Conclusion

Nous venons d’analyser et de définir deux groupes d’enfants au diagnostic d’Autisme Infantile à l’étiologie et au développement différents. Une similitude semble cependant présente au niveau de l’étiologie. En effet, nous pouvons émettre pour les deux groupes l’hypothèse d’une vulnérabilité sous-jacente au développement de la pathologie.

Les différentes hypothèses médicales exposées pour confirmer ce fonctionnement n’ont pas encore permis de valider les résultats dans leur totalité. Toutefois, un déficit neuro-développemental dans l’échange d’informations, qu’il soit d’origine primaire ou secondaire à d’autres formes de perturbations, paraît présent chez ces sujets.

‘« L’accident mental est une poussière entrée par hasard dans l’huître du cerveau, malgré la protection des coquilles closes de la boîte crânienne. Soudain, la matière tendre qui vit au cœur du crâne est perturbée, affolée, menacée par cette chose étrangère qui s’y est glissée, l’huître qui végétait en paix déclenche l’alarme et cherche une parade. (…) La seule cause que l’on puisse supposer était l’accident mental. Quelque chose était apparue dans son cerveau qui lui avait semblé insoutenable. Et en une seconde, la matière grise s’était mise en branle. » (Nothomb, 2000)’

Le cerveau d’un enfant à la naissance est en mutation constante. Le branchement neuronal n’est pas achevé : des milliards de neurones prolifèrent de façon permanente en réponse à la multitude d’informations reçues par l’enfant à chaque instant et qu’il doit enregistrer et intégrer en établissant la bonne connexion entre tous ces systèmes d’échange de l’information. A la naissance de l’enfant, tous les circuits de son cerveau ne sont pas encore assemblés et opérationnels. Gazzaniga et LeDoux (1978) précisent d’ailleurs que les commissures du corps calleux, aussi bien que les commissures profondes, ne commencent à se myéliniser, donc à fonctionner, qu’à partir du troisième ou quatrième mois après la naissance. Le bon fonctionnement neurologique s’acquiert grâce aux expériences auxquelles l’enfant est confronté et aux réponses qu’il tire de ces expériences.

Cependant, ces connexions ne s’établissent pas toujours correctement. Certains mauvais câblages peuvent être compensés, mais il arrive que certains d’entre eux ne puissent pas être rectifiés.

Dans le cadre de l’Autisme Infantile, Courchesne (1995) a émis l’hypothèse suivante : une surcharge d’informations créée par la profusion de ces connexions abîmerait les cellules de Purkinje (cellules nerveuses du cortex cérébelleux nécessaires à la transmission des informations neuronales).

Pour résumer ces travaux, le modèle de disconnexion cérébello-préfrontale de Skoyles (2002) et Courchesne (1995) s’illustrerait, lors d’analyses approfondies, par la présence d’une atrophie du cortex du vermis cérébelleux dans les zones qui correspondent aux représentations de l’audition et de la vision. Ces zones, dans lesquelles interviennent les cellules de Purkinje, auraient un nombre restreint de ces cellules, ce qui inhiberait le noyau de Faîte du cervelet, qui, en conséquence, hyper activerait la réticulée.

Au niveau comportemental, cela produirait (Milcent C., 1999) :

L’Autisme Infantile serait la conséquence d’un processus normal qui s’enclencherait de façon trop précoce et trop intense, et qui s’arrêterait trop tard. Ce processus serait, selon Nash (2002), contrôlé par les gènes jouant le rôle de modulateur, inhibiteur ou activateur, de cette progression. Leur niveau de fonctionnement influencerait la construction du réseau neuronal, soit par des mutations porteuses d’une pathologie, soit par l’interaction de ces gènes avec d’autres, soit par la présence d’une vulnérabilité de l’enfant face à des stress rencontrés.

Ces hypothèses de déficit dans le processus d’échange d’informations sont envisageables dans le sens où elles expliqueraient : 1) la diversité du syndrome, en terme de sévérité et d’affection, en fonction de l’importance des connexions abîmées ou lésées, 2) le début tardif consécutif à un fonctionnement normal à plein régime jusqu’à l’instant du trop plein, et 3) la particularité des Asperger au niveau de leurs facultés, du fait que certaines connexions de ce trop plein continueraient de fonctionner.

De plus, nous le détaillerons dans le prochain chapitre, ces propositions pourront être rapprochées des hypothèses kleiniennes et tustiniennes (cf. Chapitre III). L’immaturité psychique de l’enfant qui constitue le facteur déclencheur de la pathologie, car elle serait à l’origine de l’incapacité de ces enfants à affronter le risque traumatique, pourrait être liée à cette défaillance neuronale. Cette hypothèse pourrait expliquer le fait que l’intensité du trouble n’est pas la même chez l’ensemble des enfants atteints de perturbations à risques traumatiques précoces. Pour Tustin (1981), le développement de l’enfant vers l’Autisme Infantile serait dû au vécu d’un événement à risques traumatiques à un moment où l’appareil neuropsychique de l’enfant n’était pas encore assez évolué pour le supporter. Elle définit une « prématurité psychologique » par la rencontre entre un enfant « hypersensible » et un environnement maternant en difficulté (Ciccone, 1991). Il y a donc association d’une fragilité , ou vulnérabilité, neuro-développementale et psychologique.

Ces hypothèses peuvent s’illustrer de notre précédente étude (Samyn, 2001) dans laquelle nous avons recherché une relation entre le développement des troubles et les événements médicaux et/ou familiaux que les enfants avaient pu vivre. Ces événements étaient retenus s’ils étaient susceptibles d’être en lien avec les troubles de l’enfant. Parmi les troubles familiaux, étaient notés : les décès de parents, les opérations de l’enfant ou d’un membre de la famille nucléaire qui nécessitaient de longues hospitalisations, les phénomènes dépressifs de la part d’un des parents et les difficultés conjugales. Toutes ces perturbations faisaient l’objet d’une étude approfondie si elles correspondaient à l’âge des premiers troubles de l’enfant, ou s’ils s’étaient produits durant la grossesse de la mère. Les troubles d’ordres médicaux retenus relevaient les problèmes qu’avait rencontrés l’enfant (ex. méningo-encéphalite, otites à répétition, hospitalisations) ou un des parents dans le cas d’une influence héréditaire (ex. nombreuses allergies, asthme sévère, pathologies mentales sévères dans la famille).

Chez les Autistes Précoces, la moitié des enfants avait, soit eu des problèmes médicaux, soit leur mère en avait rencontrés avant ou pendant la grossesse. Nous avons également considéré que ces problèmes médicaux pouvaient entraîner des perturbations familiales importantes. Deux cas d’événement familial traumatisant ont été rencontrés : le premier est survenu pendant la grossesse de la mère, et le second avant la grossesse. Pour résumer, des événements médicaux importants touchant la famille ont été relevés dans la moitié des cas et rien n’a été signalé dans l’autre moitié des cas.

Chez les Autistes tardifs, trois enfants sur quatre ont vécu des événements susceptibles d’avoir déclenché la pathologie. Le premier a été hospitalisé à l’âge de deux ans. Le second a été séparé de sa mère du fait de l’hospitalisation de celle-ci et a été placé à deux ans. Dans le troisième cas, la mère a dû rester alitée durant sa deuxième grossesse et se serait moins occupée de son enfant : l’enfant, alors âgé de deux ans, aurait présenté un changement de comportement avec un arrêt des acquisitions à la naissance de la petite soeur.

Ces données n’ont pas permis d’établir un lien étiologique entre les différents enfants du groupe des Autistes Précoces qui paraissaient avoir une diversité de vécus allant d’événements médicaux importants à aucun signalement. Chez les Autistes tardifs, nous avons supposé que la fragilité était le déclencheur de la pathologie. Il convient tout de même de garder à l’esprit que ces événements pouvaient survenir sans pour autant avoir de conséquences dramatiques sur le développement général des enfants. Bien entendu, ces données n’ont pas de valeur significative, d’autant moins si nous considérons les données issues de l’étude de Davidovitch et al. (2000). Davidovitch a observé un sentiment de culpabilité plus grand chez les mères dont l’enfant avait développé un autisme tardif, qui leur faisait rechercher une explication aux troubles autistiques de leur enfant, alors que la majorité des autres mères n’en cherchait pas. Toutefois, nous pouvons tout de même prendre ces données en considération au vu des multiples hypothèses (Malher, 1952 ; Tustin, 1981 ; Ciccone, 1991) actuelles allant dans le sens d’une plus grande fragilité chez ces enfants et donc d’une plus grande difficulté à affronter certains obstacles de la vie.

Courchesne précise d’ailleurs que les anomalies du fonctionnement cérébral qu’il a décrites pourraient résulter en une cascade de facteurs aussi bien environnementaux que biologiques et donc ne pas être la cause directe des troubles autistiques (Tordjman & Botbol, 1995).

‘« Parce que "le lien est défini comme ce qui unit une personne à d’autres personnes, à soi-même et aux choses", ces choses pouvant être "objets matériels, imaginaires ou symboliques", le lien a bien sûr un fondement biologique (échange synaptique, circuits neuronaux oscillateurs cérébraux, etc.) ; il se construit dans le psychisme (amour, haine, sexualité, agression, etc.) ; aussi bien que dans l’interaction avec les groupes multiples auxquels nous appartenons tout au long de notre vie. » (Sola, 1995)’

Ces propositions sur l’étiologie de l’Autisme Infantile apportent un début de réponses à la raison pour laquelle certains enfants développent ces symptômes dans des conditions de vie apparemment « normales », c’est-à-dire, dont l’impact traumatique n’est pas plus intense que d’autres enfants atteints de perturbations à risques traumatiques précoces sans conséquences pathologiques graves.

L’analyse de certaines pathologies à caractéristiques autistiques peut nous expliquer les hypothèses étiologiques émises ci-dessus. Certaines études portant sur le développement d’enfants faisant face à des perturbations à risques traumatiques ou à des difficultés relationnelles avec leur entourage dès le début de leur vie ont permis de constater la présence, chez la plupart de ces enfants, de troubles du comportement (repli ou fuite du regard) ainsi que des troubles d’ordre somatique ou dépressif. Cependant, si l’environnement redevient rassurant, l’enfant retrouve le goût de l’échange et du contact, et les troubles perçus préalablement disparaissent. Quelles différences existe-t-il alors entre ces enfants et les sujets au diagnostic d’Autisme Infantile qui, pour la plupart, bénéficient d’un environnement maternant et familial qui n’est pas plus pathologique que celui de la population générale ?

Afin de répondre à cette question, il nous a semblé pertinent d’aller étudier ces pathologies à caractéristiques autistiques ou des personnalités présentant des troubles autistiques mais chez qui le syndrome d’Autisme Infantile en lui-même ne s’est pas développé.

L’observation de ces troubles chez des sujets qui ne sont pas « autistes » nous permettra peut être de mieux comprendre le développement de ces symptômes et ainsi de mieux appréhender par la suite la formation du syndrome. Par exemple, les troubles autistiques rencontrés dans des pathologies névrotiques sont-ils une défense face à la pathologie, c’est-à-dire sont-ils d’ordre psychogénétique, ou sous-jacents, c’est-à-dire présents biologiquement mais ne se déclenchant qu’après l’apparition de la pathologie névrotique ?

Nos réflexions s’inspireront, dans un premier temps, des travaux de Freud (1913) sur les raisons pour lesquelles certaines personnes succombent à une névrose déterminée et pas d’autres.

‘« Parmi les causes de la maladie qui entrent en considération pour les névroses, nous distinguons des causes constitutionnelles que l’être humain apporte avec lui en naissant, et des causes accidentelles dont normalement, le concours est toujours requis dans la provocation de la maladie. Or, selon la proposition que je viens d’énoncer, les raisons qui décident du choix de la névrose appartiennent, sans exception, à la première catégorie ; elles sont donc de la nature des dispositions, et indépendantes des expériences vécues qui peuvent avoir une action pathogène. » (Freud, 1913)’

En cherchant à rattacher ses considérations des points de vues biologiques, Freud distingue dans les névroses la fonction passive de la fonction active.

Le comportement actif se manifesterait par une « pulsion d’emprise », alors que le comportement passif s’exprimerait par une forme « d’érotisme anal ». Ne retrouvons nous pas ici la distinction Autisme Précoce / Autisme à Début Tardif (ou l’Autisme riche et l’Autisme pauvre des schizophrénies) ? Le premier s’exprimant par une maîtrise nécessaire de son environnement (comportement actif) et le second par un mode défensif de repli sur soi (comportement passif) ; l’un cherchant plus une voie de sortie par ce lien actif à l’environnement par rapport au comportement passif de l’autre sous-groupe.

‘« Quand un des facteurs essentiels de la vie psychique vient à manquer, ceux qui restent intacts tendent à se regrouper pour établir, dans la mesure du possible, une sorte de nouvel équilibre. Celui-ci, tout en présentant des caractère profondément morbides, constitue néanmoins comme une planche de salut pour la personnalité défaillante (…). Il essaye de sauvegarder ainsi son aspect humain » (citation de Henri Ey, in : Minkowski, 1997)’

N’y aurait-il pas des formes de défenses névrotiques au sein de l’Autisme Infantile ?

Avant d’analyser plus précisément les types de névroses pour répondre à cette question, il paraît pertinent de s’appuyer sur le travail de Freud (1912) sur les différents types d’entrée dans la névrose. Cette ouverture nous permettra de mieux comprendre d’une part le lien Autismes/Névroses, d’autre part la présence de ce lien pathologique précoce.

Pour Freud, il existe quatre principales formes d’entrée dans la névrose :