Remémoration et entrelacs de voix

Le Consul, nous l’avons dit, est souvent aux prises avec un hic et nunc distendu et hypertrophié dans lequel le passé et le présent se fondent en un ensemble temporel indifférencié. Si la mémoire autotextuelle du texte est nourrie par les rapprochements analogiques qu’effectue le Consul, y compris dans ses moments de désorientation totale, les autres personnages principaux–Laruelle, Yvonne et Hugh–ont, entre autres fonctions, celle de compléter la réflexivité du texte par des réminiscences qui reposent sur une mémoire antérieure au début de l’histoire. Aussi est-ce dans la représentation de leur espace intérieur que Lowry va aménager les tunnels de la mémoire chers à Virginia Woolf329. Ceux-ci lui permettront d’évoquer par une succession de dévoilements partiels le passé des quatre protagonistes pour autant qu’il éclaire le présent ou met en relief leur cheminement individuel. Ces digressions tendent de ce fait à relativiser la prétendue incapacité (notamment auto-proclamée) de Lowry à créer des personnages dotés d’une certaine épaisseur ou consistance, sans remettre en cause son projet central de créer un Everyman universel et composite. Il convient à présent d’examiner la façon dont Lowry travaille de manière dialogique ces analepses extradiégétiques.

Notes
329.

Virginia Woolf avait mis au point ce qu’elle appelait son « tunnelling process, by which I tell the past by instalments, as I have need of it ». A Writer’s Diary, ed. Leonard Woolf (1953; Frogmore, St Albans : Triad/ Panther Books, 1978), p. 66. Mrs Dalloway (1925) et To the Lighthouse (1927) mettent brillamment en oeuvre ce procédé narratif de restitution mnésique d’un passé antérieur.