Chapitre II
Effets autotextuels : la mémoire autarcique du texte

Le présent chapitre aborde un aspect du « dialogisme » lowryen en élargissant le champ d’étude délimité par Bakhtine, ou en y incluant tout au moins un aspect de la production littéraire que ce dernier n’examinait pas spécifiquement dans ses divers ouvrages théoriques.

Le dialogisme bakhtinien signifie, on l’a vu, l’émergence de l’altérité vocale au sein de toute parole ou tout discours, et constitue de ce fait une théorie particulièrement bien adaptée à l’examen des phénomènes dits d’intertextualité. Under the Volcano, melting-pot littéraire par excellence des voix d’autrui, se prête très bien (la troisième partie de ce travail s’emploiera à le démontrer) à une théorisation bakhtinienne stricto sensu. Toutefois, en tant qu’œuvre faisant fonctionner la répétition et la réflexivité, Under the Volcano sécrète aussi un certain nombre de stratégies discursives et narratives qui échappent aux définitions strictement bakhtiniennes du dialogisme. L’altérité vocale, principe d’écriture et essence même du discours romanesque, n’est plus comprise alors comme étant exclusivement tributaire d’un apport exogène, mais peut aussi se définir comme la transformation du même devenant autre sous l’effet d’une répétition. Cette dimension endogène, incompatible en apparence avec la notion d’ouverture à l’Autre de la littérature que présuppose le dialogisme bakhtinien, révèle en réalité une capacité parallèle du texte à se régénérer tout seul sous l’effet de son « intertextualité autarcique» appelée plus communément « autotextualité262  » par Lucien Dällenbach.

Notre étude portera donc sur une forme d’écholalie textuelle entendue, non pas dans son acception psychiatrique de répétition machinale de mots ou de phrases, mais comme stratégie délibérée de répétition à visée transformationnelle. Au risque d’entrecroiser indûment deux mythes, celui d’Echo et celui de Narcisse, nous dirons que cette stratégie discursive ressortit également à une forme de narcissisme textuel. Nous examinerons tout d’abord la circulation de certains mots ou énoncés-clés dans Under the Volcano qui créent des « effets de miroir par lesquels le texte […] se cite, se met en mouvement263 ». A l’analyse de ces pratiques auto-citationnelles littérales succédera une autre forme d’autotextualité consistant en « une réduplication interne du récit » dans sa « dimension référentielle »264 : la mise en abyme pleinement réalisée ou certaines formes de réflexivité textuelle qui lui sont apparentées.

Notes
262.

La définition de Dällenbach part d’une distinction établie par Jean Ricardou (dans Pour une théorie du nouveau roman (Paris : Éd. du Seuil, 1971), p. 162 s.) entre « une intertextualité externe entendue comme rapport d’un texte à un autre texte et une intertextualité interne comprise comme rapport d’un texte à lui-même. » « Intertexte et autotexte », Poétique 27, (1976), p. 282. L’ « autotextualité » ou « l’intertextualité autarcique » de Dällenbach correspond donc à « l’intertextualité interne » de Ricardou. (Toute référence ultérieure à cet article sera accompagnée de la mention Dällenbach 76).

263.

Nous empruntons cette formulation à La Dissémination de Jacques Derrida (Paris : Seuil, 1972), p. 351, cité par Janet Patterson dans « l’Autoreprésentation : Formes et Discours », Texte : l’Autoreprésentation/ Le texte et ses miroirs, 1, (1982), p. 184.

264.

Dällenbach envisage l’autotexte « comme une réduplication interne qui dédouble le récit tout ou partie sous sa dimension littérale (celle du texte, entendu strictement) ou référentielle (celle de la fiction) ». Un dédoublement partiel dans sa dimension littérale est une « auto-citation » ; quant au dédoublement intégral du récit dans sa dimension référentielle, Dällenbach le nomme « résumé ou mise en abyme » (Voir son tableau récapitulatif, Dällenbach 76, p. 283).