Conclusion

« Il y a des hommes qui possèdent cette force à un degré si minime qu’un seul événement, une seule douleur, parfois même une seule légère petite injustice les fait périr irrémédiablement comme si tout leur sang s’écoulait par une petite blessure. Il y en a, d’autre part, que les accidents les plus sauvages et les plus épouvantables de la vie touchent si peu (…) qu’au milieu de la crise la plus violente, ou aussitôt après cette crise, ils parviennent à un bien-être passable, à une façon de conscience tranquille. »
Friedrich NIETZSCHE Deuxième considération intempestive, 1873-1875.

Nos hypothèses inspirées des travaux sur les schizophrénies et des théories des auteurs d’orientation kleinienne iraient dans le sens des propos de F. Tustin sur une atteinte d’origine neuromentale déficitaire nécessaire au développement d’une pathologie autistique. Les conséquences pathologiques dépendraient alors de l’intensité de cette déficience, du degré de vulnérabilité du sujet en réaction à un événement à risques traumatiques, et des moyens dont il dispose pour s’en défendre.

Les différents cas rencontrés susceptibles d’illustrer ces interrogations sur la diversité du syndrome s’expliqueraient de la manière suivante :

Deux points essentiels sont à retenir : l’importance du déterminisme neuro-développemental dans la personnalité de l’enfant, mais également l’expression de ce déterminisme à partir de l’environnement de l’enfant. L’expression de ce déterminisme, quel qu’il soit, serait fonction de notre environnement.

L’environnement et le fonctionnement interne sont donc indissociables.

Pour reprendre les propos de Fonagy (2001), le développement de troubles dans le temps serait fonction de la défaillance du mécanisme, mais ce serait la compréhension que l’enfant a de son propre environnement qui prédominerait sur le déterminisme génotypique.

‘« …l’élaboration mentale des expériences est essentielle à l’expression du matériel génétique… » (Fonagy, 2001)’

Pour résumer, nous pouvons nous appuyer sur les travaux de R. Roussillon (1999) dans Agonie, Clivage et Symbolisation, qui expose l’évolution du traumatisme dans le fonctionnement de l’individu. R. Roussillon propose sa théorie en se référant aux concepts winnicottiens sur l’expérience traumatique.

Le premier temps de cette expérience traumatique se situerait dans un afflux d’excitation menaçant le fonctionnement de l’appareil psychique. Le sujet ne pourrait pas répondre de manière adéquate soit du fait de son immaturité, soit du fait de l’intensité du traumatisme. Nous retrouvons ici nos hypothèses traumatiques exposées pour les Autistes Précoces, porteurs de nombreux troubles sensoriels et organiques dès la naissance. De plus, les modalités pathologiques exposées sont très proches de nos hypothèses, à la différence que nous ne les proposons pas dans un processus de choix mais en interaction. L’immaturité expose à une vulnérabilité psychique, concept inspiré des travaux de Spitz sur la présence d’une plus grande fragilité entre les stades de développement et des processus de maturation non encore acquis dont parlent Tustin et Mahler. Cette immaturité, associée à une trop grande quantité d’excitation, renforcerait l’incapacité à mettre en place des processus défensifs adéquats.

Cette absence de moyens d’action efficaces pour se protéger de ces mécanismes traumatiques amène les sujets au deuxième temps évoqué par Winnicott et repris par Roussillon. Ce deuxième temps s’exprime du fait d’un épuisement des tentatives de solutions internes dont son expression l’entraîne vers un repli psychique.

Ce second temps, dans l’instauration du traumatisme, semble commun à nos deux catégories d’autismes. La distinction est à effectuer dès le premier temps, dans la source de l’effet à risques traumatiques. Les Autistes Précoces rencontreraient ce trop plein d’excitation modulateur d’une perturbations pouvant être traumatisante, alors que pour les Autistes à Début Tardif, cette perturbation à risque d’effet traumatique s’installerait du fait d’un trouble développemental d’ordre communicationnel, comme nous l’avons vu au travers de notre étude. Nos deux sous-groupes d’enfants seraient alors tout deux porteurs de cette immaturité développementale à faire face à ces perturbations, mais dont l’origine traumatique en serait différente.

La raison pour laquelle la pathologie s’exprimerait à des âges différents proviendrait justement de cette distinction au niveau du traumatisme originel. Le traumatisme vécu par les Autistes Précoces nécessite que les enfants réagissent instantanément pour pouvoir survivre psychiquement. A l’inverse, les Autistes à Début Tardif s’en accommoderaient dans leurs premières années de vie, jusqu’à ce que la demande extérieure et leurs besoins nécessitant l’efficacité de ce mécanisme deviennent trop oppressants. Le second temps décrit par Winnicott ne s’installerait pas aux mêmes âges selon la catégorie autistique concernée.

Comme la nécessité de réagir se fait moins sentir chez les Autistes à Début Tardif, ils ne cherchent pas immédiatement à se défendre ce qui permet aux troubles d’évoluer sans être perturbés dans leur développement. A l’inverse, les Autistes Précoces tentent dès le début de lutter contre ces perturbations, ce qui s’exprime par la mise en œuvre de moyens défensifs pour contrer l’objet à risque traumatique, comme cela se retrouve dans leurs liens pathologiques aux objets et dans leurs comportements de type obsessionnel. Ils réussissent à mettre en place des « tentatives de reliaison secondaire » (Roussillon, 1999). Les Autistes à Début Tardif sont restés dans un mode relationnel « gelé » du fait d’un développement pathologique si profond qu’ils n’ont plus eu accès à de quelconques modalités défensives. Leur comportement rigide et fonctionnel incapable de s’exprimer par la symbolique serait la conséquence de ce fonctionnement qualifié de « neutralité énergétique » par Roussillon.

Enfin, parallèlement à l’évolution pathologique de nos deux sous-groupes, les réactions de l’environnement influencent le développement de ces enfants. Les tentatives défensives des Autistes Précoces, malgré leur comportement pathologique, peuvent conduire l’entourage à tenter de les comprendre. Cela peut permettre une esquisse de forme relationnelle, ce qui aide ces enfants à évoluer. A l’inverse, ce comportement est plus délicat à développer pour l’entourage des Autistes à Début Tardif qui ne tentent pas de lutter.

Les troubles de ces enfants au diagnostic d’Autisme Infantile seraient accentués du fait de l’incapacité de leur environnement à les comprendre et à se faire comprendre d’eux.