Déchaînement polyphonique

Dans l’extrait suivant, l’effet de dislocation temporelle est nettement amplifié par la polyphonie croissante des voix :

‘“–in spite of what I’ve been working on and my friend Weber, and what Geoff said about the Unión Militar, I still don’t think the fascists have any hold here to speak of.”’ ‘“Oh Hugh, for heaven’s sake–”’

THE CITY PARISH

The church is erected in the same place where the Spaniards built the first Hermitage

consecrated to Virgin Mary. Some of the altars are decorated with overloaded art work.

The portico of the church is of beautiful and severe appearance.

‘“Ha ha ha!”’ ‘“Ha ha ha!”’ ‘“I am very sorry you cannot come me with.”’ ‘“For she is the Virgin for those who have nobody with.”’ ‘“Nobody come here, only those who have nobody them with.”’ ‘“–who have nobody with–”’ ‘“–who have nobody them with–” (UTV, 298)’

La conversation de Hugh et d’Yvonne est séparée (du moins dans l’organisation textuelle qui, on peut le supposer, se veut mimétique du patchwork cérébral) des voix parasitaires du Consul par un nouvel extrait de la brochure touristique qu’il est en train de lire. L’adjonction des voix intériorisées, celle du familier railleur (ou de Weber) et surtout celle du Docteur Vigil dans ses lancinantes variations agrammaticales, renforce l’impression paradoxale d’envahissement progressif de l’extérieur par l’intérieur, ou plus exactement d’empiètement de l’espace des voix intériorisées parasitaires sur celui des voix extérieures (celles de Hugh et d’Yvonne) ou en cours d’intériorisation (la brochure lue par le Consul). Il en résulte un effet de claustrophobie grandissante : l’amenuisement des voix extérieures « réelles » dans l’espace sensoriel du Consul et l’expansion agressive de ses voix obsessionnelles manifeste un autisme progressif que le texte reproduit par cette juxtaposition d’énoncés disjoints. L’interaction dialogique des énoncés n’est possible que par un effort de lecture : il nous est encore possible de distinguer un fil conducteur, celui d’une isotopie religieuse déclinée de différentes manières, allant de l’exclamation courante ou familière vidée de son sens religieux (« for heaven’s sake ») à l’évocation de la Vierge des êtres solitaires par Vigil, en passant par la description de l’église de Tlaxcala, anciennement lieu de culte marial. Le Consul, expert en analogies et autres rapprochements, est-il encore en mesure de percevoir ces associations, ou bien sommes-nous censés voir dans ce fil ténu un effet de lecture programmé par Lowry à notre seule intention ? Libre au lecteur de répondre à cette question comme il l’entend, selon sa propension à privilégier le texte comme fin en soi ou à s’autoriser quelques représentations supplémentaires de la conscience disloquée du Consul322.

Notes
322.

Il nous est toutefois loisible de penser que la description de l’église dans la brochure touristique déclenche chez le Consul une remémoration des événements de la journée précédente au cours de laquelle le Dr Vigil l’avait accompagné à l’église des âmes esseulées, « the church for the bereavèd […] where is the Virgin for those who have nobody with » (UTV, p. 6). Cette remémoration se fait par le biais de l’idiolecte particulier de Vigil qui dialogise les pensées du Consul tout au long du récit.