Capture du discours historique et montage d’une singulière épopée

Dans ce dernier sous-chapitre, nous voudrions examiner brièvement la question du recyclage du discours historique et la traiter en regard du traitement épique que Lowry applique au début du chapitre V. Les deux types de discours empruntés contribuent à restituer l’histoire des hommes, mais dans des registres diamétralement opposés : le discours historique est censé être précis et factuel ; l’épopée, genre noble, restitue cette histoire dans un style élevé ou poétique en y mêlant des éléments de légende, notamment pour célébrer les hauts faits d’un personnage éminent ou d’un héros. Sa priorité n’est pas l’exactitude parfaite des faits relatés, mais l’agrandissement du personnage (ou du groupe) concerné.

D’un intérêt plus immédiat pour cette étude est la façon dont Lowry utilise ces deux formes de discours en les tissant dans son texte. Comme l’a montré Chris Ackerley dans ses articles consacrés à l’histoire mexicaine et espagnole dans Under the Volcano585, Lowry s’emploie à assimiler des extraits d’ouvrages historiques, notamment celui de John Kenneth Turner intitulé Barbarous Mexico586 pour ce qui concerne l’histoire mexicaine de la fin du dix-neuvième siècle et le début du vingtième siècle, tant et si bien que le matériau emprunté et ainsi « naturalisé » devient le sien propre587. Plusieurs exemples ont été relevés par Chris Ackerley : retenons-en deux qui illustrent l’émergence dans Under the Volcano de ce que la critique post-moderne anglo-saxonne a désigné sous le terme de « faction588 », à savoir un mélange de faits authentiques et de fiction ou, pour décrire la façon de procéder de Lowry, une transformation du réel en fictionnel par assimilation et neutralisation du discours externe. Le premier exemple de « plagiat créatif », pour reprendre l’expression de Michel Schneider, a pour caution diégétique Señor Bustamente, expert en histoire mexicaine auto-proclamé :

‘[…] Sr. Bustamente, who was older than he looked, had remembered the days of Porfirio Díaz, the days when, in America, every small town along the Mexican border harboured a “Consul.” Indeed Mexican Consuls were to be found even in villages hundreds of miles from that border. Consuls were expected to look after the interests of trade between countries – were they not? But towns in Arizona that did not do ten dollars’ worth of trade a year with Mexico had Consuls maintained by Díaz. Of course, they were not Consuls but spies. Sr. Bustamente knew because before the Revolution his own father, a liberal and a member of the Ponciana Arriaga, had been held for three months in prison at Douglas, Arizona (in spite of which Sr. Bustamente was going to vote for Almazán), on the orders of a Díaz-maintained Consul. Was it not then reasonable to suppose […] Señor Firmin was such a Consul […] (UTV, 29-30 ; la réécriture du texte de Turner est en italiques)’

Dans sa discussion avec Jacques Laruelle au sujet du Consul, Señor Bustamente représente en effet une certaine mémoire de l’histoire mexicaine. Son âge suffisamment avancé lui a permis de connaître l’époque pendant laquelle le Général Porfirio Díaz était Président du Mexique (1877-1911). Le discours historique que lui prête Lowry est à peine remanié589 ; il est extrait du livre de Turner, Barbarous Mexico, et rend à l’auteur le service narratif de développer la part d’ombre du Consul, ou du moins l’un de ses aspects, si déterminant pour l’issue diégétique : était-il véritablement un espion, un des chefs d’accusation lancés contre lui par les sinarquistas au chapitre XII dans un hybride langagier grotesque590 ? Bien que Bustamente semble insinuer que le Consul était effectivement un espion au service de Sa Majesté, il ne nous appartient pas de lui emboîter le pas ni d’adopter l’opinion inverse, étant donné que le roman ne nous permet pas de trancher cette question. Nous disposons en effet de peu d’informations textuelles concernant la véritable raison du séjour prolongé du Consul au Mexique alors que la Grande-Bretagne a rompu ses relations diplomatiques avec ce pays suite à la nationalisation des compagnies pétrolières anglaises en mars 1938591.

Le véritable intérêt de ce passage réside dans la manière par laquelle une réalité extradiégétique (la présence de Consuls-espions au Mexique au début du siècle) est mise au service d’une question intradiégétique (le positionnement du Consul dans cette lignée de faux-Consuls). Les détails glanés par Lowry chez Turner font de lui un plagiaire ponctuel, même si son art consommé du recyclage lui permet d’entrer dans la catégorie littéraire des « faction-writers ». En effet, Lowry adapte habilement ce pan d’histoire à son propre contexte en faisant du père de Bustamente un membre d’une organisation politique libérale et anti-Díaz, arrêté sur les ordres d’un Consul-espion mexicain592. Ainsi, les phrases prélevées chez Turner et remaniées par Lowry s’intègrent dans un ensemble de données historiques qui semble faire autorité dans son intégralité puisque le réel devient indissociable du fictionnel en n’étant pas signalé comme discours « autre » à l’intérieur du discours de l’instance narrative rapportant les propos de Bustamente.

Se pose alors la question de savoir si ce plagiat remanié où la voix d’autrui est assimilée sans la moindre trace d’altérité (Ackerley montre qu’en l’occurrence Lowry a tout fait pour effacer l’origine du discours emprunté) n’est pas effectivement le degré zéro de l’intertextualité. Il semblerait que Lowry, dont les préférences dialogiques habituelles ne sont plus à démontrer, ait voulu dans ce cas précis opter pour une insertion dialogique plus discrète, passée sous silence et passant si possible inaperçue. Alors qu’il démarque suffisamment, sinon parfaitement, la plupart de ses emprunts littéraires, sans pour autant en indiquer toujours la provenance, Lowry semble en revanche répugner parfois à révéler ses sources lorsque l’hypotexte appartient à une catégorie d’écrits non-littéraires593. Son désir d’injecter du discours historique dans sa prose n’est pas accompagné en l’occurrence d’une volonté ludique qui consisterait, par exemple, à le parodier ou à se jouer de lui en remettant en cause ce qui est présenté comme une vérité historique. Le but de Lowry n’est pas parodique : il consiste à « faire vrai » en important dans son texte des fragments de discours historique se calquant sur le réel et non sur l’imaginaire.

Un autre exemple de « faction » dans le roman repose sur l’insertion de documents authentiques-appartenant à la catégorie dialogique bakhtinienne des « genres intercalaires »- tels qu’un menu de restaurant (comme celui que lit Yvonne au chapitre XI), une brochure touristique sur le site de Tlaxcala (lue par le Consul au chapitre X) ou encore un télégramme (comme celui dont Hugh est en possession au chapitre IV et qui se retrouve malencontreusement dans la poche du Consul au chapitre XII). C’est sur ce dernier document, une dépêche journalistique, et par conséquent un échantillon de l’histoire en devenir, que nous nous arrêterons.

‘DAILY GLOBE intelube londres presse collect following yesterdays headcoming anti-Semitic campaign mexpress propetition see tee emma mexworkers confederation proexpulsion exmexico quote small jewish textile manufacturers unquote twas learned today per-reliable source that german legation mexcity actively behind the campaign etstatement that legation has gone length sending anti-semitic propaganda mexdept interiorwards borne out propamphlet possession local newspaperman stop pamphlet asserts jews influence unfavourably any country they live etemphasises quote their belief absolute power etthat they gain their ends without conscience or consideration unquote stop Firmin. (UTV, 94)’

Ce document, dont l’original est conservé à l’Université de Colombie Britannique594, apparaît en ouverture du chapitre IV. Hugh est censé être l’auteur de ce télégramme retranscrit de manière littérale par Lowry : il vient en effet de l’envoyer au Daily Globe et en a conservé une copie carbone qui fait l’objet de sa relecture. Précédant la description du personnage, la dépêche acquiert ainsi une valeur métonymique indicative de la présence de Hugh au Mexique et de son affiliation professionnelle. Le fait qu’on la retrouve dans la poche de la veste que Hugh avait empruntée au Consul, mais que ce dernier porte au moment de partir pour Tomalín à la fin du chapitre VI595 jusqu’à sa mort au Farolito, en fait un objet d’une redoutable et tragique transitivité596.

Contrairement à l’exemple précédent, cette insertion détachée du reste du texte et transcrite en caractères italiques ne cache pas son statut de discours autre, de collage, ni non plus l’hybridité textuelle qu’elle entraîne597. Toutefois, le fait d’attribuer la paternité du document à Hugh contribue à le naturaliser et à justifier sa présence sur l’axe du réel fictionnel. L’utilité de ce document est double : d’une part, mettre en place la trace tangible du mobile du meurtre du Consul dans l’enquête policière que le lecteur sera amené à entreprendre au cours de sa lecture598 ; d’autre part, authentifier les allégations d’antisémitisme au Mexique dans l’univers diégétique et préparer les insultes antisémites proférées par la para-police fasciste contre le Consul599. Document journalistique livré au lecteur dans toute sa brutalité comminatoire, il fait la liaison entre l’histoire mexicaine en devenir et le parcours tragique du Consul qui s’y trouve intimement et ironiquement lié.

Nous n’avons pu qu’esquisser ici une amorce d’étude du discours historique dans Under the Volcano. Son statut intertextuel dans le roman est un peu particulier dans la mesure où il se rapproche parfois dangereusement du plagiat caractérisé dont Lowry craignait d’être accusé, tout en manifestant par ailleurs sa double capacité à fonctionner comme objet de commentaire du discours fictionnel (c’est le cas notamment de l’allusion à l’historien W. H. Prescott mentionnée en note de bas de page) et comme discours « réel » ayant vocation à authentifier son contexte d’accueil fictionnel.

Le recours au discours épique, en l’occurrence celui emprunté à l’épopée du Mahābhārata, produit des effets de lecture très différents. Bien que représentant, à l’instar du télégramme du chapitre IV, une forme de « collage par insertion » dans sa globalité, la page d’ouverture du chapitre V de Under the Volcano procède aussi, comme nous allons le montrer, par juxtaposition interne de discours de nature différente dont le passage épique n’est qu’un mince fragment600. La part d’emprunt littéral est très réduite et la part de montage très importante, étant donné que l’intention de Lowry est de faire glisser le lecteur insensiblement de l’épopée sanskrite — non désignée comme telle — vers un état onirique consulaire propice à la fabrication d’une aura mythique. Le début du chapitre V s’ouvre donc par la restitution littérale de quelques lignes d’une traduction anglaise de l’épopée hindoue en vers prélevées dans un livre de H. G. Rawlinson intitulé India : A Short Cultural History601. Ces lignes retracent le pèlerinage de Yudhishthira, aîné du clan des Pāndava, dans l’Himalaya, accompagné de ses quatre frères, de son épouse, et d’un chien. Au fur et à mesure que la caravane humaine se rapproche de la chaîne de l’Himalaya (dont Himavat est la personnification dans la mythologie hindoue602), le désir d’élévation spirituelle de ses membres devient plus intense :

‘Behind them walked the only living thing that shared their pilgrimage, the dog. And by degrees they reached the briny sea. Then, with souls well disciplined they reached the northern region, and beheld, with heaven aspiring hearts, the mighty mountain Himavat (UTV, 125, italiques dans le texte) ’

A la fin du chapitre III, le Consul avait sombré dans le sommeil, cédant la place au chapitre suivant à Hugh et à Yvonne, partis ensemble en promenade équestre. Au chapitre V, le texte en italiques (dont le début est cité ci-dessus) apparaît en guise d’ouverture. Première source d’ambiguïté : la troisième personne du pluriel (« Behind them…their pilgrimage ») désigne une collectivité avec laquelle le lecteur n’est pas familiarisé, étant donné que cette amorce de récit se fait in medias res. La référence à Himavat situe l’action en Inde, mais le statut de ce discours narratif reste ambigu.

Le rythme s’emballe au deuxième paragraphe où une accumulation de verbes au prétérit progressif s’annulant l’un l’autre produit un enchaînement très rapide de transformations du cadre naturel dans lequel se situe normalement l’action :

‘Whereupon the lake was lapping, the lilacs were blowing, the chenars were budding, the mountains were glistening, the waterfalls were playing, the spring was green, the snow was white, the sky was blue, the fruit blossoms were clouds: and he was still thirsty. Then the snow was not glistening, the fruit blossoms were not clouds, they were mosquitoes, the Himalayas were hidden by dust, and he was thirstier than ever. Then the lake was blowing, the snow was blowing, the waterfalls were blowing, the fruit blossoms were blowing, the seasons were blowing—blowing away—he was blowing away himself, whirled by a storm of blossoms into the mountains, where now the rain was falling. But this rain, that fell only on the mountains, did not assuage his thirst. (UTV, 125)’

Ce paragraphe, séparé du premier par trois points de suspension, n’a pourtant plus rien à voir avec le récit du pèlerinage. La logique narrative voudrait d’une part que la troisième personne du pluriel des premières lignes désigne les personnages quittés à la fin du chapitre suivant, soit Hugh et Yvonne, et que la troisième personne du singulier du second paragraphe désigne Hugh. Il n’en est rien : les italiques et la tonalité générale des premières lignes marquaient l’intrusion d’un autre récit (que nous reconnaissons, renseignements pris, comme épique) et avec ce second paragraphe, dont nous n’avons cité que le début, la confusion est totale. Sachant que chez Lowry les incohérences apparentes sont génératrices d’un surcroît de sens, le lecteur examine de plus près la description des changements de la nature et s’aperçoit que la temporalité qui préside à ces transformations et à leur contraire (« was glistening…/ was not glistening… etc… ») ne peut être que celle d’un film qui s’emballe ou d’un rêve. La deuxième hypothèse de lecture, qui s’avère être la bonne, renvoie inéluctablement au Consul assoupi à la fin du chapitre III. Le Consul, par un effet de transgression métaleptique que le rêve justifie, est, pour ainsi dire, « entré » dans le paysage. La soif non assouvie sert d’ailleurs d’indice identificatoire. Les informations fournies par la critique informée nous permettent de reconstituer le puzzle narratif : les première lignes, nous le savons déjà, renvoient au pèlerinage de Yudhishthira et de ses proches, la suite est un fragment textuel inséré et juxtaposé à celui du Mahābhārata, une version condensée et remaniée par Lowry d’un fragment textuel fortement inspiré d’un ouvrage de Sir Francis Younghusband consacré au Cachemire603. Frederick Asals propose une analyse comparative du texte descriptif de Younghusband604 et celui de Lowry. Celle-ci nous permet de comprendre que Lowry s’est emparé du texte-source et, qu’en le réécrivant, il a produit ce que Gérard Genette appellerait sans doute un effet de transmodalisation605. Il s’agit, en l’occurrence, pour Lowry de se débarrasser de la cohérence descriptive de l’hypotexte-« Younghusband » pour créer un micro-hypertexte dans lequel sont introduits des signes linguistiques et temporels qui le font basculer dans la restitution d’une séquence onirique606. Le Cachemire, visité par Younghusband au printemps, devient une vision dont les coordonnées spatiales sont mises entre parenthèses au bénéfice d’une accélération temporelle caractéristique de la sensation d’emballement éprouvée par le sujet rêvant peu avant le réveil. Le recours à la troisième personne du singulier, l’utilisation de la négation pour marquer l’opposition des saisons, l’emploi systématique du prétérit progressif pour animer les éléments descriptifs et leur insuffler une agitation frénétique au sein de laquelle le Consul lui-même se sent « agi » (« he was blowing away himself »), tout contribue à transformer la description empreinte de majesté de l’hypotexte en une séquence onirique. Le staccato parataxique et la répétition lancinante des expressions complètent cet effet de vision obsédante.

Le montage textuel s’achève – toujours au second paragraphe--par un recentrage sur le personnage du Consul et sur le thème obsédant de la soif qu’il n’a pas étanchée. Le pèlerinage de Yudhishthira, qu’on lit rétrospectivement comme un fantasme ascensionnel qui nourrit le rêve du Consul, se transforme en une vision s’inspirant encore de l’ouvrage de Younghusband, mais dont la chaîne de l’Himalaya, symbole d’élévation spirituelle, a disparu :

‘Nor was he after all in the mountains. He was standing, among cattle, in a stream. He was resting, with some ponies, knee-deep beside him in the cool marshes. He was lying face downward drinking from a lake that reflected the white-capped ranges, the clouds piled five miles high behind the mighty mountain Himavat, the purple chenars and a village nestling among the mulberries. Yet his thirst still remained unquenched. Perhaps because he was drinking, not water, but lightness, and promise of lightness—how could he be drinking promise of lightness? Perhaps because he was drinking, not water, but certainty of brightness—how could he be drinking certainty of brightness? Certainty of brightness, promise of lightness, of light, light, light, and again, of light, light, light, light, light! (UTV, 125-126)’

La fin du passage en italiques est constituée par l’aboutissement de la vision onirique et par son doublement méta-onirique. Les commentaires surpris ou moqueurs du Consul sur le point de se réveiller (« how could he be drinking promise of lightness ? ») agissent en effet comme un prélude à la prise de conscience totale de l’inanité du rêve, tandis que les promesses de lumière et de clarté, encore énoncées au rythme d’une répétitivité obsédante, semblent déjà réintroduire la réalité diurne au détriment de la vision « disciplinée » d’une élévation physique et spirituelle redevenue inaccessible. Le Consul se voit passer de la position debout à la position allongée et, de manière significative, sa vision des cimes enneigées de l’Himavat est dès lors inversée, puisque réfléchie dans l’eau du lac où il pense se désaltérer. La fin de son rêve est à l’image de ses autres fantasmes d’élévation, notamment celui précédant sa mort au chapitre XII où, dans son délire, le Consul se voit faire l’ascension du Popocatepetl (qu’il confond avec l’Himalaya) en compagnie de Hugh et d’Yvonne, avant de se sentir soulevé par ses bourreaux, puis jeté au fond du cloaque (UTV, 374-375).

Ce texte intercalaire, pris dans son intégralité, fonctionne ainsi comme un épisode onirique dans lequel le Consul fantasme une ascension : celle-ci apparaît en contrepoint ironique aux signes d’affaissement qui annoncent la plongée dans le sommeil du Consul à la fin du chapitre III607. L’emploi d’une citation extraite du Mahābhārata participe toutefois d’une volonté d’agrandissement épique du Consul jusque dans son éthylisme, justifiée en outre sur le plan narratif par le fait que son fantasme d’élévation mystique et spirituelle n’est jamais aussi fortement présent qu’au cœur même de sa déchéance. Le montage textuel, obtenu à partir d’un collage de deux textes et de leur remaniement, permet de passer d’une verticalité solennelle à une horizontalité grotesque dans une parfaite fluidité narrative. L’organisation interne des collages par juxtaposition correspond effectivement à « une esthétique de l’intégration608 » : celle-ci fait cohabiter les voix bricolées du rêve consulaire dans une interaction dialogique discrète.

Les pratiques transtextuelles de Lowry influent, nous avons pu le constater, sur la structure du roman, son balisage et sa nature tragiques ; elles l’enrichissent de toute une série d’analogons littéraires, de choix esthétiques et de modes discursifs que la présente étude a examinés de manière inévitablement sélective. Il convient maintenant, à la lumière de ces analyses, de tirer quelques conclusions sur les fonctions de l’intertextualité chez Lowry.

Notes
585.

Voir en particulier « Lowry’s Tlaxcala », Malcolm Lowry Newsletter [MLN] , N° 13, (automne 1983), pp. 17-30; « Under the Volcano and the Spanish Civil War », MLN, N° 14, (printemps 1984), pp. 4-25; « Mexican History and Under the Volcano », The Malcolm Lowry Review [MLR], N° 15, (automne 1984), pp. 24-44 ; et « Mexican History and Under the Volcano: Part 2 », MLR, N° 16, (printemps 1985), pp. 32-52.

586.

Barbarous Mexico (Londres et al. : Cassell and Company, Ltd., 1911).

587.

Chris Ackerley donne quelques précisions intéressantes sur l’appropriation de ce matériau historique par Lowry : « Turner’s Barbarous Mexico was banned in Mexico for many years, so Lowry presumably read it while he was in Vancouver. As so often, he has taken his details from a relatively obscure source, which he acknowledges neither in the text nor subsequently. One understands why Lowry was so petrified at the thought of being caught out as a plagiarist, but the unobtrusive and completely apt nature of the above details, lifted almost bodily from the original, testifies to his undeniable skill in making other people’s materials his own. » «  Barbarous Mexico and Under the Volcano », Notes and Queries, (mars 1984); 31 (229) (1), p. 83.

588.

« Faction (second meaning) : 1. A form of literature or filmmaking that treats real people or events as if they were fictional or uses real people or events as essential elements in an otherwise fictional rendition.

2. A literary work or film that is a mix of fact and fiction.

[ Blend of FACT and FICTION.] » (Answers.com/ Dictionary/ Houghton Mifflin Company)

Sue Vice semble être la première à avoir utilisé ce terme par rapport à Lowry. Voir Self-consciousness in the Work of Malcolm Lowry, p. 165.

589.

Le passage que Lowry a utilisé est le suivant :

« Nearly every small town along the border harbors a personage who enjoys the title of Mexican Consul. Consuls are found in villages hundreds of miles from the Mexican border. Consuls are supposed to be for the purpose of looking after the interests of trade between countries, but towns in California, Arizona, New Mexico and Texas which do not do a hundred dollars worth of trade a year with Mexico have consuls who are maintained by Díaz at the expense of tens of thousands of dollars a year.

Many of these consuls are not consuls at all. They are spies, persecutors, bribers. They are furnished with plenty of money, and they spend it freely in hiring thugs and detectives and bribing American office-holders. By the power thus gained they have repeatedly suppressed newspapers and put their editors in jail, as well as broken up political clubs of Mexicans » (Barbarous Mexico, pp. 234-235).

590.

«  “You are no a de wrider, you are de espider, and we shoota de espiders in Méjico.” » (UTV, p. 371)

591.

« Was it not then reasonable to suppose, he had hinted, without offence, and perhaps not altogether seriously, Señor Firmin was such a Consul, not, it was true, a Mexican Consul, nor of quite the same breed as those others, but an English Consul who could scarcely claim to have the interests of British trade at heart in a place where there were no British interests and no Englishmen, the less so when it was considered that England had severed diplomatic relations with Mexico? » (UTV, pp. 29-30)

Pour un résumé des rapports conflictuels entre la Grande-Bretagne et le Mexique de 1938 à 1941, voir Ackerley / MLR, N° 16, (printemps 1985), pp. 44-45.

592.

Pour d’autres renseignements sur la Ponciano Arriaga, voir Companion, note 35.6, p. 53.

593.

Ce n’est cependant pas toujours le cas. Ainsi, lorsque Hugh et Yvonne font étalage de leurs connaissances historiques, la référence à l’ouvrage de W. H. Prescott sur la conquête du Mexique (History of the Conquest of Mexico, 1842 ; réimpression, New York : Modern Library, sans date) est implicite dans le dialogue :

« “This ought to be the place, if Alcapancingo’s over there,” Hugh said, “where Bernal Díaz and his Tlaxcalans got across to beat up Quauhnahuac. Superb name for a dance band: Bernal Díaz and his Tlaxcalans … Or didn’t you get around to Prescott at the University of Hawaii?”

“Mn hm,” Yvonne said, meaning yes or no to the meaningless question, and peering down the ravine with a shudder.

“I understand it made even old Díaz swim.”

“I shouldn’t wonder.” » (UTV, 100, italiques ajoutés)

Comme l’expliquent Ackerley & Clipper, l’allusion de Hugh au vertige de Bernal Díaz provient d’une note de bas de page de Prescott dans laquelle il est dit que « his head swam so …that he scarcely knew how he got on » (Prescott, Livre VI, chapitre III, pp. 532-534) Voir Companion, note 104.4, p. 152.

Ici, le besoin de dissimuler ses sources ne s’est pas fait ressentir chez Lowry, sans doute parce que le savoir sur la conquête du Mexique est prêté aux deux protagonistes—leur discours fictionnel étant une sorte de commentaire sur le réel—et n’engage pas l’autorité de l’instance narrative, projection intratextuelle de l’auteur lui-même. En outre, il ne s’agit ici que d’allusions et non pas de phrases entières prélevées dans l’ouvrage historique de référence.

594.

Dans les années 90, ce document était conservé dans le dossier Templeton (d’après le nom d’un ami de Lowry) sous la référence «  William Templeton Papers, I-2 » Le dossier fait partie du fonds Lowry conservé à la Special Collections Division de la bibliothèque de U.B.C. à Vancouver.

595.

« Wearing a freshly pressed shirt and a pair of tweed trousers with the jacket to them Hugh had borrowed and now brought in from the porch, [the Consul] stood gazing at himself in the mirror » (UTV, p. 183, italiques ajoutés).

596.

Après avoir découvert le télégramme de Hugh (retranscrit de façon morcelée pour restituer la lecture du Consul interloqué au chapitre XII, p. 369) dans la poche du veston porté par le Consul, les policiers fascistes disent au Consul : «  “Cómo se llama ? Your name is Firmin. It say there: Firmin. It say you are Juden.” » (UTV, p. 369)

597.

Comme le résume Tiphaine Samoyault : « Dans ce cas-là, c’est le visible comme manifestation de l’hybridité qui dénote le réel : en imposant un autre langage, un autre protocole de lecture, il institue l’hétérogénéité dans le texte, reproduisant en quelque sorte celle du texte et du monde. Avec le statut de morceaux intercalaires, ni tout à fait dedans, ni tout à fait dehors, les collages permettent que se réfléchissent, au sein du texte littéraire, la fiction et le monde. » L’Intertextualité, Mémoire de la littérature (Paris : Nathan, 2001), p. 81.

598.

Suzanne Kim a analysé cet aspect du récit de manière très convaincante dans son article « Le récit piégé de Under the Volcano », Etudes Anglaises, T. XLIII, N°1 (1990), pp. 68-71.

599.

On lira avec profit les commentaires de Chris Ackerley relatifs au rôle de la « see tee emma » du câble de Hugh,--c’est-à-dire la C.T.M. (Confederación de Trabajadores de México)—et aux agissements antisémites au Mexique pendant les années trente. Voir MLR, N° 16, pp. 46-47, et Companion, note 98.2, pp. 142-143.

600.

Dans L’Écriture imitative : Pastiche, Parodie, Collage, (Paris : Nathan, 1996), p. 131, Yannick Bouillaguet énonce la différence entre les deux formes de collage : « Alors que l’insertion engendre l’effet de rupture, la juxtaposition fait glisser un discours vers un autre, qui vient se substituer à lui ».

601.

(Londres : The Cresset Press, 1937). Frederick Asals, dans son article « Lowry’s Use of Indian Sources in Under the Volcano », Journal of Modern Literature, XVI : 1, (printemps 1989), p.116 n. 5 et p. 137, explique que Lowry avait pris des notes sur cet ouvrage et que la restitution en prose des vers empruntés au Mahābhārata y figure. (Ces notes se trouvent dans le dossier Templeton 1 : 10 du fonds Lowry à U.B.C.) Toute référence ultérieure à cet article sera accompagnée de la mention Asals 89.

602.

Voir Companion, notes 129.1 et 129.2, pp. 185-186.

603.

Chris Ackerley fournit les renseignements nécessaires à l’élucidation du « mystère » que représente le second paragraphe de l’insertion en italiques : « The early drafts of Malcolm Lowry’s Under the Volcano make no reference at all to Kashmir, but at some time between 1943 and 1945 Lowry read a specific book on Kashmir and incorporated large chunks of it wholesale into his own text. That book was Francis Younghusband’s Kashmir, originally published by A. & C. Black, Ltd., London, 1909; reprinted in 1933. […] This book, a general historical, geographical and cultural survey of the State of Kashmir, gave Lowry not only general information about the valley of Kashmir and its summer capital Srinagar, but, at a surprising number of places, specific materials and details. » « The Kashmiri Elements of Under the Volcano », Notes and Queries, 228 : (4), (août 1983), pp. 331-332.

604.

Nous reproduisons ici un extrait du passage cité par Asals dans son article :

« The lake full from the recent rain lapping up to the edge of the garden. On either side of the gateway masses of Kashmir lilac. Stretching up on the mountain side on either side of the line of fountains and waterfalls which flowed down from the upper end of the garden, was a long avenue of massive chenar trees just freshly tinted with budding foliage, and at the sides and by the entrance were peach and pear and cherry now in brilliant bloom. Slowly we ascended the avenue and then from the top looked down between the great chenar trees, over the cascades falling to the lake,over the smooth green turf, over the clumps of purple iris, over the white cherry blossom and mauve lilac : the still waters of the lake: to the willows and poplars along to the edge: to the fort of HARI PARBAT, and then on to the the radiant snows now glistening more brightly, and looking more ethereal and lovely than ever before […] » (Asals 89, p. 135 ; cf. Templeton, I : 12, 1).

Asals précise (note 10, p. 135) que ce texte n’est pas l’original de Younghusband, mais la transcription de Lowry qui est quasiment littérale, à l’exception de quelques mots dont « lapping » dans la première ligne que Lowry a substitué de manière révélatrice à « lapped », sans doute dans l’optique de la transformation onirique de ce passage qu’il avait projetée.

605.

Gérard Genette définit la transmodalisation comme « toute espèce de modification apportée au mode de représentation caractéristique de l’hypotexte » (Palimpsestes, p. 323).

606.

C’est ce qu’explique Frederick Asals en substance : « Lowry […] , by substituting a dream convention, frees himself from the traditional coherence of descriptive writing. Space in his passage is annihilated; it is impossible to determine where the lilacs are in regard to the lake, and either lilacs or lake to the chenars. These now become discrete images rather than features in a landscape, defined by the motion of the verbals (“lapping,” “blowing,” “budding,” and the like) and the rapid, nervous, short-winded syntactical units, each—since we are prevented from locating them in a coherent space—seeming to replace rather than relate to the one that preceded it » (Asals 89, p. 136).

607.

« The shadow of an immense weariness stole over him … The Consul fell asleep with a crash » (UTV, p. 93).

608.

C’est l’expression qu’emploie Yannick Bouillaguet (Bouillaguet, p. 133). La distinction qu’il établit entre l’insertion et la juxtaposition lui permet de définir deux types d’effet relatifs à la pratique du collage : « L’insertion introduit une belligérance entre le texte englobant et le texte englobé, alors que la juxtaposition les place dans un rapport de coexistence pacifique » (Bouillaguet, p. 131).