Chapitre II
Un dialogisme de substitutions :
effets microdialogiques dans
Under the Volcano

Dans Le plaisir du texte, Roland Barthes évoque « deux régimes de lecture » : « ...l'une va droit aux articulations de l'anecdote, elle considère l'étendue du texte, ignore les jeux du langage [...]; l'autre lecture ne passe rien; elle pèse, colle au texte, elle lit, si l'on peut dire, avec application et emportement, saisit en chaque point du texte l'asyndète qui coupe les langages – et non l'anecdote : [...] l'excitation vient, non d'une hâte processive, mais d'une sorte de charivari vertical (la verticalité du langage et de sa destruction)88 ». Quoi qu'ait pu en dire Lowry, Under the Volcano est un roman qui se prête assez mal au premier régime de lecture décrit par Barthes : il frustre ou irrite les lecteurs désireux de suivre l'anecdote sans être interrompus par de constants renvois à un ailleurs du texte dont ils n'ont cure, si tant est qu'ils en soupçonnent l'existence. Il comble, en revanche, ceux qui, comme Barthes, cherchent à débusquer « l'interstice de la jouissance, [qui] se produit dans le volume des langages, dans l'énonciation, non dans la suite des énoncés » (Barthes, 23). En effet, s'il est des œuvres dont l'ambition encyclopédique, avouée ou non, se manifeste par ce « charivari vertical », Under the Volcano en fait assurément partie, comme Ulysses ou Gravity's Rainbow, quoique les couches de sens du Volcan lowryen soient plus aisément sondables que celles de l'Odyssée joycienne ou celles de la monumentale comédie noire de Pynchon.

La jouissance interstitielle que procure Under the Volcano provient notamment d'un enrichissement de la chair du texte par des apports littéraires externes dits intertextuels (qui feront l'objet d'étude de notre troisième partie), mais est également suscitée, et de façon non négligeable, nous semble-t-il, par des résonances bivocales, voire plurivocales, qui travaillent le matériau de base du roman, et correspondent à une forme de ce que Bakhtine appelle le microdialogue ou dialogue intérieur (Dost., 327). Celui-ci, rappelons-le, travaille l'énoncé de l'intérieur : les modifications sémantiques qu'il entraîne se lisent sur l'axe paradigmatique du récit et correspondent à des effets de substitutions.89

Notes
88.

(Paris : Editions du Seuil, coll. « Tel Quel », 1973), pp. 22-23; italiques ajoutés. Toute référence ultérieure à cet ouvrage sera faite dans le texte, précédée de la mention Barthes.

89.

L'expression « dialogisme de substitutions » du titre renvoie à la distinction introduite par Todorov dans Poétique de la prose (choix), suivi de Nouvelles recherches sur le récit (Paris: Editions du Seuil, coll. « Points », 1978), p. 73 entre « le récit de contiguïté », qui privilégie une lecture linéaire (syntagmatique), et « le récit de substitutions » qui nécessite une lecture réflexive (ou paradigmatique) et fonctionne sur le mode du « charivari vertical » décrit par Barthes. Les effets microdialogiques nécessitent, eux aussi, une lecture réflexive, alors que les effets macrodialogiques,que nous étudierons dans le chapitre suivant, se lisent sur l'axe syntagmatique du récit.