La citation dans tous ses états

Dans son ouvrage de référence consacré à cette forme d’emprunt, Antoine Compagnon rappelle que la citation « a ce privilège parmi tous les mots du lexique de désigner tout à la fois deux opérations, l’une de prélèvement, l’autre de greffe, et encore l’objet de ces deux opérations, l’objet prélevé et l’objet greffé, comme s’il demeurait le même dans différents états » (Compagnon, 29). Cette confusion métonymique entre l’action de citer et le résultat obtenu est d’ailleurs entretenue par l’illusion de reproduction à l’identique des propos cités. En toute rigueur, et conformément à l’attente qu’elle suscite en chaque lecteur, la citation devrait donc se contenter d’être « un énoncé répété et une énonciation répétante » (Compagnon, 56). Sa fiabilité lui confère ainsi une fonction canonique d’autorité, et lui permet de créer un effet d’authenticité au sein même de la fiction. Philippe Hamon résume cette contradiction apparente dans les termes suivants :

‘Paradoxe suprême, l’insertion, dans un texte de fiction A d’une citation, c’est-à-dire d’un fragment d’une autre fiction B, au lieu de redoubler le texte de fiction A comme fiction, introduit dans ce dernier les postures et les opérations de la vérité : moi, lecteur, je peux aller vérifier la littéralité (voire, de surcroît, l’attribution et la localisation) de la citation. La citation, c’est la seule chose qui réintroduise le réel et le vrai, via la possibilité du vérifiable, dans la fiction.455

Hamon, tout en insistant sur l’authenticité du texte cité, suggère à juste titre que le résultat obtenu est avant tout (voir le titre de son article) un « effet de réel » qui peut faire autorité sans pour autant faire indéfiniment illusion : « les postures et les opérations de la vérité » soulignent l’illusion référentielle à l’œuvre dans une telle entreprise.

Lowry, pour sa part, joue de cette illusion référentielle à plusieurs niveaux : la citation est pour lui, comme nous allons le voir, l’occasion de s’approprier une voix, une pose ou un style qui dialogise sa prose tout en étant plus ou moins clairement démarquée. Cela ne l’empêche pas de relativiser, voire de mettre à mal, la notion même de citation par le seul fait d’entraîner parfois son lecteur dans ce que l’on pourrait appeler une illusion citationnelle, induite par les « postures » de son écriture. L’ « effet de réel » devient alors simple leurre et jette un éclairage nouveau sur l’autorité canonique de la citation.

Notes
455.

« Thème et effet de réel », Poétique 64, (novembre 1985), p. 503. Cité par Simone Vauthier dans Reverberations : Explorations in the Canadian Short Story, (Concord, Ontario : House of Anansi Press, 1993), p. 86, n. 13.