Le concentré de sens des mots étrangers

Les mots étrangers, et notamment espagnols, qui abondent dans le roman contribuent souvent à créer un sentiment d'Unheimlichkeit, d'inquiétante étrangeté, tant pour les personnages que pour le lecteur. Ce dernier, partageant peu ou prou la condition d'exilé linguistique des personnages, se laisse prendre au jeu d'une lecture de leur destin balisée par des mots espagnols à valeur fatidique et obscurément comminatoire. Les noms de lieux publics en particulier connotent très souvent la mort, la destinée tragique, et l'Enfer : l'Hôtel-Casino de la Selva qui, dans le premier chapitre, ouvre le très fécond intertexte dantesque113, et son pendant au chapitre VII, le Terminal Cantina El Bosque 114, dont le nom suggère de manière oblique la noirceur du destin consulaire (« Bosque ») et son irréversibilité (« Terminal »), en sont deux exemples saisissants, tout comme le Salón Ofelia (qui nous rappelle le suicide par noyade d'Ophélie au quatrième acte de Hamlet) ou encore La Sepultura, nom à valeur proleptique de la pulquería devant laquelle passent Hugh et Yvonne au chapitre IV, et endroit où se multiplient les signes du destin :

‘[ ] Beyond the gently sloping bank, a little to the left of what was apparently the cavernous entrance to the continuation of their lane, stood a pulquería, decorated, above its wooden twin swing doors (which from a distance looked not unlike the immensely magnified chevrons of an American army sergeant) with gaily coloured fluttering ribbons. Pulques Finos, it said in faded blue letters on the oyster-white adobe wall: La Sepultura. A grim name: but doubtless it had some humorous connotation. An Indian sat with his back against the wall, his broad hat half down over his face, resting outside in the sunshine. His horse, or a horse, was tethered near him to a tree and Hugh could see from midstream the number seven branded on its rump. An advertisement for the local cinema was stuck on the tree: Las Manos de Orlac con Peter Lorre. On the roof of the pulquería a toy windmill, of the kind one saw in Cape Cod, Massachusetts, was twirling restlessly in the breeze. (UTV, 109)’

Les connotations humoristiques de La Sepultura que Hugh subodore, et que la critique lowryenne a réussi à expliquer115, ne tombent pas sous le sens dans une telle configuration textuelle. En revanche, le nom sinistre (« grim name ») ne saurait mieux convenir à un endroit où Hugh et Yvonne croisent pour la première fois le peón, future victime (comme le Consul) des sinarquistas à laquelle ils ne viendront pas en aide (UTV, 240-248), et son cheval, que le Consul détachera, quelques secondes avant d'être abattu (UTV, 373), provoquant involontairement la mort d'Yvonne. L'affiche publicitaire pour un remake hollywoodien de Orlacs Hände (film expressionniste allemand de Robert Wiene), qui inspire à Laruelle d'inquiétantes réflexions sur la culpabilité au chapitre I116, vient redoubler l'effet d'anticipation funeste de la mort du peón, voire de celle du Consul, en suggérant le crime au moyen d'une synecdoque très appropriée. Même le moulin à vent miniature sur le toit évoque le donquichottisme qui caractérise le Consul et contribue à sa perte117. La Sepultura, toponyme à forte charge métaphorique, agglutine ainsi autour de lui des motifs narratifs déclinant le thème commun de la destinée tragique.

Si les mots espagnols ou mexicains qui émaillent le récit fonctionnent comme des indices thématiques ou des relais sémantiques pour le lecteur, ils sont également investis par la voix des personnages qui les dialogise en leur conférant une signification particulière, voire une charge affective ou émotionnelle. Ainsi, le toponyme Oaxaca devient, tant pour Geoffrey Firmin que pour Yvonne, un mot élégiaque qui évoque de manière condensée leur séparation. Au chapitre I, Laruelle lit la lettre non-expédiée du Consul à Yvonne118, dans laquelle ce dernier fait part à son épouse des affres de la solitude qu'il finit par résumer en un mot emblématique de son enfer personnel119, Oaxaca :

‘[…] For myself I like to take my sorrow into the shadow of old monasteries, my guilt into cloisters and under tapestries, and into the misericordes of unimaginable cantinas where sad-faced potters and legless beggars drink at dawn, whose cold jonquil beauty one rediscovers in death. So that when you left, Yvonne, I went to Oaxaca. There is no sadder word. (UTV, 35, italiques ajoutés)’

Au chapitre II, lors de ses retrouvailles avec le Consul au bar Bella Vista de Quauhnahuac, Yvonne apprend que son ex-mari n'a quitté qu'une seule fois cette ville pendant son absence pour se rendre à Oaxaca, lieu dont le nom évoque immédiatement pour elle la tragédie de leur couple et auquel elle donne pour synonyme le mot divorce :

‘“Well, actually I've only been away once.” The Consul took a long shuddering drink, then sat down again beside her. “To Oaxaca. –Remember Oaxaca?”’ ‘“–Oaxaca?– ”’ ‘“–Oaxaca.–”’ ‘–The word was like a breaking heart, a sudden peal of stifled bells in a gale, the last syllables of one dying of thirst in the desert. Did she remember Oaxaca! The roses and the great tree, was that, the dust and the buses to Etla and Nochitlàn? and: “damas acompañadas de un caballero, gratis!” Or at night their cries of love, rising into the ancient fragrant Mayan air, heard only by ghosts? In Oaxaca they had found each other once. She was watching the Consul who seemed less on the defensive than in process while straightening out the leaflets on the bar of changing mentally from the part played for Fernando to the part he would play for her, watching him almost with amazement: “Surely this cannot be us,” she cried in her heart suddenly. “This cannot be us–say that it is not, somebody, this cannot be us here!”–Divorce. What did the word really mean? She'd looked it up in the dictionary, on the ship: to sunder, to sever. And divorced meant: sundered, severed. Oaxaca meant divorce. They had not been divorced there but that was where the Consul had gone when she left, as if into the heart of the sundering, of the severance. Yet they had loved one another! But it was as though their love were wandering over some desolate cactus plain, far from here, lost, stumbling and falling, attacked by wild beasts, calling for help–dying, to sigh at last, with a kind of weary peace: Oaxaca– (UTV, 48-49)’

Pour Yvonne, Oaxaca est comme un mot à double entrée qui évoque encore un peu la passion amoureuse qu'elle a vécue avec le Consul quelques années auparavant, mais qui connote surtout la scission actuelle du couple. Comme lorsque l'on parcourt les multiples entrées d'un même mot dans un dictionnaire et que l'on passe de l'une à l'autre avant de s'arrêter à l'unité de sens la plus appropriée, Yvonne oscille entre deux interprétations personnelles de ce nom. Le sens le plus pertinent, c'est-à-dire aussi le plus obsédant, est celui qui s'impose à elle d'entrée de jeu par la force incantatoire du signifiant, par sa musicalité lancinante. Comme l'a expliqué Josiane Paccaud-Huguet, « [c]'est sa forme phonique qui en détermine les effets de sens : «Oaxaca» sera ainsi le signifiant qui chante la douleur de la séparation – «The word was like a breaking heart, a sudden peal of stifled bells in a gale, the last syllable of one dying of thirst in a desert 120.» ». Le signifiant fait sens et suscite, dans l'esprit d'Yvonne, une série de représentations mentales où l'image est en quelque sorte à la fois picturale et sonore, comme si la confluence des deux sens (l'ouïe et la vue) déclinait la tragédie du couple sur un double registre. De la brisure d'un cœur, en passant par le glas sonné pour un amour défunt, pour en arriver à la métaphore d'une passion amoureuse qui se meurt comme un assoiffé dans le désert, le signifiant Oaxaca provoque un enchaînement d'associations sémantiques qui semblent, elles, inépuisables.

Toutefois, c'est sur le mode interrogatif que les réminiscences positives liées à ce nom ressurgissent fugitivement dans l'esprit d'Yvonne et interrompent provisoirement l'évocation de la douleur et de la déchirure. « Oaxaca » pourrait avoir un sens exactement inverse de celui évoqué de façon immédiate par son signifiant puisqu’Yvonne se rappelle que le lieu référentiel auquel renvoie ce nom avait présidé à la consolidation du couple qu'elle formait avec le Consul (« In Oaxaca they had found each other once »).

Seulement l'ancrage heureux dans la référentialité n'est plus d'actualité : le Consul ne se trouve-t-il pas devant elle, prêt à changer de rôle et à endosser celui de l'ex-époux? N'a-t-elle pas sous les yeux la confirmation d'un état de fait juridique résumé par le mot « divorce »? Aux cris des ébats amoureux d'autrefois s'oppose celui qui, solitaire et intérieur, marque la souffrance dans l'isolement du moi scindé. En outre, Oaxaca, où le Consul s'était rendu pour s'enfoncer davantage dans la douleur de l'abandon, est devenu métaphore de la scission (« as if into the heart of the sundering, of the severance ») et synonyme de divorce. A cet endroit, où poussaient les roses et où se trouvait un grand arbre, Yvonne substitue l'image quelque peu contradictoire d'un espace mi-géographique (un « landscape »), mi-fantasmatique (un « inscape ») où seuls prospèrent les cactus. Dès lors, la vision finale d'une passion en proie à la sauvagerie animale et à un processus de dessiccation irréversible boucle la boucle sémantique. Le signifiant sonore a repris le dessus : « Oaxaca » n'est plus qu'un soupir, le râle d'un amour agonisant. Mais, ironie du texte, Yvonne et le Consul, divorcés, communient encore, à leur insu, par le biais d'un nom qu'ils investissent de la même signification douloureuse et tragique, et à l'intérieur duquel leurs voix fusionnent dans un rapport dialogique harmonieux.

Si Oaxaca équivaut à une métaphore sonore de la fracture conjugale, Parián concentre autour de lui les allusions à la mort et au choix de l'auto-destruction que fait le Consul121. On pourrait d'ailleurs envisager de lire la tragédie du Consul sur le mode de la métaphore spatiale et affirmer qu'il tombe de Charybde en Scylla, ou plus exactement d'Oaxaca en Parián, quand, après un an de séparation d'avec sa femme, il commet l'irréparable en refusant, si l'on peut dire, de réduire la fracture conjugale pour pouvoir mieux s'abîmer dans la boisson et atterrir dans la barranca, le gouffre final. Pourtant, les occasions de rapprochement ne manquent pas : la suggestion que fait le Docteur Vigil au chapitre V d'aller à Guanajuato, pour y célébrer la vie, l'amour et la beauté, est rejetée par le Consul, qui préfère emmener Yvonne et Hugh à Tomalín, ville d'arènes et avant-cour de Parián :

‘“Guanajuato is sited in a beautiful circus of steepy hills.”’ ‘“Guanajuato,” the doctor was saying, “you will not believe me, how she can lie there, like the old golden jewel on the breast of our grandmother.”’ ‘“Guanajuato,” Dr. Vigil said, “the streets. How can you resist the names of the streets? Street of Kisses. Street of Singing Frogs. The Street of the Little Head. Is not that revolting?”’ ‘“Repellent,” the Consul said. “Isn't Guanajuato the place they bury everybody standing up?” –ah, and this was where he had remembered about the bullthrowing and feeling a return of energy, had called down to Hugh, who was sitting thoughtfully by the edge of the pool in the Consul's swimming trunks. “Tomalín's quite near Parián, where your pal was going,” he said. “We might even go on there.” And then to the doctor. “Perhaps you might come too... I left my favourite pipe in Parián. Which I might get back, with luck. In the Farolito.” And the doctor had said: “Wheee, es un infierno,” while Yvonne, lifting up a corner of her bathing cap to hear better, said meekly, “Not a bullfight?” And the Consul: “No, a bullthrowing. If you're not too tired?” (UTV, 146-147)’

Comme l'a fort bien expliqué Lowry dans sa lettre à J. Cape, il s'agit pour le Consul de choisir entre un lieu qui est promesse de vie et un endroit mortifère : « It should be clear that the Consul has a blackout and that the second part in the bathroom is concerned with what he remembers half deliriously of the missing hour. Most of what he remembers is again disguised exposition and drama which carries on the story to the question: shall they go to Guanajuato (life) or Tomalín, which of course involves Parián (death) » (SL, 74/ CL1, 514). En attendant, c'est le Docteur Vigil, médecin de l'âme autant que du corps122, qui souligne que le Farolito est un lieu de perdition, « un infierno ». Si le Consul n'est pas encore pleinement conscient de la conduite auto-destructrice qui dicte son choix, il acquiert toutefois peu à peu la conviction que l'enfer est précisément ce à quoi il aspire. Telle est du moins la teneur de son discours à la fin du chapitre X, alors qu'il quitte Yvonne et Hugh, après avoir laissé libre cours à son délire paranoïaque, et qu'il s'enfuit vers le Farolito :

‘“I like it,” he called to them, through the open window, from outside. Cervantes stood behind the bar, with scared eyes, holding the cockerel. “I love hell. I can't wait to get back there. In fact I'm running, I'm almost back there already.”’ ‘He was running too, in spite of his limp, calling back to them crazily, and the queer thing was, he wasn't quite serious, running toward the forest, which was growing darker and darker, tumultuous above–a rush of air swept out of it, and the weeping pepper tree roared.’ ‘He stopped after a while: all was calm. No one had come after him. Was that good? Yes, it was good, he thought, his heart pounding. And since it was good he would take the path to Parián, to the Farolito.’ ‘Before him the volcanoes, precipitous, seemed to have drawn nearer. They towered up over the jungle, into the lowering sky–massive interests moving up in the background. (UTV, 314 -315)’

Alors que le Farolito, lieu infernal, n'était mentionné par le Consul que de manière furtive dans l'extrait précédent, il occupe ici une place de choix dans ses pensées puisqu'il devient, en quelque sorte, son véritable point de chute, son lieu d'élection. Le passage, dans son ensemble, suggère clairement que ce choix aura des conséquences funestes : les éléments, qui sont prêts à se déchaîner, dans un décor où les volcans eux-mêmes acquièrent une dimension symbolique lourde de menaces, semblent préfigurer les « intérêts massifs » qui se mettent en marche et vont se liguer contre le Consul qui, dans sa folie, veut à tout prix rejoindre le Farolito. Toutefois, le choix de la descente aux Enfers, si provocateur qu'il puisse paraître de la part du Consul, momentanément séduit par l'éventualité d'une course-poursuite, est en fait l'aboutissement logique d'une préférence esthétique et quasi-mystique pour la beauté infernale des terribles cantinas123, dont le Farolito est l'exemple le plus achevé.

En effet, le Farolito constitue le séjour idéal puisqu'il associe la lumière aux ténèbres, puisqu'il est, pour reprendre l'expression que Lowry prête au Consul, « le phare qui invite la tempête ». C'est au chapitre VII que le nom « Farolito » acquiert cette valeur emblématique par le biais d'une dialogisation opérée par le Consul. Celui-ci, invité avec Yvonne et Hugh à prendre un verre chez Jacques Laruelle avant de partir en bus pour Tomalín, aperçoit dans la chambre de Jacques un tableau effrayant intitulé « Los Borrachones » qui, dépeignant le sort réservé aux adeptes de la Dive Bouteille, lui suggère son propre Enfer et de fructueuses associations sémantiques :

‘Yvonne was reading on the balcony, and the Consul gazed back at Los Borrachones. Suddenly he felt something never felt before with such shocking certainty. It was that he was in hell himself. At the same time he became possessed of a curious calm. The inner ferment within him, the squalls and eddies of nervousness, were held again in check. He could hear Jacques moving downstairs and soon he would have another drink. That would help, but it was not the thought which calmed him. Parián–the Farolito! he said to himself. The Lighthouse, the lighthouse that invites the storm, and lights it! After all, sometime during the day, when they were at the bullthrowing perhaps, he might break away from the others and go there, if only for five minutes, if only for one drink. That prospect filled him with an almost healing love and at this moment, for it was part of the calm, the greatest longing he had ever known. (UTV, 199-200, italiques ajoutés)’

Si Geoffrey Firmin voit dans cet endroit sinistre une sorte de refuge qui lui inspire une passion apaisante (« an almost healing love »), c'est que son espagnol défectueux l'amène à confondre les deux mots espagnols signifiant respectivement « phare » (faro) et « lanterne » (farol), et à prendre le mot farolito pour le diminutif du premier, alors qu'il signifie en réalité « petite lanterne »124. Le symbole de la lanterne aurait certes pu donner lieu à des associations sémantiques similaires (la lanterne qui suggère la lumière ou la lueur d'espoir qui perce les ténèbres, voire le réconfort), mais n'aurait pas donné naissance à un véritable réseau sémantique s'articulant autour de Parián et du Farolito grâce à l'écart dialogique qui découle de la mauvaise traduction de ce dernier mot par le Consul. En effet, le motif du phare, en raison des déplacements sémantiques qu'opère le Consul dans ce que l'on pourrait appeler son onomastique personnelle, se situe à l'intersection des zones de sens que suggèrent pour lui les deux noms propres. Ce motif trouve son pendant biblique lorsque Geoffrey Firmin, après s'être souvenu du mendiant qui l'avait pris pour le Christ au Farolito125, en appelle à la Lumière divine pour qu'elle lui dise s'il est possible d'oublier la lumière infernale des cantines et de retrouver celle de l'amour :

‘[…] And how could one begin all over again, as though the Café Chagrin, the Farolito, had never been? Or without them? Could one be faithful to Yvonne and the Farolito both?–Christ, oh pharos of the world, how, and with what blind faith, could one find one's way back, now, through the tumultuous horrors of five thousand shattering awakenings, each more frightful than the last, from a place where even love could not penetrate, and save in the thickest flames there was no courage? On the wall the drunks eternally plunged. But one of the little Mayan idols seemed to be weeping... (UTV, 201, italiques ajoutés)’

Comme l'ont justement observé Ackerley et Clipper, l'évocation du Christ sous la forme d'un phare qui éclairerait l'univers n'appartient pas tant à l'imagerie chrétienne à proprement parler qu'au fonds personnel de représentations que l'auteur s'est faites de la Lumière divine126. Elle lui permet non seulement d'effectuer un rapprochement entre le petit phare qui illumine son âme et celui qui sauve toute l'humanité des ténèbres, mais également de souligner le rapport métonymique qui existe entre Parián et le Farolito par le biais de la filiation phonique Pharos/Paros. Une lecture s'organisant, si l'on peut dire, autour du sens des signifiants met en lumière ce rapport :

‘Le mot «Parián» est une conflation intéressante de traits phoniques et sémiques associés au complexe de Prométhée, le voleur de lumière mais aussi le premier sculpteur selon la légende. Parián suggère Paros, l'île des sculpteurs (UTV, [130]), mais aussi Pharos via Farolito («le petit phare»). Entre Pharos et Paros, une lettre s'est perdue, le «h», qui est aussi celui de l'Himalaya et de la montagne Himavat sur laquelle la promesse de lumière avant les ténèbres de la mort attend l'âme aventureuse du poète (UTV, [125-126]). Promesse d'un savoir dont Yvonne attend la réalisation par son mariage avec le Consul, mais que ce dernier se refuse à produire. Les connotations, libres en surface, sont donc déterminées par un autre discours, celui d'une tragédie dont l'hubris est tentation de voler la lumière des dieux, de présider à l'aube de la création depuis ce seuil qu'est le Farolito : d'être Dieu. Position impossible et mortifère : «Parián is death», commente Lowry dans sa lettre à Jonathan Cape. (Paccaud-Huguet/1991, 209.)127

Ainsi, Parián et le Farolito ne déclinent qu'une seule et même réalité : Paros, l'île Cyclade réputée pour son marbre statuaire, et Pharos, île de l'Egypte ancienne qui donna son nom à la tour qui y fut érigée, connotent toutes deux l'aspiration de l'homme au dépassement des contingences humaines par le biais de l'art (la sculpture) et de l'artifice (les miroirs de Pharos qui réfléchissaient le feu). Si le Consul, par le jeu des associations phoniques et graphiques des signifiants, investit son «petit phare» et la ville qui l'abrite de significations où les références bibliques se mêlent aux échos à l'Antiquité grecque et égyptienne, c'est qu'il sent confusément que son lieu d'élection l'apparente à la fois au héros tragique coupable de transgression et au Christ martyr, car détenteur de la vérité divine. L'expression « Christ, oh pharos of the world », qui apparaît au début du chapitre VII, devient rétrospectivement plus lourde de sens lorsqu'à la fin du même chapitre, le lien entre la figure christique et Parián est renforcé par l'apparition de l'homonyme paria (« pariah » en anglais128). Ce mot, qualifiant le chien famélique que le Consul adopte comme compagnon d'infortune à la Cantina El Bosque, désigne aussi, par un effet métonymique, le Consul lui-même, qui entrevoit déjà son Golgotha :

‘[…] A starving pariah dog with the appearance of having lately been skinned had squeezed itself in after the last man; it looked up at the Consul with beady, gentle eyes. Then, thrusting down its poor wrecked dinghy of a chest, from which raw withered breasts drooped, it began to bow and scrape before him. [...] “Dispense usted, por Dios,” he whispered to the dog, then wanting to say something kind, added, stooping, a phrase read or heard in youth or childhood: “For God sees how timid and beautiful you really are, and the thoughts of hope that go with you like little white birds–”’ ‘The Consul stood up and suddenly declaimed to the dog: ’ ‘“Yet this day, pichicho, shalt thou be with me in–” But the dog hopped away in terror on three legs and slunk under the door. (UTV, 228-229)’

Si le chien détale, c'est que son instinct l'a averti qu'il avait affaire à un oiseau de mauvais augure. Alors que Jésus prédit à l'un des deux malfaiteurs crucifiés en même temps que lui qu'il sera ce jour-même avec lui au paradis (Luc 23 : 43), le Consul n'a pas le temps d'achever sa prédiction, mais le lecteur, au vu de la réaction du chien apeuré, comprend qu'il ne s'agit pas là d'une promesse de paradis129. Pourtant, au chapitre XII, celle-ci se vérifiera : c'est tout près du Farolito, « the paradise of [the Consul's] despair » (UTV, 338), qu'un chien paria (le même ou un autre de son espèce, peu importe) viendra rejoindre le Consul dans la barranca130. Leur chute dans cet abîme, décrit au chapitre V comme une gigantesque fosse d'aisances (« gigantic jakes », UTV, 131), est aux antipodes d'une ascension céleste conduisant au paradis, mais l'aboutissement logique de la progresión al culo (UTV, 357) du Consul131. Accusé par les fascistes d'espionnage et de bolchévisme, il est abattu, puis jeté dans le cloaque comme un indésirable, et le chien qui l'accompagne dans ce séjour infernal ne fait que corroborer métonymiquement son statut de paria. Si l'on peut voir dans ce chien une créature psychopompe132, il n'en demeure pas moins que le geste des fascistes est avant tout une marque de mépris à l'endroit du Consul : la barranca est la fosse commune réservée aux exclus,...aux parias à Parián.

Le Consul est donc tombé bien bas, d'Oaxaca en Parián, comme nous l'avons suggéré plus haut, mais l'on peut aussi emprunter les métaphores géologiques du texte, et dire qu'il préfère échapper à la fracture conjugale symbolisée par le roc fendu du chapitre II, La Despedida, pour atterrir dans le gouffre infernal et l'immense faille qu'est la barranca.133 Peu de temps après son arrivée au Farolito, Geoffrey Firmin sonde du regard l'abîme qui s'étend devant lui et la vue de ce gigantesque à-pic lui remet en mémoire l'image emblématique aperçue le matin-même en compagnie d'Yvonne :

‘[…] It was almost a sheer drop to the bottom of the ravine. What a dark, melancholy place! In Parián did Kubla Khan... And the crag was still there too– just as in Shelley or Calderon or both– the crag that couldn’t make up its mind to crumble absolutely, it clung so, cleft, to life. The sheer height was terrifying, he thought, leaning outwards, looking sideways at the split rock and attempting to recall the passage in The Cenci that described the huge stack clinging to the mass of earth, as if resting on life, not afraid to fall, but darkening, just the same, where it would go if it went. It was a tremendous, an awful way down to the bottom. But it struck him he was not afraid to fall either. He traced men- tally the barranca’s circuitous abysmal path back through the country, through shattered mines, to his own garden, then saw himself standing again this morning with Yvonne outside the printer's shop, gazing at that other rock, La Despedida, the glacial rock crumbling among the wedding invitations in the shop window, the spinning flywheel behind. How long ago, how strange, how sad, remote as the memory of first love, even of his mother's death, it seemed; like some poor sorrow, this time without effort, Yvonne left his mind again. (UTV, 338-339)’

Comme le montre ce passage, la vision de la barranca suggère tout d'abord d'autres gouffres au Consul, notamment l'abîme « profond et romantique » de Kubla Khan à Xanadu134, mais aussi le précipice de la tragédie de Shelley, The Cenci (1819), décrit par Béatrice à la scène 1 de l'acte III comme l'endroit où devrait avoir lieu le meurtre de son père incestueux, le comte Francesco Cenci. Ce précipice renvoie à son tour à la description d'un gouffre dans une œuvre de Calderon dont Shelley reconnaît s'être inspiré135, ce qui peut expliquer l'hésitation du Consul entre les deux auteurs. Le roc est décrit par Béatrice comme étant sur le point de s'effondrer depuis des temps immémoriaux, mais néanmoins toujours en surplomb grâce à la terreur de l'abîme qui le travaille et à l'énergie qu'il dépense pour ne pas s'écrouler136. En gommant le sentiment de peur que Béatrice avait prêté au roc, le Consul peut ainsi exprimer par une image minérale le stoïcisme dont il pense être animé.

Toutefois, le précipice tangible et omniprésent qu'est la barranca sert de jointure textuelle entre les réminiscences littéraires et visuelles du Consul en matière d'abîmes. En effet, c'est en se représentant mentalement le tracé sinueux de la barranca, qui le ramène en arrière à la fois dans le temps (la matinée) et dans l'espace (dans son jardin), que Geoffrey Firmin finit par se souvenir de l'image de « cet autre roc », La Despedida. Comparées à l'effet d'expansion métaphorique que ce titre évocateur connaît dans l'esprit d'Yvonne au chapitre II, les velléités interprétatives du Consul s'avèrent plutôt minces. C'est bien lui qui avait attiré l'attention d'Yvonne sur cet agrandissement photographique dans la vitrine d'un imprimeur, mais en se contentant, pour toute observation, d'utiliser un adjectif monosyllabique qui ne laissait qu'entrevoir son étonnement137. Au chapitre XII, la réflexion du Consul porte certes sur l'étrange tristesse qui se dégage de cet agrandissement (dont l'effet de discordance ironique qu'il suscite en figurant dans la devanture parmi des faire-part de mariages ne lui a d'ailleurs pas échappé), mais celle-ci aboutit curieusement à une mise à distance, voire à une oblitération, de la métaphore de la fracture conjugale. Aux yeux de Geoffrey Firmin, cette vision, au même titre que le souvenir d'un premier amour ou que celui de la perte de l'amour maternel, appartient déjà à un passé qu'aucune métaphore ne pourrait réactualiser. Pour lors, Yvonne n'est qu'un fantôme parmi d'autres : La Despedida n'est qu'un abîme de plus dans le parcours du Consul, et, en dépit de sa puissance de suggestion, ne donne lieu à aucune errance dialogique de la pensée consulaire.

En revanche, comme nous l'avons déjà suggéré plus haut, La Despedida, à la fois comme image et comme titre, devient vecteur de narrativité dans l'esprit d'Yvonne : c'est l'effet conjugué de la représentation photographique et du titre qui l'amène à établir un rapport entre la désagrégation de la roche et celle du couple qu'elle forme encore avec son ex-mari. Ce rapprochement effectué entre landscape et inscape procède d'ailleurs d'une vision expressionniste du monde que Lowry reconnaît avoir empruntée au cinéma allemand des années vingt et qu'il fait adopter ici à son personnage138.

Toutefois, le phénomène dialogique que l'on peut déceler ici n'est pas directement imputable à Yvonne, mais à l'auteur non-identifié du titre attribué à la photographie. En effet, comme l'a laissé entendre Wendy Boyd, «Despedida» est un terme qui s'emploie généralement pour désigner l'acte d'un être animé, et non pas une dégradation géologique139. Le photographe, à supposer qu'il soit aussi le créateur de ce titre, a peut-être voulu produire un effet humanisateur, ou encore orienter le contemplateur ou l'acheteur vers une interprétation métaphorique de la chose représentée par le biais de cette incongruité titrologique. Il nous est également loisible d'imaginer que l'imprimeur, avatar textuel de l'auteur qui, on le sait, aime jouer sur les mots140, a pris un malin plaisir à attribuer ce titre anthropocentrique à la représentation d'un phénomène géologique pour mettre en garde les jeunes époux contre les risques d'usure conjugale. Cette dernière hypothèse paraît séduisante à plusieurs titres : d'une part, l'imprimeur-titrologue devient la seconde voix qui détourne l'image de son « discours » initial pour la transformer en une métaphore ironique de l'effritement de la passion amoureuse; d'autre part, les potentialités dialogiques de l'image sont amplifiées par la décision du même imprimeur de réunir dans la devanture des faire-part de mariages, des images quelque peu mièvres de jeunes mariées, et La Despedida qui semble invalider sur le mode ironique les promesses de félicité conjugale exprimées par les autres objets141.

Quoi qu'il en soit, c'est dans une telle configuration visuelle que la psychomachie d'Yvonne va avoir lieu. Rompue au décodage métaphorique de l'image, celle-ci va décliner ses tourments conjugaux et tenter d'y apporter une solution sur le mode de la métaphore filée des dégradations géologiques :

‘[…] La Despedida, she thought. The Parting! After the damp and detritus had done their work both severed halves of that blasted rock would crumble to earth. It was inevitable, so it said on the picture... Was it really? Wasn't there some way of saving the poor rock whose immutability so short a time ago no one would have dreamed of doubting! [...] But granted it had been split, was there no way before total disintegration should set in of at least saving the severed halves? There was no way. The violence of the fire which split the rock apart had also incited the destruction of each separate rock, cancelling the power that might have held them unities. Oh, but why–by some fanciful geologic thaumaturgy, couldn't the pieces be welded together again! She longed to heal the cleft rock. She was one of the rocks and she yearned to save the other, that both might be saved. By a superlapidary effort she moved herself nearer it, poured out her pleas, her passionate tears, told all her forgiveness: the other rock stood unmoved. “That's all very well,” it said, “but it happens to be your fault, and as for myself, I propose to disintegrate as I please!” (UTV, 54-55.)’

Le titre de l'agrandissement photographique déclenche dans l'esprit d'Yvonne la translation de l'image de rupture dans sa propre vie. Notons en passant que la configuration des lieux, décrite juste avant le passage cité, favorise aussi cette dramatique métaphorisation des rapports du couple : la voie de Geoffrey et d'Yvonne semble toute tracée puisque la rue de la Terre du Feu les attend en contrebas d'une falaise comparée à un tas de détritus aux cendres fumantes142. Toponymie et topographie servent donc également de catalyseur à la psychomachie d'Yvonne : la réalité géographique immédiate relaie l'effet métaphorique produit par La Despedida.

Le développement narratif auquel procède Yvonne montre clairement que sa méditation repose à la fois sur du visible et du lisible : le prétendu discours de l'image (« so it said on the picture ») est en fait une expansion ou une traduction du substantif (La Despedida) formant le titre de l'agrandissement photographique, et celui-ci donne naissance à un récit de nouveaux travaux d'Hercule. Yvonne, devenue de pierre pour la cause, souhaite accomplir un acte de thaumaturgie géologique. (On observera, au passage, que cet art, désigné par un oxymore, associe le naturel et l'artificiel, la magie à la géologie.) Les efforts « surlapidaires » qu'Yvonne se voit prête à fournir poussent la métaphore jusqu'à l'épuisement hyperbolique et risquent, comme l'a souligné Victor Sage, de faire basculer le texte du tragique vers le tragi-comique, voire le grotesque ou la farce143. L'entreprise thaumaturgique d'Yvonne est, on le sait, vouée à l'échec, dans ce passage du chapitre II, comme à la fin du roman. L'autre moitié rocheuse (le pan consulaire, si l'on peut dire) est à la fois rétive et retorse : « That's all very well, [...] but it happens to be your fault, and as for myself, I propose to disintegrate as I please! » (UTV, 55, italiques ajoutés).

L'on ne saurait mieux dire, car c'est effectivement ce qui se produit au terme du récit : le Consul rend Yvonne fautive de leur fracture conjugale à la fin du chapitre X144 et va s'installer au bord de sa faille de prédilection, la barranca. Chacun reste donc sur sa faille. Yvonne reste seule face à la Despedida : la faille/faillite du couple, elle est seule à la ressasser et à l'interpréter par le biais de la métaphore photographique dont elle a perçu l'ironie dialogique. Quant au Consul, s'il a vraisemblablement compris (au chapitre II) et retenu (au chapitre XII) l'orientation dialogique du titre de la photographie, il laisse à Yvonne le soin de s'abîmer dans les affres de la fissure conjugale qu'il ne veut – ou ne peut – plus sonder. Sa faille à lui, la barranca de son âme, est bien plus profonde, car elle est métaphysique et remet en cause son existence même.

Notes
113.

« [...] Selva means wood and this strikes the opening chord of the Inferno--remember, the book was planned and still is a kind of Inferno, with Purgatorio and Paradiso to follow... » (SL, p. 67/CL1, p. 507). Le mot selva, qui est à la fois espagnol et italien, est un exemple parfait de vocable plurilingue, dont l'effet dialogique recherché par Lowry repose sur un phénomène de superposition sémantique de la selve (ou jungle) mexicaine et de la selva oscura de L'Enfer de Dante.

114.

Pour le Consul, les mots selva et bosque sont interchangeables puisqu'ils renvoient tous deux métapho- riquement à la « forêt » infernale dans laquelle il s'enfonce toujours plus: « The Terminal Cantina El Bosque, however, seemed so dark that even with his glasses off he had to stop dead... Mi ritrovai per una bosca oscura–or selva? No matter. The Cantina was well named, “The Boskage” » (UTV, p. 225).

115.

Ackerley et Clipper donnent l'explication suivante : « ...the “humorous connotation” of the name La Sepultura is, doubtless, the reference in [John Kenneth] Turner's Barbarous Mexico, pp. 82-83, to the Valle Nacional slave-farm of that name. » (Companion, note 113.4, p. 172). Notons que Hugh, en se remémorant le passé de son ami mexicain, Juan Cerillo, songe, juste avant d'arriver près de La Sepultura, à la « terrible Valle Nacional where Juan himself, a bonafide slave aged seven, had seen an older brother beaten to death, and another, bought for forty-five pesos, starved to death in seven months... » (UTV, p.108).

116.

UTV, pp. 24-25. Nous examinerons plus loin les récurrences de ce titre et sa charge métaphorique dans le roman.

117.

Dans la lettre qu'il écrit à Yvonne sans jamais l'envoyer, et que Laruelle lit au chapitre I, le Consul s'affuble lui-même du titre de « Knight of Sorry Aspect» (UTV, p. 39).

118.

« M. Laruelle felt a qualm. For he saw now that it was indeed a letter of sorts, though one that the writer undoubtedly had little intention, possibly no capability for the further tactile effort, of posting […] » (UTV, p. 35).

119.

On trouve ici des allusions autobiographiques puisque Lowry s'était lui aussi réfugié à Oaxaca après que sa première femme, Jan Gabrial, l'eut quitté en décembre 1937, et il avait fini par y connaître l'enfer des prisons mexicaines. Voir en particulier les lettres que Lowry a envoyées à ses amis John Davenport et Juan Fernando Marquez (SL, pp. 11-14/CL1, pp. 177-180 & pp. 183-185), et surtout celle qu'il a écrite deux ans et demi plus tard à James Stern (SL, p. 29/CL1, pp. 322-323), dans laquelle il relate son incarcération, et dont il s'inspirera pour écrire la scène de l'interrogatoire du Consul par la para-police fasciste dans le dernier chapitre de UTV.

120.

« La fortune du signifiant : grammaire du post-modernisme dans Under the Volcano »,De Joyce à Stoppard : Ecritures de la modernité, textes réunis et présentés par Adolphe Haberer, (Lyon : P.U.L., 1991), p. 208. (Toute référence ultérieure à cet article sera accompagnée de la mention Paccaud- Huguet 91).

121.

Il convient toutefois de rappeler que ces deux toponymes sont complémentaires l'un de l'autre dans le roman, bien qu'ils génèrent des prolongements métaphoriques différents. Ackerley et Clipper ont d'ailleurs souligné à plusieurs reprises que Parián est une ville fictive apparentée à Oaxaca (« A fictional town, based upon a village of that name in Oaxaca state and possessing many attributes of the town of Oaxaca itself » / « Many of Lowry's personal experiences were transferred from Oaxaca to Parián [...] », Companion, notes 14.1, p. 14 et 41.8, p. 62) mais qui emprunte certains traits distinctifs à d'autres lieux mexicains réels (Companion, note 119.2, p. 177).

122.

« “[…] I think, mi amigo, sickness is not only in body but in that part used to be call: soul” explique gravement le Dr. Vigil au Consul, dans une scène sério-comique du même chapitre V (UTV, p.144).

123.

Dès ses retrouvailles avec Yvonne, le Consul avait paru vouloir expliquer cette fascination esthétique pour les cantinas àson ex-épouse dans des termes religieux :

«  “But look here, hang it all, it is not altogether darkness,” the Consul seemed to be saying in reply to her, gently, [...] “what beauty can compare to that of a cantina in the early morning? [...] Not so much the beauty of this one necessarily [...], but think of all the other terrible ones where people go mad that will soon be taking down their shutters, for not even the gates of heaven, opening wide to receive me, could fill me with such celestial complicated and hopeless joy as the iron screen that rolls up with a crash, as the unpadlocked jostling jalousies which admit those whose souls tremble with the drinks they carry unsteadily to their lips” » (UTV, p. 50, italiques ajoutés).

124.

Ackerley et Clipper donnent l'explication suivante : « The Farolito. Sp. “the little lighthouse” (or, pedan- tically, since it is a diminutive of farol rather than faro, “the little lantern”) » (Companion,note 203.6, p. 278). Ils ont tort de considérer l'erreur du Consul (et probablement aussi celle de Lowry ,qui n'avait qu'une connaissance approximative de l'espagnol) comme un point de détail insignifiant, puisque ce transfert de sens entre deux paronymes est fréquent chez Lowry et, partant, chez ses personnages. Nous osons ajouter -comble de pédanterie- que le diminutif du mot faro serait farito. (Nous remercions Robinson Retamales pour cette précision).

125.

« He saw it all now, the enormous drop on one side of the cantina into the barranca that suggested Kubla Khan: the proprietor, Ramón Diosdado, known as the Elephant, who was reputed to have murdered his wife to cure her neurasthenia, the beggars, hacked by war and covered with sores, one of whom one night after four drinks from the Consul had taken him for the Christ, and falling down on his knees before him, had pinned swiftly under his coat-lapel two medallions, joined to a tiny worked bleeding heart like a pincushion, portraying the Virgin of Guadalupe. “I ah give you the Saint!” » (UTV, p. 200, italiques ajoutés).

126.

« An image which is not so much traditional Christian iconography as Lowry's own emblem of the Biblical conception of Christ as the light of the world (although Lowry may have met the image in Bishop Montgomery's Visions, 1909, pp. 99-103). The Lighthouse of Alexandria, on the island of Pharos just outside the harbour of Alexandria, dates from about 270 A.D., and is one of the seven wonders of the ancient world » (Companion, note 205.3, p. 280).

127.

Les références à UTV ont été modifiées afin qu'elles correspondent aux pages de notre édition. Notons aussi qu'un parian, mot d'origine anglaise formé sur Paros, désigne une « porcelaine d'un blanc crémeux imitant le marbre de paros » Le Petit Larousse 1996, p. 748.

128.

Au chapitre III, le Consul avait déjà effectué ce rapprochement : « There was something else; the Consul imagined he still heard the music of the ball, which must have long since ceased, so that this silence was pervaded as with a stale thudding of drums. Pariah: that meant drums too. Parián. » (UTV, p. 75, italiques ajoutés.) Ackerley et Clipper apportent les éclaircissements suivants : « The word pariah is derived from the Tamil paraiyar, plural of paraiyan, and is the name of the largest of the lower castes in India; hence commonly used in the sense of “untouchable.” The word paraiyan in fact means “drummer” and derives from Tamil parai, a large drum beaten at certain festivals. The words “pariah” and “Parian” are to be found side by side in the OED, from which Lowry has taken their etymologies » (Companion, note 80.2, p.116).

129.

Ackerley et Clipper font à ce propos une remarque très pertinente : « ...the unfinished nature of the Consul's quotation leav[es] his designation more ambiguous ». (Companion, note 232.3, p. 306).

130.

« Somebody threw a dead dog after him down the ravine » (UTV, p. 375). Il s'agit là de la dernière phrase du chapitre XII. (La réapparition du message en espagnol de l'écriteau des jardins publics mexicains à la fin du roman sur une page séparée et non numérotée est en fait un hors-texte adressé comme un avertissement au lecteur).

131.

C'est la remarque moqueuse que le Chef de Municipalité adresse au Consul quelques minutes avant le meurtre. Ackerley et Clipper donnent l'explication suivante : « “Progress to the bottom”; that is, implying that the Consul is on his way down. The pun on “arse” also works in Spanish as the chief of municipality's “obscene circular movement of the hips,” p. 369 , later implies » (Companion, note 358.3, 434, italiques ajoutés). Nous reviendrons sur cette expression un peu plus loin dans ce chapitre.

132.

Cf. Companion, note 376.2, pp. 445-446.

133.

Pour de plus amples développements sur la manière dont cet agrandissement photographique d'un roc en désagrégation est associé par des effets de surimpression à d'autres images et reflets dans la vitrine d'une imprimerie, voir notre article, « Image animée, image fixe : visions de rupture(s) dans Under the Volcano », Image et Récit, Littérature(s) et Arts Visuels du Canada, textes rassemblés par J.-M. Lacroix et al., (Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1993), pp. 321-339.

134.

« In Parián did Kubla Khan » parodie le premier vers du poème de Coleridge, « Kubla Khan », mais Lowry fait aussi allusion aux vers 12-13 du même poème où est évoqué « ...that deep romantic chasm which slanted/ Down the green hill athwart a cedarn cover! » Complete Poetical Works (1912; Oxford & New York : O.U.P., 1969), p. 297.

135.

Dans la préface à The Cenci, Shelley écrit : « [...] I imagine there will scarcely be found a detached simile or a single isolated description, unless Beatrice's description of the chasm appointed for her father's murder should be judged to be of that nature. » Il ajoute en note : « An idea in this speech was suggested by a most sublime passage in El Purgatorio de San Patricio of Calderon; the only plagiarism which I have intentionally committed in the whole piece. », Shelley’s Poetry and Prose, selected and edited by Donald H. Reiman & Sharon B. Powers (New-York & Londres : W. W. Norton and Company, 1977), p. 241. Ackerley et Clipper ne semblent pas avoir eu connaissance de cette préface, car ils citent d'autres œuvres de Calderon susceptibles d'avoir marqué l'esprit du Consul (Voir Companion, note 339.10, p. 420).

136.

« But I remember/ Two miles on this side of the fort, the road/ Crosses a deep ravine; 'tis rough and narrow,/ And winds with short turns down the precipice;/ And in its depth there is a mighty rock,/ Which has, from unimaginable years,/ Sustained itself with terror and with toil/ Over a gulf, and with the agony/ With which it clings seems slowly coming down;/ Even as a wretched soul hour after hour,/ Clings to the mass of life; yet clinging, leans;/ And leaning, makes more dark the dread abyss/ In which it fears to fall; beneath this crag/ Huge as despair, as if in weariness,/ The melancholy mountain yawns... » (The Cenci, III.i. : 243-257, p.267).

137.

« [...] but this time there was something she hadn't seen before, which the Consul now pointed out with a murmur of “Strange,” peering closer: a photographic enlargement, purporting to show the disintegration of a glacial deposit in the Sierra Madre, of a great rock split by forest fires.» (UTV, p. 54, italiques ajoutés).

138.

Dans son article, « Malcolm Lowry and the Expressionist Vision », The Art of Malcolm Lowry, ed. Anne Smith, (London: Vision Press, 1978), Sherrill E. Grace résume fort bien la perception de la réalité sur le mode expressionniste : « In Herbert Read's words[in The Philosophy of Modern Art (1963), p.51] the Expressionist artist does not wish to reproduce “the objective reality of the world, but the subjective reality of the feelings which objects and events arouse...” » (p.96); « Of foremost interest to the Expressionist is the portrayal of individual soul states which also embody collective or cosmic forces » (pp. 97-98).

De manière plus générale, Lowry, dans une de ses lettres de 1951 à son traducteur allemand, Clemens ten Holder, explique l'impact qu'a eu le cinéma expressionniste allemand sur sa propre vision artistique: « ...the influences that have formed the Volcano are in a profound degree largely German; though it may be hard to see where they come from. (It was in Bonn I saw Murnau's Sonnenaufgang; the first 20 minutes of this wonderful movie (though it falls to pieces later--doubtless due to the exigencies of Hollywood) have influenced me almost as much as any book I ever read, even though I've never seen it since.) (CL2, p. 375/ SL, p. 239) Dans « Malcolm Lowry and the Expressionist Vision » (op. cit., pp. 105-107), Sherrill Grace montre comment Sonnenaufgang a fortement influencé l'écriture du passage de ‘La Despedida’ dans le chapitre II du roman. Dans notre article, « Image animée, image fixe », le film de Murnau est considéré comme « l'hypotexte filmique » (op. cit., p. 327) de la scène de la vitrine de l'imprimeur, la filiation se faisant notamment par la technique expressionniste de surimpression commune au film et à cette page de Under the Volcano.

139.

Wendy Boyd suggère toutefois qu'un phénomène naturel peut être désigné par le verbe qui lui est rattaché, despedir: « Though “Despedida” translates as farewell, departure, or dismissal the meaning of the verb “despedir” is to discharge, dismiss, to emit, throw off, give off, or to take leave. », « Malcolm Lowry's Under the Volcano: La Despedida », American Imago, Vol. 37, N°1 (printemps 1980), p. 63.

140.

Sur l'origine probable de l'emprunt du mot « despedida » par Lowry, voir la note 59.5 pp.89-90 d'Ackerley et Clipper dans Companion qui signale l'apparition du mot dans plusieurs écrits de D. H. Lawrence, dont The Plumed Serpent.Elle retient aussi l'explication de Kilgallin « [who] is probably right to suggest that Lowry's immediate source was Conrad Aiken's Great Circle (1933), where the rock as a symbol of suffering is used to convey Andrew Cather's sense of separation from his adulterous wife ».

141.

« In the window itself, [...] the same brave wedding invitations [Yvonne] remembered were ranged, the same touched-up prints of extravagantly floriferous brides, but this time there was something she hadn't seen before [...] : a photographic enlargement [...] of a great rock split by forest fires. This curious, and curiously sad picture—to which the nature of the other exhibits lent an added ironic poignance—set behind and above the already spinning flywheel of the presses, was called: La Despedida. » (UTV, p. 54, italiques ajoutés).

142.

« Their path made the short cut to the Calle Tierra del Fuego which curved below to meet them but the cliff was little better than a rubbish heap with smouldering debris and they had to pick their way carefully » (UTV, p. 54, italiques ajoutés).

143.

« […] the presence of a bathetic substitution in the prose converts agony and longing into farce [...] 'Superlapidary' is plainly substituted for 'superhuman' here, and the bathetic effect inevitably satirises the self-dramatising quality of Yvonne's fantasy. » « The Art of Sinking in Prose: Charles Jackson, Joyce and Under the Volcano », in Sue Vice, ed., Malcolm Lowry Eighty Years On (Basingstoke, Hampshire et Londres : Macmillan Press, 1989), pp. 41-42.

Victor Sage concède toutefois qu'il s'agit là d'une rupture stylistique voulue par l'auteur : « I have taken for granted that a lyrical sense of the tragic, a sense of doom and inexorability, is strongly present in the text; but so is a lovingly cultivated bathos, and bathos is a curiously resistant trope when used so self-consciously, converting the tragic into hyperbole.» (ibid., p. 49, italiques ajoutés).

144.

« He was saying, had said it: “Where are the children I might have wanted? You may suppose I might have wanted them. Drowned. To the accompaniment of the rattling of a thousand douche bags. Mind you, you don't pretend to love ‘humanity’, not a bit of it! [...]” » (UTV, p. 313).