble du tonus s’avère relativement perturbé chez les Autistes Précoces, alors que peu d’Autistes à Début Tardif semblent présenter de troubles à ce niveau là. Nos résultats de 2001 étaient identiques pour les Autistes Précoces et aucun trouble du tonus n’avait été noté chez les enfants ayant développé la pathologie après 24 mois. Une absence de régression des capacités motrices avait également été constatée par Tuchman & Rapin (1997) et par Davidovitch & al. (2000) chez des sujets au diagnostic d’Autisme Infantile présentant une régression après un développement normal. L’autre différence concerne l’attitude de bébé trop sage. Cette attitude peut s’expliquer d’une part, par une absence apparente de troubles précoces chez les Autistes à Début Tardif (dans notre étude de 2001, les enfants autistes tardifs ne présentaient déjà quasiment aucun trouble quel qu’il soit avant l’âge de 18-24 mois) ; d’autre part, cette sagesse extrême pourrait être le signe d’une défense par le repli, une lutte contre les autres troubles présents, et toucherait donc moins les Autistes à Début Tardif.

Nous retrouvons dans la description de notre groupe d’Autistes Précoces le « type progressif » défini par Maestro et Muratori (1999), caractérisé par des troubles moteurs et une indifférence de type apathique.

En revanche, l’impression de surdité est plus fréquemment relevée chez les Autistes à Début Tardif (66 %). Ce résultat était également présent dans les travaux de Osterling et Dawson (1994). Toutefois nous constatons dans notre étude actuelle et celle de 2001 que l’impression de surdité est relativement présente chez les Autistes Précoces (52 % et 62 %). Il semblerait par ailleurs que ce trouble apparaisse en même temps que la pathologie chez les Autistes à Début Tardif, c’est-à-dire vers 18-24 mois. Des perturbations dans ce domaine touchent les deux groupes après l’âge de trois ans si nous observons le détail de l’ADI.

Ces premiers résultats ont également été rapportés lors d’une étude de Maestro et Muratori (2001). Leur recherche consistait à établir une distinction développementale entre des enfants diagnostiqués Autisme Infantile et des enfants « normaux » au travers des films familiaux. Leur méthodologie de recherche s’appuyait sur des séquences vidéos d’activités de la vie quotidienne telles que le bain, le jeu (seul ou avec un partenaire), des moments importants de la vie comme les anniversaires, les premiers pas…

L’analyse vidéo a été effectuée après que les sujets ait été répartis par tranche d’âge : 0-6 mois, 6-12 mois, 12-18 mois, et 18-24 mois. Les films ont été visualisés en aveugle par des experts en psychiatrie et en psychologie de l’enfant. Les séquences vidéo des enfants diagnostiqués Autisme Infantile étaient mélangées à celles des enfants du groupe contrôle. Chaque comportement était évalué à chaque tranche d’âge en fonction de sa présence ou de son absence.

Le recueil de leurs données s’est appuyée sur un outil créé spécialement pour cette étude : The Grid for the Study of Normal Behaviors in Infants and Toddlers through Home Movies, qui se compose d’items sur les comportements de la vie quotidienne généralement rencontrés lors du visionnage de films familiaux. Trois grandes aires étaient évaluées : les compétences sociales, l’intersubjectivité et les activités symboliques.

Les compétences sociales, évaluées par rapport à la capacité à garder un contact émotionnel avec son environnement ont donné les résultats suivants : des différences significatives (entre le groupe des sujets au diagnostic d’autiste et le groupe contrôle) sont présentes dès les six premiers mois dans les domaines de l’anticipation du but des autres et la compréhension du pointage. Les six mois suivants (6-12 mois) ciblaient plus particulièrement une différence au niveau de la communication gestuelle. A 18 mois, les perturbations touchaient plus l’attention conjointe et la vocalisation.

Tous les troubles cités entrent dans la définition des troubles à caractères autistiques. Ces résultats sont très proches des nôtres dans le sens où ces troubles sont bien présents chez l’ensemble de nos sujets autistiques.

La suite de leurs travaux rend compte d’un déficit social d’apparition tardive. De plus, bien que l’ensemble des aires évaluées présente des différences significatives avec des scores plus élevés pour le groupe contrôle que pour le groupe des enfants au diagnostic d’Autisme Infantile ; l’aire des compétences sociales n’était pas significative avant l’âge de 24 mois. Ce dernier critère est pourtant considéré comme essentiel au diagnostic. C’est l’intersubjectivité qui primerait dans les premiers troubles (dès les six premiers mois).

Le premier point confirme plusieurs de nos résultats tels que ceux obtenus à la Vineland et sur le développement tardif du trouble de l’hyperactivité, mais également sur la difficulté de repérage des troubles relationnels. Quant au second point, il confirme nos observations par rapport aux capacités de ces enfants pour lesquels l’abstraction se révèle très difficile d’accès au travers des tests psychologiques, mais également par rapport aux difficultés précoces d’échange par le regard, autrement dit pour comprendre et communiquer des intentions et des pensées.

Enfin, chez l’ensemble de leurs sujets diagnostiqués Autisme Infantile, les aires des compétences sociales, de l’intersubjectivité et des activités symboliques se développent principalement après 18 mois. Ces observations expliqueraient les difficultés qu’ont les spécialistes pour poser un diagnostic précoce, ainsi que les difficultés des parents et de l’environnement de l’enfant à détecter les troubles. Une remarque importante étaye ce constat : les auteurs de cette étude ont noté une grande différence développementale générale entre le groupe des enfants diagnostiqués Autisme Infantile et le groupe contrôle. Les scores des enfants diagnostiqués Autisme Infantile augmentent jusqu’à 12-18 mois puis diminuent alors que les enfants du groupe contrôle montrent une évolution des scores jusqu’à l’âge limite du test, à savoir 18-24 mois. Ces résultats nous prouvent à nouveau la complexité évolutive des enfants au diagnostic d’Autisme Infantile dont la pathologie ne semble pas suivre une ligne développementale homogène. Nos travaux de 2001 présentaient également ces deux pics de développement de l’Autisme Infantile à la naissance puis vers 12-18 mois. Cette particularité développementale avait été comparée à d’autres pathologies de la catégorie des Troubles Envahissants du Développement : l’Autisme Atypique et les Troubles Envahissants du Développement Non-Spécifiés. L’Autisme Infantile et l’Autisme Atypique se développent tous les deux de façon précoce. L’Autisme Infantile possède deux pics évolutifs : entre 0 et 6 mois et entre 12 et 18 mois. A l’opposé, l’Autisme Atypique a une ligne évolutive homogène. Les Troubles Envahissants du Développement Non-Spécifiés, quant à eux, présentent un pic important dans les premiers mois de vie avec l’apparition de peu de nouveaux troubles par la suite. L’hétérogénéité développementale « en dents de scie » semble véritablement caractéristique de l’Autisme Infantile, d’où la difficulté de le détecter rapidement.

En résumé, le premier constat porte sur la confirmation d’une distinction intergroupale entre les Autistes Précoces et les Autistes à Début Tardif en ce qui concerne l’âge et les modalités d’entrée dans l’Autisme Infantile.

Notre premier tableau étaye ces propos en montrant la différence significative quant aux troubles développés dans les deux groupes. Les Autistes Précoces développent dès la naissance de nombreux troubles, toutes caractéristiques confondues. Les Autistes à Début Tardif souffrent plus particulièrement de troubles à connotation communicationnelle.

Les Autistes à Début Tardif paraissent entrer directement dans la pathologie, même si cela se fait plus tardivement. Les Autistes Précoces, quant à eux, semblent utiliser des formes détournées. Ils passent par d’autres troubles et peut-être même d’autres pathologies. Nous sommes tentés d’émettre une nouvelle hypothèse : l’Autisme à Début Tardif serait une forme aiguë de l’Autisme Infantile et l’Autisme Précoce une forme chronique.

L’évaluation de l’intensité des troubles autistiques pourrait aller dans le même sens. L’utilisation de formes détournées par les Autistes Précoces diminuerait l’intensité des troubles, la valeur du syndrome étant répartie sur d’autres troubles que l’unité autistique. A l’inverse, les Autistes à Début Tardif développant principalement des troubles à caractéristiques autistiques se consacreraient pleinement au rapport à ceux-ci.

La suite de notre étude s’est intéressée aux capacités de ces enfants dans les activités quotidiennes. Les difficultés d’adaptation et de comportement sont bien présentes dans les deux groupes mais leur unicité laisse supposer qu’elles sont une conséquence des troubles et non l’inverse.

Parmi les items de l’ADI, deux d’entre eux ont été comparés de manière plus précise. Le premier, les aptitudes spécifiques, avait pour but de compenser l’absence d’évaluation intellectuelle dans ce travail. Le comportement de ces enfants rend difficile cette évaluation et donc une analyse objective des cotations. Le second, l’hyperactivité, a été évalué du fait de son rôle dans la pathologie.

Les aptitudes spécifiques restent une caractéristique assez rare du développement de ces enfants. Toutefois, il est souvent constaté lors de tests d’intelligence que le développement intellectuel des sujets au diagnostic d’Autisme Infantile est hétérogène. En effet, certains sujets diagnostiqués Autisme Infantile sont incapables d’effectuer une tâche d’une extrême simplicité alors que d’autres font preuve d’une mémoire extraordinaire.

Cette hétérogénéité s’est retrouvée dans cette étude. Aucun enfant testé n’était doté d’une intelligence normale. Les aptitudes spécifiques présentent chez certains d’entre eux l’étaient de manière moins extrême que les clichés d’enfants au diagnostic d’Autisme Infantile à grandes capacités intellectuelles. Nous avons évalué ici des enfants au diagnostic d’Autisme Infantile et non des Asperger ou des Autistes de Haut Niveau.

Une légère différence intergroupale a toutefois été constatée entre les Autistes Précoces et les Autistes à Début Tardif. Cependant, il semble difficile d’estimer la valeur de cette différence qui n’est pas d’une significativité avérée.

L’hyperactivité de ces enfants a été évaluée en deux étapes. Tout d’abord, en cherchant à détecter la présence ou l’absence de comportements hyperactifs. Ce premier recueil a donné des résultats similaires entre les deux sous-groupes. Ce constat nous a amené à penser que le mode d’entrée dans la pathologie n’aurait pas d’impact sur l’hyperactivité. Néanmoins, en analysant l’intensité de ce trouble, une différence s’est avérée évidente. Hormis quelques cas de grands hyperactifs, les Autistes Précoces sont généralement des hyperactifs légers. À l’opposé, les Autistes à Début Tardif, qui sont majoritairement hyperactifs, se placent plus dans les extrêmes puisque aucun enfant ne présente une hyperactivité modérée. Des résultats identiques ont été mis en évidence en 2001 chez les Autistes tardifs. En revanche, un moins grand nombre d’hyperactifs, et plus particulièrement d’hyperactifs légers, avait été retrouvé parmi les Autistes Précoces. Les résultats pour cette catégorie amènent à interroger la délimitation entre l’hyperactivité légère et l’absence d’hyperactivité. La définition de l’hyperactivité, si elle ne perturbe pas son environnement, peut varier selon les familles.

Un lien entre le groupe d’appartenance et l’hyperactivité est donc possible.

Cependant, lors de la première cotation de ce trouble, entre 0 et 3 ans, une faible incidence a été constatée dans les deux groupes. Ce trouble atteint les deux tiers de notre population après trois ans. Ce symptôme apparaît tardivement après le déclenchement de la pathologie. Si nous considérons également sa forte intensité chez les Autistes à Début Tardif, nous pouvons émettre l’hypothèse d’une expression de défense face aux difficultés liées au développement de la pathologie.

Si nous validons notre hypothèse selon laquelle l’Autisme à Début Tardif est plus intense du fait de la forte prégnance des troubles autistiques, nous pouvons envisager que ces troubles soient à l’origine de mécanismes de défenses également plus pathologiques.

Une seconde hypothèse ressort de ces constatations : le fait que deux tiers des sujets au diagnostic d’Autisme Infantile souffrent d’hyperactivité pourrait être la preuve d’un lien étroit entre l’hyperactivité et la pathologie.

L’importance du rôle de l’hyperactivité n’est qu’au stade d’hypothèse. L’analyse des autres items de l’ADI peut nous aider à mieux comprendre le développement de cette pathologie pour les deux groupes.

La lecture des tableaux correspondant aux items de l’ADI nous permet de constater, au premier abord, quels troubles sont les plus détectés par l’entourage. Pour les deux groupes d’enfants les symptômes les plus souvent cités sont :

Cette liste n’exclue pas l’absence de troubles au sein des autres items, mais une plus grande prégnance de ceux-ci. Les items concernant les intérêts et les comportements sont d’ailleurs tous cités à la limite entre le normal et le pathologique, ces troubles sont rarement excessifs.

Ce premier constat est le suivant : les principales perturbations chez les sujets diagnostiqués Autisme Infantile concernent particulièrement ce qui a trait au langage et à ses qualités interactionnelles.

Nous sommes alors tentés de considérer le trouble essentiel à l’Autisme Infantile : l’incapacité à communiquer et à éprouver des intérêts et intentions. Les autres troubles seraient accessoires et consécutifs à ces symptômes primaires.

Kanner considérait dans un premier temps que le trouble primaire de l’Autisme Infantile était un trouble de la communication, un trouble relationnel entre le monde intérieur et extérieur de l’enfant. Mahler et Tustin adoptent également cette idée. Cependant, Mahler, au lieu de situer le trouble au niveau de cette signalisation réciproque entre l’enfant et l’environnement, l’axe sur l’un des pôles de la relation, à savoir l’enfant. Ceci a également été décrit par Tustin et confirmerait notre interprétation.

Mais si Mahler envisage l’Autisme Infantile comme un défaut portant sur le monde intérieur autistique de l’enfant, Tustin considère qu’il porte sur le monde extérieur qui n’est pas élaboré au niveau psychique. Ceci revient à dire que Mahler considère le trouble autistique comme primordial et en fait un élément primaire et primitif, tandis que Tustin met en avant l’immuabilité comme élément primaire et primitif. Toutefois, toutes les deux reconnaissent les troubles de la communication.

De fait, ces caractéristiques autistiques et cette nécessité d’immuabilité ne seraient-ils pas des défenses psychogénétiques contre un trouble plus profond touchant la communication et empêchant l’enfant d’accéder à toute interaction et à tout échange avec son environnement extérieur ?

Afin de poursuivre nos objectifs de travail nous allons, à présent, évoquer les symptômes qui diffèrent entre nos deux groupes. Le tableau comparatif suivant expose, pour chacun des groupes, les troubles distincts de l’autre groupe en termes d’intensité et de perturbations présentes :

Une première observation permet de constater que les trois catégories symptomatologiques de l’Autisme Infantile sont touchées dans les deux groupes.

Les Autistes Précoces ont quelques troubles dominants par rapport aux Autistes à Début Tardif au niveau de la communication et du développement social. Toutefois les différences semblent être particulièrement présentes au niveau des intérêts et des comportements : les Autistes Précoces paraissent avoir un lien pathologique aux objets et à leur environnement plus important que les Autistes à Début Tardif.

Cette particularité du lien pathologique plus important en ce qui concerne les objets rencontrés chez les Autistes Précoces se retrouve dans la description de Frances Tustin (1981) de l’autisme à carapace (cf. Chapitre II). Elle définit l’autisme à carapace par un développement dès la naissance, un comportement de fuite du contact, et une sensation d’enfant présentant un corps raide et inaccessible. La particularité de ces enfants, outre l’entrée précoce dans la pathologie, réside dans l’attitude de contrôle et de lien pathologique aux objets dans un comportement obsessionnel accompagné de mouvements stéréotypés des mains et du corps (comportements confirmés par nos données sur les troubles précoces).

Elle décrit, par ailleurs, deux types d’autisme à carapace : les enfants crustacés et la carapace à segments (inspirée des travaux de Meltzer, 1975). Les enfants crustacés seraient endormis dans une coquille, attendant le moment propice à leur développement. Cette impression d’endormissement se retrouve dans l’apathie des Autistes Précoces et dans l’impression de « bébés trop sages » qu’ils donnent au début de leur développement. L’autisme à segment, en revanche, ne serait pas un Autisme Infantile total. A nouveau, nous constatons que de nouvelles distinctions peuvent apparaître au sein même d’une sous-catégorie, telle que celle des Autistes Précoces. Tustin émet d’ailleurs l’hypothèse d’un changement catégoriel précoce chez les enfants à segment. Ces derniers auraient préalablement présenté une forme « crustacé » dont le développement les aurait amenés, à la suite d’« une nouvelle perturbation de leur système autistique », à une réaction par des mécanismes de segmentation. Il y aurait segmentation de leur perception des objets externes.

Le lien pathologique aux objets ainsi que le comportement stéréotypé et obsessionnel de ces enfants semble, pour Tustin, beaucoup plus important chez ce genre d’enfants que chez ceux qu’elle nomme les enfants autistes « confusionnels », dont l’entrée dans la pathologie est plus tardive.

Les résultats de nos travaux, confirmés par les analyses de F. Tustin, nous permettent de constater une distinction intra groupale, mais laisse en suspens les questions d’ordre étiologique.

‘« La représentation psychique est-elle fragile parce que je m’agrippe à l’objet ou la force de mon agrippement à l’objet est-elle la conséquence de ma difficulté à me représenter ces objets. » (Delion, 2002)’

Cette question sera étudiée dans le prochain chapitre. Cependant, nous pouvons essayer d’expliquer la plus grande présence des décharges motrices constatée chez les Autistes Précoces en comparaison aux Autistes à Début Tardif. Les Autistes Précoces développent plus de comportements stéréotypés et d’automutilations que les Autistes à Début Tardif. Ces décharges motrices sont, la plupart du temps et pour toutes pathologies confondues, considérées comme une défense permettant d’évacuer, d’oublier et de rejeter des souffrances (d’ordre somatique ou psychique). L’impossibilité chez les Autistes à Début Tardif de se défendre par ce moyen serait, d’une part, due à une faible présence de troubles somatiques en complément de leurs troubles autistiques, et d’autre part, liée à l’intensité et la profondeur du syndrome. Ce moyen d’expression, par la mise en place de mécanismes de défense, ne leur est peut-être pas accessible du fait du développement d’une pathologie beaucoup trop sévère. Tel l’autisme riche de Minkowski au sein des schizophrénies , l’Autiste Précoce, par ses stéréotypies et son fort attachement aux objets, va tenter de reconstituer ce qu’il a perdu dans son lien à son environnement et à son existence. Cela est beaucoup moins évident chez les Autistes à Début Tardif dont la sévérité de la pathologie empêcherait toute tentative d’accès vers l’extérieur.

Ces analyses cliniques portant sur la formation de la pathologie chez ce type d’enfants et sur leurs dépendances à d’autres troubles ou d’autres pathologies, vont être poursuivies dans le prochain chapitre au travers des pathologies névrotiques, et plus particulièrement de la névrose obsessionnelle.

En continuant nos analyses de données, nous avons constaté chez les Autistes à Début Tardif que le trouble de la communication s’intensifiait avec l’âge. Le côté social n’est pas trop divergeant du reste du groupe mais leurs intérêts restent tout de même fortement centrés sur leur propre personne.

La distinction entre Autisme Précoce et Autisme à Début Tardif se poursuit dans le temps. Le développement des enfants Autistes Précoces par rapport à leur environnement et dans leurs difficultés interactionnelles avec celui-ci serait plus perturbé. Leur mode de défense s’appuierait sur le besoin d’immuabilité et la maîtrise de cet environnement terrifiant. Les Autistes à Début Tardif quant à eux, sont plus fortement perturbés dans leurs capacités communicationnelles, ce qui pourrait être à l’origine de leur repli sur eux-mêmes, qui constitue leur façon de se défendre. Cette incapacité à communiquer verbalement avait également été constatée dans notre étude de 2001 : la totalité de nos Autistes tardifs ne possédaient pas plus de cinq mots, et la moitié d’entre eux ne parlait pas du tout. En ce qui concerne les Autistes Précoces, la moitié d’entre eux ne parlait pas et l’autre moitié avait un bon niveau de langage avec, toutefois, quelques cas faisant preuve d’un niveau limité. La similitude des résultats entre ces deux études tend à confirmer une distinction entre ces deux sous-groupes sur le plan du langage et de la communication.

Les hypothèses de départ sur la distinction Autisme Précoce – Autisme à Début Tardif dans leurs modalités d’entrée dans la pathologie peuvent être conservées. L’hypothèse d’une forme chronique dans l’Autisme Précoce, du fait de son évolution en association avec divers autres troubles, semble se confirmer par des perturbations globalement moins intenses.

Ce syndrome pourrait être causé par de multiples facteurs d’origine « psychochimique » (souvenons-nous de l’importance des troubles secondaires dans la petite enfance de ces patients). Les difficultés à vivre avec ces troubles entraîneraient des perturbations dans leurs interactions avec leur environnement. De plus, l’inquiétude de l’environnement au sujet de ces troubles secondaires met en évidence la nécessité de résoudre ces perturbations avant de tenter de stimuler l’interactivité de l’enfant.

La forme aiguë évoquée en début de cette étude chez les Autistes à Début Tardif peut également se confirmer. Une perturbation d’ordre « neuromentale » pourrait être à l’origine de cet arrêt brutal de la communication entre l’enfant et son environnement. Cette perturbation, incompréhensible pour les autres, les empêche d’interagir et d’exprimer quoique ce soit à leur entourage. Elle contraint ces enfants à se replier sur eux-mêmes et peut être considérée comme une forme de déception, voire même de dépression.

Au travers de cette première étude nous nous orientons, pour les deux groupes, vers des facteurs primaires d’origine neurodéveloppementale et des facteurs secondaires psychogénétiques de défense. Toutefois ces deux types de facteurs seraient très différents pour chaque groupe, autant au niveau de leurs acquisitions qu’au niveau de leur développement.