CHAPITRE V : LES AUTISMES

Les troubles autistiques des personnalités « normales »

En début de cet ouvrage, nous nous sommes penchés sur les limites entre état normal et état pathologique. Nous avons constaté qu’il était difficile de définir un concept représentatif de la population étant donné : nos jugements personnels sur chaque comportement, l’évolution du regard de la société (d’une époque à une autre les pathologies n’ont pas les mêmes définitions ni les mêmes modes d’existences), la personnalité unique de tout un chacun et donc le fait que le développement individuel est particulièrement lié aux caractéristiques internes de chaque sujet (biologiques et psychologiques).

En 1971, à la suite de nombreuses enquêtes effectuées sur des populations de villes françaises, Chiland exposait les résultats suivants : il y aurait 1/3 de structures névrotiques, 1/3 de structures psychotiques, et 1/3 d’organisations plus ou moins anaclitiques.

Pour Chiland (1966), même les enfants apparemment les plus « normaux » peuvent présenter des signes névrotiques ou psychotiques. La direction vers la normalité s’établirait correctement si l’enfant possède un fonctionnement relativement modulable au niveau du passage entre le réel et le fantasmatique, et si ces deux fonctions sont biens définies pour lui.

Les réactions des enfants face aux stimuli environnementaux sont extrêmement variables d’une personnalité à l’autre. Quels sont les mécanismes mis en œuvre dans ces différents contextes interactionnels ? En 1973-1974, Brazelton et Korner ont étudié cette variabilité individuelle chez des bébés normaux afin de constater les différences réactionnelles face à l’environnement (Tourette, 1991). Trois comportements ont particulièrement été observés : les pleurs, l’activité motrice et les capacités d’auto-apaisement. La fréquence et l’intensité des réactions seraient variables d’un individu à l’autre. De même pour la durée des pleurs, la coordination motrice et le contrôle de l’apaisement (enfants capables de se calmer seuls ou non). Chacun de ces comportements aurait une grande influence sur l’environnement de l’enfant en fonction de ses réactions et de la manière dont elles ont été perçues et comprises.

De manière plus détaillée, d’autres travaux ont analysé la réaction des nouveaux-nés à une stimulation visuelle. Là encore, les réactions divergent selon les enfants. D’une part au niveau de leur regard, mais également par rapport à leurs réponses posturales (Jouen et Lepecq, 1989) qui peuvent aller de l’opposition à la servitude. Les conséquences de ces réponses ont une grande influence dans les relations précoces mère-enfant, et réciproquement (Korner et Thoman, 1970). Des comportements similaires ont aussi été relevés au cours de l’évaluation de la réactivité auditive (Demany, 1983), olfactive, gustative (Chiva, 1985), et tactile (Korner et Thoman, 1970).

Si ces troubles peuvent être présents chez tous les individus, à partir de quel moment pouvons-nous poser une limite d’une pathologie autistique ? De plus, pour quelle raison certains individus plongent-ils totalement dans la pathologie alors que d’autres restent en « surface » ?

Frances Tustin, psychanalyste reconnue pour ses nombreux travaux sur l’Autisme Infantile, a cherché au travers de son expérience avec ses patients, une forme sous-jacente de cette pathologie chez des individus à la limite entre le normal et le pathologique.

‘« Certaines personnes relativement normales, et souvent extrêmement douées, traitent les objets, les individus et les institutions, comme s’ils étaient des pions faisant partie de leurs corps, sur l’échiquier de leurs objectifs, "centrés sur le moi". C’est de cette étoffe que sont faits les fanatiques. C’est là une des sources des persécutions religieuses, sectaires et raciales, dont le but est de faire échec au "méchant non-moi", en se protégeant, "avec des œillères" de tous les points de vue différents du sien. Ces affiliations qui relèvent de l’étroitesse d’esprit se font passer pour de la loyauté, sans qu’elles le soient vraiment. Ces individus se préoccupent surtout de ce qui apparaît à la surface, comme [les enfants autistes] […] ils s’attachent à des caractéristiques aussi superficielles que la couleur de la peau, les opinions politiques, la terminologie théoriques, les rites et les cérémonies religieuses. Ces "formalistes" piétinent l’original et le nouveau. Ils se frayent un chemin dans la vie en assénant leurs thèses sclérosées, au lieu de s’ouvrir aux influences extérieures, qui stimuleraient la créativité. Ils cherchent à imposer leur système totalitaire aux autres, ainsi qu’à eux-mêmes. Ainsi, ils ne laissent plus de place pour l’action et pour la différence individuelle. Cela fausse également leurs propres réactions, ainsi que leur vision des autres. Les personnes qui diffèrent d’eux sont mauvaises, corrompues ou se trompent profondément. » (Tustin, 1972).’

Comme nous l’avons précédemment décrit, l’excès de normalité entraîne des pathologies graves et bien connues de notre siècle, illustrées par des phénomènes de « culte de la personnalité » ou de « sectarisme ».

Ce comportement ne semble pas s’instaurer uniquement chez ces personnes-là (les « formalistes » pour reprendre le terme de Tustin), mais également chez des personnalités en recherche de repères qu’elles ne trouvent pas en elles-mêmes : les « manipulés ». Ces derniers s’appuient sur un cadrage extrême mais extérieur à elles-mêmes.

Au travers de cette description, nous retrouvons des caractéristiques centrées sur l’immuabilité mais également sur l’incapacité à accéder à la créativité, constat préalablement évoqué au premier chapitre.

Quels liens pouvons-nous établir entre ce genre de comportement et ceux observés chez nos sujets au diagnostic d’Autisme Infantile ?