Discussion

Quels rapprochements pouvons nous faire entre les névroses et l’Autisme Infantile pour comprendre l’apparition et le développement des symptômes autistiques ?

Dans l’analyse de nos données nous avons perçu la particularité pathologique des Autistes Précoces dans leurs relations aux objets. Parmi les caractéristiques comportementales présentes dans de nombreuses pathologies névrotiques et au sein de l’Autisme Infantile, nous retrouvons le comportement de dépendance à des rituels pathologiques.

Est-il possible de faire un lien entre les rituels des névrosés et ceux des sujets autistiques ? Au travers des études présentées, ainsi qu’au sein de la nôtre, les comportements ritualisés des sujets au diagnostic d’Autisme Infantile ont été considérés comme secondaires au développement de la pathologie. C’est à la suite de l’apparition de troubles difficilement gérables que l’enfant met en place des comportements ritualisés pouvant faire penser aux barrières défensives, présentées par Freud (1925), caractéristiques du sujet névrosé pour faire face aux souffrances vécues.

‘« Le moi, qui a vécu passivement le traumatisme, en répète maintenant de façon active une reproduction atténuée, dans l’espoir de pouvoir en diriger le cours à sa guise. Comme nous le savons, l’enfant se comporte de la même manière face à toutes les impressions qui lui sont pénibles en les répétant dans le jeu ; par ce passage de la passivité à l’activité il cherche à maîtriser psychiquement les impressions de vie. » (Freud, 1925)’

Nous retrouvons ici les théories de Frances Tustin sur l’immuabilité de ces enfants au moment d’un impact à risques traumatiques. Cette immuabilité les empêche de mettre en place des activités transitionnelles leur permettant de dépasser cette souffrance. Dans notre étude, nous avons constaté le lien aux objets, particulièrement pathologique, des Autistes Précoces par rapport aux Autistes à Début Tardif. Nos hypothèses d’un trouble du développement insurmontable pour l’enfant, du fait de l’absence d’une certaine maturité neuropsychique et amenant l’enfant vers un repli de type autistique, se complètent par l’analyse des défenses mises en place face à la souffrance vécue. Par exemple, par des stéréotypes et des rituels comportementaux. Cette activité de défense contre une barrière de type autistique installée, constituée de comportements stéréotypés et ritualisés établissant un lien entre leur monde de type autistique et leur environnement, amènerait les Autistes Précoces vers une meilleure évolution. La sévérité pathologique des Autistes à Début Tardif, d’une part les freinerait dans leur recherche d’un passage vers l’extérieur, d’autre part le déficit développemental serait plus sévère chez ces derniers. Le trouble au niveau des fonctions de la communication ne permettrait pas de tentatives d’interaction et laisserait leur environnement dans une incapacité d’action face à leur absence totale de relation.

Les rituels des personnalités névrotiques évoquent un fonctionnement similaire. Afin d’échapper au repli total comme défense à la souffrance, le névrosé, du fait d’une impossibilité à mettre en place des défenses non pathologiques lui permettant de faire face à la situation, chercherait à conserver un lien avec l’extérieur de façon à rester protégé du risque traumatique sans tomber totalement dans la psychose. Ce fonctionnement de type obsessionnel lui permettrait d’être dans un entre-deux, à la fois en défense face à la souffrance et en lien avec le réel et ce dans l’espoir de renouer avec le réel une fois le risque traumatique surmonté.

Leur utilisation serait semblable aux rituels non pathologiques de passage : de l’enfance à l’adolescence, de l’adolescence à l’âge adulte, ou de la mort par le deuil. Ce sont des supports aidant au dépassement d’une souffrance et au déploiement vers l’extérieur (Rubin, 1996).

Les rituels des névrosés seraient moins pathologiques que ceux des sujets à pathologies autistiques du fait d’un développement syndromique beaucoup moins profond. Ces derniers sont porteurs de perturbations psycho-développementales beaucoup plus intenses que les personnalités névrotiques.

Cette tentative de liaison symptomatologique entre ces deux pathologies, étayée par l’exemple des rituels, nous permet-elle pour autant d’établir le postulat de troubles autistiques présents dans cette pathologie, même à degrés moindres ?

Retraçons les différentes rencontres que nous avons pu faire au cours de ce voyage théorico-clinique et analysons ce concept de manière plus précise.

‘« D’après mon expérience, une grossière carence de soins maternels n’est pas nécessairement le facteur déterminant principal dans tous les types d’autisme psychogénétique. Certains enfants autistes semblent être exceptionnellement hypersensibles et spécialement enclins à réagir d’une façon autistique à une absence de réponse de leur mère, que cette absence de réponse vienne d’une dépression ou d’une autre cause. Un autre type de bébé aurait réagi d’une manière différente. » (Tustin, 1988)’

Dans cet extrait, F. Tustin reste sur une causalité primaire de l’Autisme Infantile due à un déficit dans la relation à la mère dont la défaillance serait du côté maternel. Cependant, elle reconnaît la nécessité d’un facteur supplémentaire, telle qu’une fragilité développementale, si ce n’est « neurodéveloppementale », pour entraîner un type d’autisme chez un enfant.

Tustin illustre son propos par une expérience menée par Massie (1978) sur des films familiaux de 10 jeunes au futur diagnostic d’Autisme Infantile, lors de leur prime enfance. Cette étude présente deux jeunes faux-jumeaux : Martha et Madge. La description des deux filles mentionne la présence de signes d’Autisme Infantile à l’âge de 15 mois pour Martha alors que sa sœur continuait à se développer correctement. Massie considérait les parents comme brusques et insensibles mais il reconnaissait que seule Martha paraissait perturbée par ce comportement. Il a alors évoqué des hypothèses d’une causalité maternelle / parentale mais non unique dans le développement de la pathologie.

Ces travaux ont amené Tustin à en conclure que ces réactions autistiques seraient :

‘« …le résultat d’un concours et d’une interaction compliquée entre des facteurs constitutionnels et des facteurs environnementaux, dont l’équilibre est différent dans chaque cas. » (Tustin, 1988)’

Cette différence d’équilibre sous-tendrait la valeur actuelle de la largeur du spectre autistique intégrant aussi bien des personnalités « normales » à caractéristiques autistiques que des sujets au diagnostic d’Autisme Infantile profondément ancrés dans leur pathologie.

Nous allons à présent travailler nos hypothèses d’un lien heuristique possible avec les pathologies névrotiques.

‘« Les enfants autistes sont des enfants exigeants, ils attendent et ils demandent une impossible perfection. » (Tustin, 1988)’

Nous retrouvons ici un rapport à l’immuabilité, aux rituels et aux obsessions présent à la fois au sein de l’Autisme Infantile et dans de nombreuses pathologies névrotiques.

A la suite de cette remarque, Tustin a cherché à savoir :

‘« S’il s’agissait d’enfants exigeants par nature et de ce fait particulièrement difficiles à élever (…), ou s’il s’agissait d’une évolution secondaire en réponse à la frustration. » (Tustin, 1988)’

Dans les deux cas, la similarité pathologique reste valable, de même que l’hypothèse de vulnérabilité neurodéveloppementale.

La longue expérience clinique de Tustin auprès d’enfants à caractéristiques autistiques l’amène à considérer le facteur principal de ce syndrome : l’incapacité de l’enfant à avoir une relation de base primitive avec sa mère.

‘« Les réactions autistiques se situent à l’interface entre la neuropsychologie et la psychologie dynamique. » (Tustin, 1988)’

Cette ouverture disciplinaire l’amène à créer les termes « neuromental » et « psychochimique » pour expliquer les interactions permanentes des mécanismes en jeu dans la structure autistique. Pour la construction de ces termes, Tustin se réfère aux préconceptions de l’enfant (attentes innées ; préconception innée de l’objet de la satisfaction séparé de lui, qui le pousse à le chercher et à le trouver) décrites par Bion (1968). Ces préconceptions sont présentes dès la naissance en tant que programmes moteurs préformés parce que codés génétiquement.

Lors de la naissance de l’enfant, un écart est présent entre ses préconceptions et ses réalisations. Cet écart dépend, dans une certaine mesure, des mécanismes pulsionnels de l’enfant mais principalement de la présence, de l’absence, de la défaillance et de la fluctuation des mécanismes du système interne. Ces fonctionnements se mettent en œuvre de façon discontinue et ont une intensité variable selon les disponibilités internes présentes chez l’enfant, et selon sa condition psychique au moment du désir de réalisation.

Au travers de ces théories, nous revenons sur le postulat selon lequel l’enfant ne pourrait résister à une frustration ou à un effet à risques traumatiques que s’il a atteint le niveau de maturité suffisant et si aucune défaillance psycho-développementale n’est présente.

Les conceptions de Tustin s’accordent avec celles de Bion et avec les théories actuelles sur les conditions nécessaires au développement de l’Autisme Infantile, à savoir, des perturbations à la fois internes et externes, biologiques et environnementales, neuronales et psychologiques.

En reprenant l’exposé de Bion (1967), l’impression d’absence d’objets et la frustration créent chez le bébé un « problème à résoudre ». C’est grâce à ces obstacles que l’enfant va pouvoir mettre en place une pensée, il va apprendre par l’expérience. Bion reprend les notions kantiennes de chose en soi : une préconception est une « pensée vide » que l’expérience viendra combler (Minazio, 1997). Pour Bion, une « pensée » correspond à la combinaison d’une conception et d’une réalisation frustrante :

‘« La capacité de tolérer la frustration permet ainsi à la psyché de développer une pensée comme moyen de rendre encore plus tolérable la frustration tolérée. » (Bion, 1967)’

Cependant, si cette capacité à tolérer la frustration est défaillante ou non fonctionnelle la psyché va chercher à fuir cette frustration.

‘« Le mécanisme approprié est non un appareil pour penser les pensées, mais un appareil pour débarrasser la psyché d’une accumulation de mauvais objets internes. » (Bion, 1967)’

L’entre-deux théorique serait le phénomène de résilience exposé au premier chapitre :

‘« L’art accomplit par un moyen particulier une réconciliation des deux principes. A l’origine, l’artiste est un homme qui, ne pouvant s’accommoder du renoncement à la satisfaction pulsionnelle qu’exige d’abord la réalité, se détourne de celle-ci et laisse libre cours dans sa vie fantasmatique à ses désirs érotiques et ambitieux. Mais il trouve la voie qui ramène de ce monde du fantasme vers la réalité : grâce à ses dons particuliers il donne forme à ses fantasmes pour en faire des réalités d’une nouvelle sorte, qui ont cours auprès des hommes comme des images très précieuses de la réalité. » (Freud, 1911)’

Dans la résilience, l’individu n’arrive pas à symboliser ses désirs et ses contraintes comme le ferait un sujet « normal ». En revanche, il possède des capacités d’évitement du réel par d’autres formes de symbolisation, à savoir des biais artistiques qui lui évitent de tomber dans une fuite du problème de manière pathologique.

Quels mécanismes sont en jeu chez l’enfant au diagnostic d’Autisme Infantile ? Possède-t-il un mécanisme approprié ? L’étude du développement des Autistes Précoces amène à l’hypothèse d’une accumulation de frustrations du fait des nombreux troubles somatiques présents dès leur plus jeune âge qui empêcherait ces enfants de mettre en place les défenses nécessaires à leur bon fonctionnement.

Pour Bion (1967), il existe à l’origine une pensée sans appareil à penser. Le nourrisson se constitue cet appareil à penser à partir de ses expériences sensorielles, en s’en libérant à l’aide de l’identification projective. L’expérience d’un trop plein sensoriel chez les sujets diagnostiqués Autisme Infantile peut perturber ce fonctionnement.

Le bon développement de l’enfant, par le biais de la tolérance à la frustration, évolue vers une capacité à penser ses pensées, c’est-à-dire à se créer des symboles, et par conséquent vers un langage comme expression de la pensée. C’est la transformation des éléments Bêta en éléments Alpha qui forme la pensée grâce aux processus d’abstraction. La fonction Alpha a un rôle de contenant des sensations, des affects et des angoisses. Elle modélise la symbolisation primaire : modèles sonores, visuels, olfactifs… (Symbolisation secondaire : rêves, mythes… ; symbolisation tertiaire : pré-représentation puis préconception, représentation et conception). Il y a symbolisation par la pensée abstraite. Si la première étape de ce développement est perturbée (cf. les nombreux troubles des Autistes Précoces et l’exemple de Guillaume dans sa relation aux sens), non seulement l’enfant aura tendance à fuir la frustration, par exemple par le repli, mais surtout, il n’aura pas accès aux bases nécessaires de la symbolisation et donc ne pourra évoluer vers un système de communication adéquat.

De plus, la fonction Alpha permet d’établir la « barrière de contact ». Si celle-ci n’arrive pas à se constituer, la distinction entre les éléments internes au sujet et la réalité externe sera endommagée. Le sujet va alors rester au stade des éléments Bêta dans lequel les différences ne sont pas acquises. Il y aura « conglomération », « agglutination », comme nous le retrouvons chez certains sujets au diagnostic d’Autisme Infantile.

Bien entendu, dans cette construction, l’enfant n’agit pas seul. Le bébé a besoin de s’appuyer sur un « penseur » pour donner une forme et une signification à cet appareil. Dans cette mise en œuvre, le mouvement interactionnel est donc en action des deux côtés, bébé et adulte. S’il y a déficit ou incompréhension chez l’un des protagonistes, l’ensemble du système peut être touché. Nous retrouvons ici le concept de processus autistisant.

Ces références théoriques nous amènent à nous demander si la distinction qui existerait, entre les pathologies névrotiques et les pathologies autistiques, ne se situerait pas au niveau de ce dysfonctionnement « neuromental ». Ce dysfonctionnement serait beaucoup plus intense au sein des pathologies autistiques et relativement léger, bien que nécessaire, dans la formation d’une névrose.

‘« Un nourrisson doté d’une forte capacité de tolérer la frustration pourrait survivre à l’épreuve d’une mère incapable de rêverie, donc incapable de pourvoir à ses besoins mentaux. A l’autre extrême, un nourrisson fondamentalement incapable de tolérer la frustration ne peut sans risque d’effondrement survivre même à l’expérience de l’identification projective avec une mère capable de rêverie. » (Bion, 1962)’

Ces travaux psychanalytiques, portant essentiellement sur les processus de symbolisation d’enfants psychotiques, définissent la présence d’une défaillance dans l’accès à la symbolisation. Pour se défendre de ce trouble, le seul recours que trouveraient les sujets atteints serait de projeter leurs contenus psychiques vers les personnes de leur entourage. Ces derniers les aideraient à identifier ce contenu psychique porteur d’angoisse (Bion, 1962 ; Meltzer, 1984). L’objet externe, receveur, peut alors développer une fonction contenante « suffisamment bonne » pour soutenir le déficit de l’enfant ; dans d’autres cas, l’identification peut ne pas être comprise et entraîner une régression dynamique et comportementale (Bion, 1962). Cette absence d’aide à la formation de la pensée aura pour conséquences le développement d’angoisses archaïques désorganisantes. L’évolution vers la pathologie dépendrait alors du niveau de fragilité neuro-développemental du sujet et des moyens dont il dispose pour se défendre.

Les constructions théoriques de M. Klein (1946) - sur  la position dépressive, la position schizo-paranoïde, puis sur l’identification projective - mettent en relation ces comportements d’élaboration d’angoisses dépressives et d’angoisses persécutrices à la fois dans les personnalités psychotiques et dans les personnalités névrotiques. La conception selon laquelle il pourrait exister des angoisses psychotiques chez des personnalités non psychotiques nous a conduit à réfléchir sur la présence de comportements autistiques chez des sujets névrosés ou au caractère apparemment non pathologique.

Bion (1957) détaille ces réflexions kleiniennes en décrivant une partie psychotique et une partie non psychotique dans une même personnalité.

En parlant des névrosés, il exprime sa conviction selon laquelle :

‘« …il existe une personnalité psychotique dissimulée par la névrose, tout comme chez le psychotique il existe une personnalité névrotique qu’il faut dévoiler et traiter. » (Bion, 1957)’

Pour illustrer ce concept de continuum pathologique, prenons l’exemple des patients porteurs d’un syndrome Obsessionnel Compulsif. Parmi eux, 30 à 50 % ont manifesté leurs premiers symptômes pendant l’enfant ou l’adolescence (Rasmussen, Eisen, 1990). Chez les enfants et adolescents atteints de cette pathologie, 75 % présentent une comorbidité. (Swedo et al, 1989). Pouvons-nous alors parler de syndrome latent ?

Comme nous l’avons vu au premier chapitre, certains rituels dans l’enfance, tels que les rituels du coucher, de comptage, de marcher en sautant des dalles, de nombres « porte-bonheur », de rangement aident l’enfant, par leur fonction « magique », à contrôler son anxiété et favorisent sa socialisation (Baleyte, 2000). Ils sont donc normaux et nécessaires au bon développement de l’enfant du fait de leur fonction défensive face aux obstacles de la vie.

Cette valeur défensive, connue de manière inconsciente chez l’enfant, peut donc être rappelée dans un processus pathologique, tel que le processus précédemment cité d’incapacité à dépasser le risque traumatique à l’aide de la pensée symbolique. De cette incapacité naîtrait une défense par la pensée magique :

‘« La pensée magique marque un surinvestissement de la pensée associée à un sentiment de toute-puissance de celle-ci, maintenant un flou entre réel et imaginaire qui peut traduire une distorsion dans l’ordre du symbolique. » (Guilbaud, Corcos, 2000) ’

Nous retrouvons un trouble similaire quant à la représentation du réel par le symbolique, à des degrés différents d’intensité et d’incapacité dans les pathologies autistiques et névrotiques, particulièrement dans le type obsessionnel.

Quelle est l’origine de ce déficit ?

Selon M. Klein, la névrose obsessionnelle fait partie intégrante de la position dépressive. Elle est le mécanisme de défense normal pour lutter contre les angoisses surgissant à la suite du comportement négatif de l’enfant face à l’objet maternel dans la position schizo-paranoïde. Un lien entre la gravité de la névrose obsessionnelle qui se développera par la suite peut s’établir avec l’importance des troubles paranoïdes qui l’ont précédés (Guilbaud, Corcos, 2000). La perturbation sur laquelle nous nous interrogeons, à savoir la raison pour laquelle certains enfants, à la suite d’une perturbation à risques traumatiques, entrent dans une fonctionnement pathologique et d’autres non, serait à chercher du côté d’une période datant des tout premiers temps de vie. Cette perturbation étant déjà présente dans la position schizo-paranoïde. La présence de troubles dès les premiers temps de vie chez les Autistes Précoces confirme ces hypothèses.

Les processus de symbolisation sont donc indispensables à l’élaboration de la perte d’objet. Et pour qu’il y ait processus de symbolisation, la formation du symbole est nécessaire à l’élaboration de la symbolisation.

Selon Hanna Segal (1957), ce processus de symbolisation est une relation à trois : le moi, l’objet et le symbole. Les premiers symboles se forment par le biais de l’identification projective. Nous sommes donc à un niveau encore plus primitif que la position schizo-paranoïde. L’enfant au diagnostic d’Autisme Infantile a-t-il les facultés nécessaires à l’identification projective ? D. Ribas (1992) s’appuie justement sur cette absence d’identification projective au sein de l’Autisme Infantile pour différencier ces pathologies de la psychose.

Avant même l’incapacité à symboliser, le trouble serait déjà présent dans la formation du symbole. Ce processus déficitaire s’exprime au cours du développement au niveau des capacités cognitives de représentation par le symbole, telle que dans le jeu de faire-semblant, dans l’attention conjointe et dans le pointage. Il illustrerait, chez l’enfant au diagnostic d’Autisme Infantile, l’impossibilité à utiliser ce fonctionnement (cf. la théorie de l’esprit au Chapitre II). L’identification projective étant, selon M. Klein, une défense primitive présente dès les premiers mois de vie, la perturbation de l’enfant serait antérieure à cette période. Serait-elle alors au niveau de l’identification adhésive, décrite par Meltzer (cf. Chapitre II), où, selon l’auteur, ni le self, ni l’objet, n’ont de compartiments internes pouvant contenir les objets sur lesquels pourrait s’exercer l’identification projective ?

‘« …on ne doit pas comprendre les états autistiques comme dérivés des mécanismes de défense contre l’angoisse mais qu’ils tendent à être déterminés par le bombardement des sensations face à la fois à un équipement inadéquat et à l’échec de la dépendance. » (Meltzer, 1975)’

Quelle est l’origine de cette absence de « compartiments » ou de cet équipement inadéquat ?

Cette absence d’identification projective amènerait l’enfant à développer le processus autistisant cité précédemment. Le comportement de l’enfant au diagnostic d’Autisme Infantile s’exprimerait de manière incompréhensible pour sa mère et son entourage. La mère ne pourrait, face à cette incompréhension, développer de manière adéquate les capacités de rêverie définies par Bion (1962). La mère, dans ce contexte là, ne peut accueillir les projections de l’enfant, qui ne sont pas transmises telles qu’elle les attendait. Elle ne sait pas comment réagir face à un processus communicationnel et transférentiel incompréhensible, et offre de fait à son enfant une réponse tout aussi inaccessible pour lui. Elle perd alors cette fonction de réceptacle aux émotions de l’enfant, ce qui entraîne une frustration encore plus importante chez cet enfant déjà porteur de ses propres troubles (cf. l’exemple de Thierry évoqué dans ce chapitre par son langage qualifié de « martien » par les soignants).

Parmi les modes défensifs de l’enfant face à cette incompréhension interactionnelle, nous pouvons chercher du côté des troubles du regard observés dans nos résultats. Les troubles du regard sont fortement présents dès l’apparition de la pathologie, et ceci pour nos deux sous-groupes. Ce regard étrange que porte le sujet diagnostiqué autiste sur son interlocuteur peut être significatif de ses interrogations et de sa recherche de compréhension de l’étrangeté relationnelle qui existe entre les deux protagonistes. Il paraîtrait utile de mener une étude sur les différentes formes de regards offerts par les sujets à troubles autistiques. Certains sont dits traversants, hyperpénétrants ou fuyants. N’y aurait-il pas une distinction à effectuer sur ces différentes façons d’utiliser le regard ? Les regards fuyants chercheraient à éviter la relation source d’angoisses ; les traversants contiendraient peut être une perturbation plus profonde que les autres car ils auraient totalement quitté la réalité ; quant aux « hyperpénétrants », ils pourraient exprimer cette recherche de compréhension, de lecture du visage (ces enfants-là nous donnent souvent l’impression d’interroger notre visage), ils auraient alors des capacités en émergence pour tenter d’accéder à ce mode de communication non verbale, mais n’auraient pas l’outil adéquat pour dépasser ce stade. D’où, à nouveau, le constat de l’importance de la signification du trouble du regard dans le développement précoce de l’enfant. Dans la perspective d’un travail sur ce sujet, l’analyse de ces regards en fonction des sous-groupes autistiques pourrait révéler le degré de leurs perturbations internes si une corrélation avec l’intensité des troubles autistiques de chaque sous-groupe devait se confirmer.

Ce trouble du regard est un symptôme retrouvé chez certains sujets névrotiques.

Revenons-en à l’hypothèse de la présence d’une perturbation avant même le déclenchement de la pathologie. Cette présence ne s’expliquerait-elle pas par l’évolution d’un trouble déjà présent (hypothèse valable également pour les Autistes à Début Tardif dont l’évolution se ferait de manière plus fluctuante) et non par une régression vers un point de fixation ? Le lien fonctionnel avec la névrose obsessionnelle reste valable dans un système de continuum à degrés d’intensités variables. Le comportement « normal » de ces patients avant l’apparition des troubles se situe généralement dans une normalité en excès, telle que nous l’avions définie au Chapitre I. Cette conduite tend à suggérer un état pathologique sous-jacent protégé par des défenses de type obsessionnel avant qu’un facteur déclencheur fasse céder ces défenses et développer le délire.

‘« La névrose obsessionnelle est la conséquence d’un mouvement progrédient, d’un effort de guérison par rapport à un état psychotique précoce et non d’une régression devant le conflit. » (Diatkine, 1981)’

Ces deux états pathologiques seraient alors porteurs d’un trouble sous-jacent. Une atteinte de moindre importance permettrait à certains sujets d’évoluer vers une névrose obsessionnelle, en évitant la psychose, mais non vers la normalité, dans un premier temps.

La défense du faux « self » décrite par Winnicott (1963) au sein de ces personnalités « trop normales » ou « normées » qui, à la suite d’un événement, déclenchent la pathologie du fait de l’absence d’un vrai « self », est présentée comme une faible capacité pour ces personnes à employer des symboles. Il n’y a pas d’absence totale d’accès à la symbolisation comme dans l’Autisme Infantile mais une déficience qui ne permet pas à ces sujets d’utiliser correctement les symboles pour se défendre contre les différents obstacles ou angoisses rencontrés.

Dans la même lignée, Didier Houzel (1988) soutient le concept élargi de Tustin de « barrières autistiques » chez des patients névrotiques, principalement par le biais de l’analyse d’enfants timides ou inhibés. Il insiste sur la phobie que possèdent ces enfants face au monde extérieur.

Cependant, auraient-ils reçu un diagnostic d’Autisme Infantile s’ils avaient été porteurs de la vulnérabilité interne dont ces travaux émettent l’hypothèse ? Il est difficile de répondre objectivement à cette question, mais nous pouvons orienter nos réflexions grâce à la similitude des failles présentes dans les réactions et les comportements de ces différents types de sujets.

Dans son ouvrage, Les barrières autistiques des personnalités névrotiques, Tustin (1986) liste des cas de personnalités pathologiques non autistiques dans lesquelles elle a détecté des enclaves autistiques : troubles psychosomatiques et hypocondrie, encoprésie et énurésie, difficultés d’apprentissage scolaire, phobies scolaires, anorexie mentale, psychopathies, conduites addictives, hystérie et états cyclothymiques.

Tous possèdent des troubles au niveau de la différenciation entre eux et le monde environnant, entre le soi et le non soi, entre leur propre corps et le corps de l’autre, entre les objets externes et les objets internes. La présence de ces troubles se caractérise, chez chacun d’entre eux, par une impossibilité à symboliser correctement pour supporter la frustration, et donc par la nécessité de mettre en place d’autres mécanismes défensifs, cette fois d’ordre pathologique, pour contrer cette souffrance. Un repli, à des degrés d’intensité différents, s’élabore également pour gérer au mieux ces conflits, en évitant un maximum le contact avec un environnement extérieur menaçant, susceptible de réveiller cette frustration mise à l’écart, mais non résolue.

Ces suggestions théoriques confortent l’idée que le retrait pathologique retrouvé dans l’Autisme Infantile serait secondaire dans le développement du syndrome. Celui-ci nécessiterait un mécanisme pathologique sous-jacent plus intense. Mais elles nous permettent également d’exprimer une nouvelle hypothèse quant au trouble de la communication. La difficulté à symboliser, retrouvée chez ces personnes névrotiques et autistiques, a pour conséquence le développement de troubles qui compensent cette faille développementale. Un des principaux recours est le repli social qui n’atteint cependant pas le domaine de la communication dans les pathologies névrotiques, alors qu’il fait partie des éléments essentiels à la définition de l’Autisme Infantile. Plusieurs points sont alors à considérer en ce qui concerne les conséquences pathologiques. Le premier serait que le trouble de la symbolisation serait de moindre intensité chez les sujets névrotiques que chez les personnalités autistiques, ce qui expliquerait que le fonctionnement de la communication ne soit pas affecté. Un second point concernerait l’âge d’apparition de la pathologie : les névrosés adultes ont un passé développemental qui leur a permis d’évoluer vers un comportement moins déficient que les sujets au diagnostic d’Autisme Infantile. Toutefois, les troubles de la communication ne sont pas essentiels au diagnostic de névroses infantiles. Par conséquent, en dernier point, nous sommes tentés de considérer que les sujets au diagnostic d’Autisme Infantile possèdent un déficit neuro-développemental plus intense que les sujets névrotiques. L’atteinte neuro-développemental de ces sujets ne leur permet pas de mettre au point des mécanismes compensatoires rendant possible l’accès au développement de la communication. Enfin, cette hypothèse peut être confirmée par le cas des Autistes à Début Tardif. Ces derniers ont un développement normal jusqu’à 12-18 mois : des capacités langagières, communicationnelles et de jeux sont présentes jusqu’à cet âge-là. Cependant, les compétences communicationnelles se limitent à quelques mots ou phrases courtes. De plus, l’intégration du jeu est généralement d’ordre fonctionnelle mais elle n’a pas pour but l’accès à la symbolique. Ces enfants n’utilisent pas les jeux de faire-semblant car leur accès n’est pas encore possible à cette période du développement pour un enfant normal. Par conséquent, l’enfant Autiste à Début Tardif possède peut-être bien cette déficience neuro-développementale au niveau de la symbolisation, et uniquement à ce niveau-là. De fait, cette déficience ne se perçoit pas dans le développement précoce de l’Autiste à Début Tardif. Ce serait lors de l’interaction avec une nouvelle perturbation d’ordre « neuromentale » ou « psychochimique », ou à un stade de développement où la fonction symbolique est appelée à être utilisée dans son intégralité, qu’un blocage ou une incapacité s’établirait. De plus, cette nouvelle perturbation peut être influencée par la connaissance de la part de l’enfant de la présence de ce trouble précoce, l’empêchant ainsi d’accéder à la compréhension de son monde environnant, même si cela ne se perçoit pas dans son comportement précoce. Ce serait donc au moment où l’enfant cesse de lutter contre cette incompréhension du monde environnant, consécutivement à une forme de désespoir atténuant la force qui lui permettait de contrer un trouble sous-jacent, que ce dernier, prêt à faire son apparition à la moindre défaillance du sujet, en profiterait pour se réveiller.

Enfin, l’absence de symbolisation présente chez l’ensemble des sujets diagnostiqués Autisme Infantile explique un certain nombre de symptômes. La symbolisation est le premier élément nécessaire à l’accès au jeu symbolique. S’il n’y a pas accès à la symbolisation il n’y a pas accès au jeu symbolique. Dans Pourquoi les enfants jouent-ils ? Winnicott (1957) nous explique l’intérêt et le rôle du jeu dans le développement de l’enfant. Le jeu permet l’accès à :