Introduction générale

« I don’t believe Malcolm would commit suicide. He was too much in love with the English language1 ». Cette singulière déclaration faite par Jan Gabrial, la première épouse de Malcolm Lowry, qui met en équation un impossible passage à l’acte suicidaire et un amour de la langue maternelle, jette un éclairage sans doute plus fondamental sur la passion de son ex-mari pour la langue et les mots que sur les circonstances de sa mort.

Loin de nous l’intention de verser une nouvelle pièce au dossier de l’enquête sur la « mort accidentelle » de Clarence Malcolm Lowry, le 27 juin 1957 à Ripe dans le Sussex, des suites d’une prise de barbituriques associée à de l’alcool2. Véritable suicide, suicide « assisté » ou conduite incontrôlée sous l’emprise de l’alcool : il ne nous appartient pas de trancher en faveur de l’une ou l’autre de ces hypothèses en l’absence de preuves formelles, ni de nous égarer dans des considérations biographiques hors de propos ici3.

Examiner d’un peu plus près les implications de la seconde phrase consiste par contre à relancer la question de la dimension éthique du personnage à travers le prisme de sa passion pour la langue anglaise. En faisant état de la passion que Malcolm Lowry éprouvait pour le matériau de son art poétique, et en l’utilisant comme argument excluant à ses yeux le passage à l’acte suicidaire, Jan Gabrial établit un lien entre une forme de jouissance linguistique et une philosophie, voire une éthique, de l’existence. Celui-ci ne peut toutefois être confirmé par une pratique herméneutique et n’est donc pas de notre ressort. En revanche, l’analyse de la jouissance linguistique qui semble être au cœur de la pratique d’écriture de l’écrivain Lowry est essentielle pour toute lecture critique de son œuvre.

Tout au long de sa vie Lowry s’est vu reprocher un style d’écriture dont les méandres et les contorsions irritaient au plus haut point ses contempteurs. Ses premiers détracteurs sont ses condisciples de la « public school » des Leys à Cambridge où Malcolm poursuit des études secondaires de septembre 1923 à mars 1927. Se distinguant assez rapidement par son talent d’écriture, il obtient divers prix littéraires décernés par son école et intègre le comité directeur du magazine scolaire The Leys Fortnightly4. Adoptant le pseudonyme de « Camel », formé à partir de ses trois initiales, Lowry livre plusieurs reportages de matches de hockey sur gazon dans un style fleuri privilégiant l’anecdotique, voire l’insolite, au détriment de la précision technique du compte-rendu. Apparaissant déjà comme un « excentrique du verbe » (Kim 65, 394), il est à l’affût de l’effet produit par l’emploi d’un mot recherché, de préférence inconnu de ses camarades, et se démarque volontiers des autres en infligeant à ses phrases ses propres variations syntaxiques. C’est ainsi qu’il n’hésite pas à parler d’un coup de pied  « pantagruélique » dans un de ses reportages (Kim 65, 387) ou d’insérer dans l’une de ses nouvelles des points de suspension jugés bizarres ou surnuméraires par certains de ses camarades. Les railleries et reproches dont il fait l’objet ne sont pas sans suite : prosateur conscient de son art et de ses effets, Lowry prend à partie ses détracteurs en les renvoyant à leur propre inculture et en se flattant d’être au-dessus de la mêlée grâce à ce qu’il conçoit comme une plus grande maturité intellectuelle et une non moins grande sophistication littéraire de sa part5.

Russell Lowry, troisième frère de Malcolm6, corrobore cette propension chez lui à thésauriser des détails et des mots rares dès l’enfance :

‘[…] The first [quality] that comes to mind was the first one to show, in childhood–his formidable memory for details which he would “bank” in separate accounts, as it were, until there were enough to bubble over into a stream of thought. Similarly he “banked” words, especially obscure or unusual words, a process he started very young. His joy was then boundless if he could find a use for some rare item in his collection. The applications of this idea can be extended almost indefinitely, to cover anything and everything from stars to snails, from A to Z. It was his most useful tool7.’

Le fétichisme du mot rare et la jouissance qu’elle procure au jeune Malcolm lorsqu’il peut introduire un échantillon de sa collection lexicale dans une conversation ou dans ses écrits témoigne d’une valorisation précoce du moi par le biais de ce que l’on pourrait appeler une affectation linguistique ou, de manière plus positive, une théâtralité du discours et du mot en représentation.

Il ne faudrait pas en déduire pour autant que le plaisir des mots auquel succombait déjà Lowry-enfant ait coupé progressivement ce dernier de toute réalité extérieure. Certes, la jouissance qu’il éprouve à traquer le mot rare, et à s’en délecter davantage encore dans le réemploi qu’il pouvait en faire, se vérifie tout au long de sa carrière8. Ce fétichisme langagier est bel et bien ancré dans son mode d’écriture, mais s’il reflète le narcissisme d’un moi qui se mire dans son choix de pépites linguistiques, il témoigne aussi de l’acuité auditive de Lowry et de son aptitude peu commune à capter les différents registres de discours, à restituer les particularismes langagiers et à mesurer les oscillations du mot « socialisé », ouvert aux influences du milieu dans lequel il surgit :

‘[…] c’est tout naturellement qu’il ancre son langage dans la réalité du temps. A présent c’est l’argot des écoles, plus tard il utilisera et reproduira celui des bateaux et des bars. Dès ces premières œuvres, le processus semble inévitable, congénital pour ainsi dire. (Kim 65, 386) ’

Ultramarine, premier roman publié par Lowry en 1933 au terme de ses années d’étude à Cambridge, atteste déjà cette capacité à entrecroiser la langue argotique des marins et celle plus sophistiquée et plus introspective de son double fictionnel, Dana Hilliot. Lowry s’inspire à la fois de son expérience personnelle de jeune mousse à bord du Pyrrhus en partance pour les mers d’Asie du sud-est de mai à octobre 1927 et de ses lectures des romans de Melville, de The Ship Sails On du romancier norvégien Nordahl Grieg et de Blue Voyage écrit par Conrad Aiken. (Ce dernier, poète, romancier et universitaire américain, allait devenir le temps de l’été 1929 son tuteur et mentor payé par Lowry-père, courtier prospère dans l’industrie du coton et paterfamilias « victorien » désireux de voir son fils suivre le chemin des études et délaisser celui de la dissipation et de l’intempérance alcoolique).

Sans entrer dans les détails biographiques de ces diverses rencontres et influences, il convient de se pencher sur un aspect essentiel du développement de la personnalité littéraire de Lowry : celui de son identification « hystérique » aux modèles9. Dès son adolescence, Lowry éprouve le besoin de s’identifier à une figure littéraire, plus ou moins connue selon le cas. Dès 1926, alors qu’il poursuit sa scolarité aux Leys, il laisse croire à une jeune fille dont il pense s’être amouraché qu’il est l’auteur d’une histoire écrite en réalité par Richard Connell, auteur américain populaire publié dans des recueils de nouvelles tant en Angleterre qu’aux Etats-Unis. Lowry monte un parfait bateau et prétend que cette nouvelle parue dans un magazine sous le nom de Richard Connell est en réalité son œuvre à lui, cédée à son ami, puisque dans ses élucubrations, Connell est également élève aux Leys. Pris au piège de cette histoire controuvée dont il n’arrive plus à s’extirper, Lowry finit par reconnaître sa duplicité tout en priant Carol Brown d’enterrer le nom de Richard Connell et de ne plus jamais le mentionner10. Cette histoire, tout en se singularisant par le recours au mensonge et au plagiat virtuel11, marque le début d’une longue série d’identifications. Nordahl Grieg et surtout Conrad Aiken seront, au cours des dix années suivantes, les deux romanciers principaux vis-à-vis desquels Lowry se sentira plagiaire, héritier légitime ou rival, ces liens identificatoires étant parfois complémentaires les uns des autres. Le psychodrame œdipien entre Aiken et Lowry que nous analyserons dans la troisième partie de cette étude en sera l’illustration la plus saisissante.

Nous pouvons d’ores et déjà entrevoir le problème qui se pose à Lowry en tant qu’écrivain : l’identification aux modèles et le fétichisme du mot qui l’obsèdent dès ses années d’adolescence ne pouvaient déboucher que sur une problématique de l’identité artistique et de la propriété verbale. Comment Lowry allait-il concilier le besoin quasi-vital de s’approprier les mots d’autrui et celui de s’imposer comme maître de son écriture et de sa voix ?

Plus qu’une simple question d’usurpation ou de vol littéraire, le véritable débat qu’il convient de relancer est celui d’une évaluation de la part d’emprunt et de dettes littéraires dans la constitution du génie créatif de Lowry. En dépit d’une certaine désinvolture qui l’amenait à écrire à son amie Carol Brown en mai 1926 que le plagiat est la forme de vol la plus acceptable ou la moins grave12, on sait que Lowry fut hanté par l’idée d’être plagiaire tout au long de sa vie, soit parce qu’il était directement mis en accusation, le plus souvent de manière infondée, ou parce qu’il anticipait de telles réactions, notamment en 1944, à la sortie du roman de Charles Jackson The Lost Weekend13, soit parce qu’il n’était plus tout à fait certain de l’origine énonciative de certains passages de son texte.

De toute évidence, le même problème d’évaluation se pose au lecteur de son œuvre. Lowry, lecteur éclairé et angoissé de ses propres écrits, oscillait entre culpabilisation et affirmation de soi. Si sa lettre exégétique adressée en 1946 à Jonathan Cape pour défendre Under the Volcano témoigne d’une belle assurance, d’autres extraits de sa correspondance attestent, nous le verrons, une véritable angoisse de l’influence amplifiée et exacerbée par les accusations de régurgitations d’expressions prélevées chez d’illustres prédécesseurs et de singeries stylistiques lancées par certains critiques. Les trois composantes de son génie littéraire examinées ici – à savoir son fétichisme du mot accompagné d’un certain histrionisme dans sa restitution, sa perception aiguë des variations de la langue et de ses différents registres, et son identification à des modèles – allaient constituer à la fois sa force littéraire et sa faiblesse psychologique.

Il nous paraît important de cerner à la fois cette force et cette faiblesse. L’étude de la question théorique du plagiat n’occupera certes qu’un chapitre de notre travail mais s’avère essentielle pour appréhender le mode de fonctionnement littéraire de Lowry. Nous pouvons d’ores et déjà en donner un aperçu en citant Michel Schneider qui évoque une confusion entre le  « plagiaire obsessionnel » et le « plagiaire hystérique » :

‘[…] la psychanalyse proposerait une distinction utile entre le plagiaire obsessionnel qui n’est en rien plagiaire, mais craint sans cesse de le devenir, et le plagiaire hystérique, dont la structure identificatoire est tellement exacerbée que sa propre écriture est introuvable. Toute une série de traits de la psychologie du plagiaire se rattachent facilement à ce versant hystérique. Le plagiaire en apparence prend l’autre en soi. Il fait comme si l’autre était lui-même. Mais en fait il projette sa créativité dans l’auteur-source14.’

A la lumière de l’épisode « Richard Connell » de 1926, l’appartenance de Lowry à la catégorie des « plagiaires hystériques » pourrait être redoutée, d’autant que l’intéressé lui-même n’hésite pas à comparer, comme nous l’avons vu plus haut, son besoin de modèles littéraires à une forme d’identification hystérique. Cet épisode certes marquant n’eut toutefois pas d’incidence directe sur sa pratique d’écrivain et l’usurpation d’identité peut être soigneusement rangée dans la panoplie de ses stratégies de séduction adolescente. Plus sérieusement, nous allons nous attacher à démontrer dans cette étude que si Lowry « prend [la voix de] l’autre en [lui] », s’il se l’approprie, il la restitue d’une manière qui ne laisse aucun doute sur sa capacité à faire entendre sa propre voix et à exhiber sa propre écriture qui, contrairement à celle du plagiaire dit « hystérique », n’est pas « introuvable ».15

Afin de proposer une interprétation mettant en valeur la complexité et la richesse de l’écriture lowryenne, il nous paraît fructueux de lire son œuvre, en l’occurrence Under the Volcano, à la lumière des théories de Mikhaïl Bakhtine qui, d’une part, affirmait « [entendre] partout des voix, et des rapports dialogiques entre elles16 »  et qui, d’autre part, parlait de réaccentuation dialogique de l’énoncé d’autrui dans un nouveau contexte plutôt que de  régurgitation ou de manque d’originalité, voire de plagiat. Sa théorie du dialogisme, qui valorise le réemploi du mot comme manifestation de son caractère vivant et « socialisé », fera l’objet de notre avant-propos méthodologique, mais nous pouvons dès à présent entrevoir pourquoi cette théorie de la parole – orale ou écrite, générale ou plus spécifiquement littéraire – convient particulièrement bien à l’analyse de l’écriture lowryenne :

‘[…] l’expérience verbale individuelle de l’homme prend forme et évolue sous l’effet de l’interaction continue et permanente des énoncés individuels d’autrui. C’est une expérience qu’on peut, dans une certaine mesure, définir comme un processus d’assimilation, plus ou moins créatif, des mots d’autrui (et non des mots de la langue). Notre parole, c’est-à-dire nos énoncés (qui incluent les œuvres de création), est remplie des mots d’autrui, caractérisés, à des degrés variables, par l’altérité ou l’assimilation, caractérisés, à des degrés variables également, par un emploi conscient et démarqué. Ces mots d’autrui introduisent leur propre expression, leur tonalité des valeurs, que nous assimilons, retravaillons, infléchissons17. ’

Sans s’attarder trop longuement sur cet éclairage théorique, il convient de souligner l’importance du processus d’assimilation du mot d’autrui tant pour Bakhtine que pour Lowry. La notion de travail ou de transformation de la langue par l’appropriation d’un matériau littéraire externe était au cœur des préoccupations de Bakhtine, et les effets d’hétérogénéité énonciative que l’on retrouve dans la prose de Lowry sont bien l’illustration romanesque de sa théorisation du dialogisme.

Notre lecture de Under the Volcano ne sera toutefois pas inféodée aux théories bakhtiniennes qui, comme nous aurons l’occasion de le montrer, ne permettent pas de rendre compte de tous les phénomènes qui pourraient être classés sous la rubrique d’un dialogisme élargi, prenant par exemple en considération le caractère auto-citationnel du roman. Under the Volcano est en effet un roman où l’hétérogénéité énonciative est générée à la fois par des apports verbaux externes et par un recyclage interne de la parole fictionnelle. L’effet global produit par l’enchevêtrement de discours de nature fort variée est celui d’une profusion et d’une fragmentation verbales obtenues au bout de dix ans de travail acharné sur ce texte.

Il serait trop long de retracer dans les moindres détails la longue histoire de la « fabrication » du roman. Celui-ci connut plusieurs avatars : une première version perdue, rédigée au Mexique entre 1936 et 1938, lors du premier séjour de Lowry dans ce pays en compagnie de Jan Gabrial, puis trois autres versions écrites entre 1939 et 1945 à Dollarton en Colombie Britannique avec l’aide technique de Margerie, sa seconde épouse, qui tint les rôles de secrétaire et de lectrice active de ses manuscrits18. La version intermédiaire datant de 1940, rejetée à l’époque par une douzaine de maisons d’édition, a fait l’objet d’une publication récente qui permet de mesurer le chemin parcouru et le travail accompli en termes de sophistication littéraire19. Bien que déjà dialogisée par de fréquents clins d’œil littéraires (parfois maladroitement intégrés dans la chair du texte) et par le recours au plurilinguisme, aux jeux de mots et autres paronomases, la version 1940 du récit de la dernière journée du Consul n’en est pas moins une version bavarde, plus proche par endroits d’un soap opera télévisuel que de la version finale plus intériorisée et plus claustrophobe. C’est le « produit final » qui retiendra toute notre attention en tant que pièce maîtresse de l’œuvre lowryenne. La plupart des critiques s’accordent à dire que le « Volcan » est un moment privilégié du parcours artistique de son auteur dans la mesure où, contrairement aux autres œuvres de Lowry, il réussit le pari de maintenir un « équilibre réussi entre le Moi et l’autre, le subjectivé et l’objectivé. La crédibilité du Consul tient justement à ce que, en lui, l’analyse d’un délire éthylique (non perçu comme un documentaire clinique) soit dominée par sa constitution en « objective correlative » d’une vision apocalyptique du monde moderne20 ». Roman universel par son subjectivisme contenu, élevant le récit de la sphère privée à des hauteurs prométhéennes selon un critique enthousiaste21, Under the Volcano fait endosser à son personnage principal un habit bigarré ou carnavalesque composé des mille et une traces verbales laissées par des analogons littéraires constitutifs de son identité textuelle. Personnage protéiforme, le Consul est le centre nerveux de presque toutes les interactions verbales et le représentant intradiégétique de son auteur, non seulement en tant que projection autobiographique de ce dernier22 mais aussi comme vecteur d’effets dialogiques dans le texte. Il est celui en qui s’incarnent prioritairement les dettes littéraires de son créateur, celui par lequel s’effectue la « vascularisation » du récit tant appréciée de Conrad Aiken pour les effets de langue qu’elle induit :

‘[…] altogether the most aiken-satisfying book I’ve wallowed in for a generation. My god how good to be able to relish the English language again, to have it all vascular with life and sensation, as quiveringly alive shall we say as a butterfly on a dunghill – !23

Cette « vascularisation » du texte, nous le savons, est le fruit d’un long travail de réécriture qui aboutit à une stupéfiante marqueterie vocale. Nous proposons d’en étudier les motifs à la lumière des théories bakhtiniennes et de ses prolongements « structuralistes » en introduisant nos propres variations sur l’effet dialogique. Les états de la langue et l’instabilité dialogique de la langue anglaise au contact de l’espagnol et d’un sabir inspiré en partie de l’expérience mexicaine de Lowry et partiellement « bricolé» par l’auteur lui-même feront l’objet de la première partie. Une autre forme de jouissance linguistique liée au « narcissisme du texte », à ses effets « autotextuels » et à ses montages de voix, sera examinée dans la deuxième partie. Pour clore notre étude, nous aborderons le problème central de la constitution d’une identité vocale et littéraire en examinant la dimension intertextuelle de l’œuvre. Nous tâcherons de rendre hommage à l’extraordinaire lecteur-créateur qu’était Malcolm Lowry, capable de revivifier la parole d’autrui en y faisant entendre la sienne parce qu’il savait mieux que quiconque qu’« [i]l ne s’agit pas de recevoir humblement la parole du maître, ni d’admirer l’œuvre dans son inaltérable pureté, mais de recueillir patiemment mille vestiges épars et, à l’issue d’un long travail de reconstitution, de réinventer le texte, non pas tel qu’il a été, mais tel qu’il aurait pu être24 ».

Notes
1.

Publication en ligne d’une interview accordée par Jan Gabrial à Stephen Lemons pour le magazine Salon (San Francisco) archive.salon.com, 3 janvier 2001. Jan Gabrial est décédée en septembre 2001 à l’âge de quatre-vingt dix ans. Elle venait de publier son récit autobiographique, Inside The Volcano : My Life with Malcolm Lowry (New-York : St Martin’s Press, 2000).

2.

L’enquête judiciaire donna lieu à un article dans la presse locale. Le 2 juillet 1957, le Brighton Argus rapportaiten effet les résultats de cette enquête sous un titre dont l’effet de raccourci n’aurait peut-être pas déplu à Lowry : ‘She Broke Gin Bottle –Found Husband Dead’ :

« One evening last week Mrs Marjorie [sic] Lowry, of Ripe [White] Cottage, Ripe, tried to stop her 47-year-old writer-husband, Clarence, from starting on the gin. She smashed the bottle on the floor. And he hit her. Afraid, Mrs Lowry fled next door, and did not go back to the cottage until nine o’clock the next morning. When she did she found her husband dead. This was the story told at the Eastbourne Inquest, when the Coroner, Dr A. C. Sommerville, recorded a verdict of death by misadventure. […] Medical evidence showed that Mr Lowry died from acute barbiturate poisoning associated with a state of chronic alcoholism. » Cité par Gordon Bowker dans Pursued by Furies : A Life of Malcolm Lowry (Londres : HarperCollinsPublishers, 1993), p. 602.

3.

Selon Gordon Bowker, Margerie Bonner Lowry (1905-1988) (la seconde épouse de Lowry qui vécut avec lui de 1939 jusqu’à sa mort) avait une version privée qui contredisait sa version « officielle » des faits : « Her line was that he had committed suicide but that she had managed to convince a sympathetic coroner to hand down a verdict of ‘Misadventure’ to save his reputation and her suffering at the hands of the press » (Bowker/Furies, p. 604). Dr Raymond, psychiatre anglais qui eut Malcolm Lowry pour patient, ne fut pas convaincu par sa présentation des faits : « The doctor did not believe her – Malcolm had so often told him that he thought suicide was an offence against the spirit » (Bowker/Furies, p. 606).

4.

L’évocation de ces quatre années scolaires s’inspire très largement de l’article de Suzanne Kim, « Les œuvres de jeunesse de Malcolm Lowry », Etudes Anglaises, T. XVIII, N°4 (1965), pp. 383-394. (Toute référence ultérieure à cet article sera accompagnée de la mention Kim 65).

5.

Nous proposons ci-dessous un extrait d’une de ses réponses les plus savoureuses faites à ses détracteurs :

« […] There seems to be a yet further objection concerning my reports, on which I have attempted to bestow a little sadly needed originality; you ask, ‘What can I mean by Pantagruelian?’ It is a confession that you yourselves do not know your Rabelais, perhaps a further confession that you are not old enough to read it […]

And dots. I admit (being in a generous mood) on reading through my story, that there were, maybe, just too many of them for some tastes: but this error was partly due to the printers, who are liable to print .. as ……… (this with all due respect: no offence taken, and none intended I’m sure – Tilly of Bloomsbury). But even so they (the dots) remained much less offensive than your letters. Another point. One of you remarks that I have undoubted talent: you will find me making no such mistake with you. You tell me, and this I expect you considered to be a rather more appropriate last straw than usual, to use my talent in a different vein. This is a matter entirely between the Editor and myself, and an ancient criticism of the sort which Hengist might have made to Horsa. Therefore I say, dots to you, Sirs. And, I may be permitted to add, having a bad cold, that I shall continue to write as I wish, dotwithstanding. This place is reserved for conventional salutations. Camel »

(Kim 65, pp. 388-389 : The Leys Fortnightly, vol. L, pp. 157-158). Cf. Sursum Corda : The Collected Letters of Malcolm Lowry, vol. I : 1926-46, ed. Sherrill E. Grace (Londres : Jonathan Cape, 1995), pp. 5-6. (Toute référence ultérieure à cette version des Lettres sera accompagnée de la mention CL1).

6.

­6Malcolm Lowry est le benjamin d’une fratrie composée de quatre garçons : Stuart, Wilfrid, Russell et lui-même.

7.

« Preface: Malcolm––A Closer Look », The Art of Malcolm Lowry, ed. Anne Smith(Londres : Vision Press, 1978), p. 25.

8.

Nous aurons l’occasion d’aborder dans le corps de ce travail des exemples de fixations faites par Lowry sur tel ou tel mot particulier glané çà et là (ou qu’il pensait parfois avoir prélevé dans la prose d’autrui sans que cela pût être prouvé objectivement) et qu’il refusait obstinément de remplacer par un autre jugé plus neutre mais moins indispensable.

9.

C’est Lowry qui lui-même qualifiait ainsi le processus d’identification qui se mettait en place à chaque rencontre ou lecture déterminante. Cf. CL1, p. 504.

10.

Cf. CL1, pp. 33-35 pour la confession de Lowry. Les lettres précédentes constituent en partie l’élaboration du mensonge autour de la persona de Richard Connell. Pour une étude détaillée du phénomène d’identification de Lowry à ses modèles, voir l’article de fond de Sherrill Grace : « Respecting Plagiarism: Tradition, Guilt, and Malcolm Lowry’s “Pelagiarist Pen” », English Studies in Canada, XVIII, 4, (décembre 1992), pp. 461-482. (Toute référence ultérieure à cet article sera accompagnée de la mention Grace 92).

11.

Sherrill Grace explique comment cette usurpation d’identité littéraire allait donner lieu à d’autres formes d’identification : « It is possible to see in this early and short-lived identification with Connell the first sign of tendencies that would become characteristic of Malcolm Lowry the writer: the need for a Doppelgänger figure and the consequent attraction to themes of fraternal rivalry, betrayal, and hero-worship, the complete absorption of another’s literary identity, or, conversely, the conflation of his own authorial persona with that of another writer or that writer’s creations, and the belief that the written text of another was, in fact, of his own composition » (Grace 92, p. 464).

12.

« […H]e told [his] girlfriend that ‘plagiarism is the least socially harmful form of theft’ » (Bowker/Furies, p. 42).

13.

13Pris de vitesse par cet auteur américain (1903-1968) dont le roman allait rapidement devenir un best-seller porté à l’écran, Lowry avait l’impression qu’on lui coupait l’herbe sous les pieds et que ses subtils « delowryiums », fruit d’années de labeur et de transformation de son texte, ne pourraient jamais apparaître au public dans toute leur originalité en raison d’un ordre chronologique de publication qui le désavantageait. (Voir CL1, p. 445 et p. 477).

14.

Voleurs de mots : Essai sur le plagiat , la psychanalyse et la pensée (Paris : Editions Gallimard/nrf, coll. « Connaissance de l’Inconscient », 1985), p. 275. (Toute référence ultérieure à cet ouvrage sera accompagnée de la mention Schneider).

15.

D’autres « rencontres » entre Lowry et Bakhtine ont déjà été proposées par des chercheurs anglo-saxons (Jonathan Arac, Sherrill Grace, Sue Vice, Allon White, etc…) ou français (Hélène Cheynet-Caponi, notamment, pour l’étude des thèmes carnavalesques dans Under the Volcano). Voir notre bibliographie.

16.

Tzvetan Todorov, Mikhaïl Bakhtine  le principe dialogique suivi de Ecrits du cercle de Bakhtine (Paris : Editions du Seuil, coll. « Poétique », 1981), p. 38. Toute référence ultérieure à cet ouvrage sera accompagnée de la mention Bakhtine/Todorov.

17.

Esthétique de la création verbale. Traduit du russe par Alfreda Aucouturier ; préface de Tzvetan Todorov (Paris : Editions Gallimard/nrf, coll. « Bibliothèque des Idées », 1984), p. 296, italiques dans le texte. (Toute référence ultérieure à cet ouvrage sera accompagnée de la mention ECV).

18.

Margerie, actrice de films muets hollywoodiens dans une « vie antérieure », publia de son côté plusieurs romans policiers et s’occupa de la publication à titre posthume de la correspondance et des autres travaux littéraires non aboutis de son mari : « romans », nouvelles ou sélection de poèmes.

Dollarton était dans les années quarante un petit village de pêcheurs au nord de Vancouver où Lowry vécut avec sa femme dans une cabane en bois reconstruite à l’identique en 1944 lorsque la première fut détruite par le feu. Cet endroit, loin du bruit et de la fureur des villes, devint pour le couple un lieu idyllique qui inspira à Lowry plusieurs scènes de Under the Volcano ainsi qu’une superbe nouvelle–« The Forest Path to the Spring »–parue en 1961 dans un recueil intitulé Hear us O Lord From Heaven Thy Dwelling Place.

19.

The 1940 Under the Volcano, eds. Paul Tiessen & Miguel Mota; introduction de Frederick Asals (Waterloo, Ontario : mlr editions Canada, 1994).

20.

Suzanne Kim « Subjectivité et écriture : Malcolm Lowry ou la conscience de soi suicidaire », Genèse de la conscience moderne (Etudes sur le développement de la conscience de soi dans les littératures du monde occidental réunies par Robert Ellrodt), (Paris : Presses Universitaires de France, 1983), p. 415.

21.

C’est ce qu’écrit Richard Hauer Costa trente ans après la publication du roman dans son article « Under the Volcano– The Way it Was: A Thirty-Year Perspective », The Art of Malcolm Lowry, ed. Anne Smith (Londres : Vision Press, 1978), pp. 40-41 : « How a writer who normally could write about nothing but himself came to transcend the neuroses of his life and for once–it would never happen again–elevate the private to the Promethean is a progress that is not conveyed in even so superb a report [as Douglas Day’s biography] ».

22.

Lowry a certes mis un peu de lui-même dans le personnage du Consul (à commencer par son éthylisme et sa culture littéraire et philosophique), mais Hugh, le demi-frère du Consul incarne une autre facette de la personnalité de l’auteur (son passé de marin, sa passion pour le jazz et son idéalisme politique des années trente), tandis que les propos conservateurs du Consul (au chapitre X par exemple) s’inspirent des idées politiques de Conrad Aiken au milieu des années trente.

23.

Extrait d’une lettre adressée par Aiken à Lowry en date du 23 février 1947 au moment de la parution du roman. The Letters of Conrad Aiken and Malcolm Lowry 1929-1954, ed. Cynthia C. Sugars, (Toronto : ECW Press, 1992), p. 200.

24.

Mathieu Duplay « Poétique de la dette : Under the Volcano et la tradition », Recherches Anglaises et Nord-Américaines (RANAM), N° XXIX (1996), p. 160.