Dialogisme, Intertextualité et Autotextualité : définitions de travail.

Nous conviendrons d'appeler dialogisme le phénomène de base de tout discours (de tout « mot », au sens bakhtinien du terme), littéraire ou non, à savoir son essentielle bivocalité (ou plurivocalité), et intertextualité cette forme particulière, mais essentielle, de dialogisme dont la bivocalité réside dans la transformation ou l'absorption d'un texte pré-existant (ce dernier pouvant être de l'ordre de l'allusion ou, au contraire, de l'ordre de l'arché-texte qu'évoquait Laurent Jenny) par le texte-cadre ou texte d’accueil. Le degré de perceptibilité ou de remaniement du texte cité par le texte citant qui l'absorbe est certes une question importante; toutefois, la distinction essentielle que nous voudrions introduire, pour contribuer modestement à ce qui, nous l'espérons, n'est pas encore une « cacophonie » terminologique, mais au contraire une polyphonie conceptuelle, est celle de l'intertextualité comme cas particulier du dialogisme, à savoir une forme de bivocalité littéraire où l'intertexte (singulier ou pluriel) a une existence littéraire autonome, une vie antérieure avérée49.

Les différentes « formes » de dialogisme que nous allons examiner ne correspondent pas à des catégories étanches, parfaitement indépendantes les unes des autres, mais à une tentative de regroupement typologique d'effets dialogiques (bivocaux, voire polyvocaux) observés dans Under the Volcano. La distinction terminologique que nous avons introduite entre dialogisme (le terme le plus englobant) et intertextualité (sa manifestation plus spécifiquement littéraire) nous permettra d'étudier dans la première partie de ce travail les effets de la parole bivocale dans le roman relevant, sauf exception, d’un dialogisme « non intertextuel » selon notre acception du terme. Nous aborderons ensuite un phénomène qui n’est pas spécifiquement bakhtinien, mais que nous considérons comme une forme de dialogisme « endogène » : l'autotextualité50. Ce terme est repris par Lucien Dällenbach51 pour désigner ce que Jean Ricardou appelle l’« intertextualité interne comprise comme rapport d'un texte à lui-même52 ». Etant tributaires de la structure temporelle du roman, les effets autotextuels repérables dans Under the Volcano feront l'objet d’un chapitre de la deuxième partie consacrée au dialogisme et au traitement du temps.

La troisième partie de ce travail sera consacrée enfin à l'intertextualité du roman, à ce que Ricardou appelle l’« intertextualité externe entendue comme rapport d'un texte à un autre texte53 » et qu'il nomme encore « intertextualité générale (rapports intertextuels entre textes d'auteurs différents)54 ». Nous retiendrons toutefois les définitions plus précises de Genette pour désigner sous le terme d’intertextualité l’insertion d’un fragment de texte antérieur (citation, allusion littéraire) dans le texte de Under the Volcano et sous celui de transtextualité les emprunts ou influences allant au-delà de la simple allusion ou citation.

Notes
49.

Nous reprenons ici la définition de l’intertexte proposée par Gerald Prince : « A text (or set of texts) that is cited, rewritten, prolonged, or generally transformed by another text and that makes the latter meaningful ». A Dictionary of Narratology (Lincoln et Londres : U. of Nebraska Press, 1987), p. 45.

50.

Nous reviendrons dans la deuxième partie intitulée « Dialogime et Temporalité » sur cet écart dialogique que nous introduisons dans la définition bakhtinienne du dialogisme.

51.

Dällenbach parle aussi « d'intertextualité autarcique ». Il étudie la notion d'autotextualité dans « Intertexte et autotexte », Poétique 27, (1976), pp. 282-296. Cet article a trouvé un prolongement théorique dans l'ouvrage que Dällenbach consacre à l'étude de la mise en abyme, Le récit spéculaire : Essai sur la mise en abyme (Paris : Editions du Seuil, 1977).

52.

Cité et explicité par L. Dällenbach, "Intertexte et autotexte", op. cit., 282. [à partir d'une définition de Ricardou dans Pour une théorie du nouveau roman, Paris : Editions du Seuil (1971) : 162s.]

53.

ibid.

54.

Cité et explicité par L. Dällenbach, "Intertexte et autotexte", op. cit., 282. [à partir d'une définition de Ricardou dans Claude Simon (colloque de Cerisy), Paris : Union générale d'éditions, coll. "10/18", (1975) : 17s.]