Le baroquisme du Volcan

Lowry l’a dit et répété dans sa lettre adressée à Jonathan Cape : l’architecture de son roman est baroque, et plus exactement churrigueresque, c’est-à-dire d’un baroquisme mexicain exacerbé610. Dans son étude consacrée au Mexique dans la littérature anglaise, Micheline Miro montre comment l’art churrigueresque mexicain est le résultat d’une rencontre entre l’art indien et le baroque européen qui a permis à l’artiste indien de « réinventer ses dieux et de les faire figurer dans la « folie » architecturale des églises611 ». On pourrait affirmer de la même façon que Lowry, en empruntant cette métaphore architecturale, avait non seulement présent à l’esprit la macrostructure de son roman (les deux tours est et ouest qui en font partie), mais également l’essence de son art dialogique qui consiste précisément à « réinventer ses [voix] » pour les faire figurer dans la « « folie » architecturale » de son œuvre.

Comme la cathédrale de Taxco à laquelle il se réfère, son art poétique est une refonte, un alliage de discours. Ces derniers mettent en place un chassé-croisé d’allusions et de citations, une efflorescence apparemment anarchique et néanmoins contrôlée612. Ainsi, Lowry joue sur des effets de perspective et de trompe-l’œil : allusions cryptiques ou filées, fausses citations, bouquets touffus de ces deux formes d’intertextualité, qui rendent malaisée, voire impossible, toute interprétation univoque613. De la sorte, l’agencement sémantique fabriqué par Lowry débouche sur une ouverture vertigineuse de la signifiance, à la fois source d’angoisse et de jouissance. Ces deux phénomènes sont tributaires d’une tension permanente manifestée chez Lowry entre l’ouverture sémantique du texte préservée par les points de fuite et le colmatage impossible des béances par la suture de l’écriture. L’hémorragie du sens peut provoquer alors cette part d’indécidable que l’on peut déceler dans la trame textuelle du roman.

La texture lowryenne ressemble, comme il a été dit plus haut, à une toile dans laquelle sont prises et recyclées les voix littéraires ou autres qui ont frappé son œil et son oreille. Elle pourrait être définie telle que Genette le fait à propos de l’art baroque en général :

‘[…] Son génie est syncrétisme, son ordre est ouverture, son propre est de n’avoir rien en propre et de pousser à leur extrême des caractères qui sont, erratiquement, de tous les lieux et de tous les temps.614

La captation des discours chez Lowry se manifeste en effet sous la forme d’une appropriation syncrétique, cheminement paradoxalement nécessaire vers la constitution d’une identité littéraire reconnaissable. Le texte produit, quant à lui, est un composite faisant de son auteur un alchimiste du verbe.

Notes
610.

« That which may seem inorganic in itself might prove right in terms of the whole churrigueresque structure I conceived and which I hope may begin soon to loom out of the fog for you like Borda’s horrible-beautiful cathedral in Taxco. » (SL, p. 61 / CL1, p. 502). Sherrill Grace apporte les précisions suivantes : « Lowry is referring to the remarkable church of Santa Prisca in the Mexican town of Taxco. The church was built by José de la Borda between 1748 and 1758 in the ornate baroque style known as churrigueresque, after the Spanish architect José Churriguera » (CL1, n. 7, p. 528).

611.

Le Mexique et la littérature anglaise de Lawrence à Lowry, Thèse d’Etat de l’Université Paul Valéry (Montpellier III), (1988), p. 949.

612.

Josiane Paccaud-Huguet, récapitulant les effets du baroque définis par Genette, attribue la jouissance liée à cette esthétique à « une invisible mise en ordre de l’anarchie prise comme principe. » Voir « La fortune du signifiant : grammaire du post-modernisme dans Under the Volcano », De Joyce à Stoppard : Écritures de la modernité (Lyon : P.U.L., 1991), p. 212.

613.

Tel est, selon Umberto Eco, l’un des fondements de la poétique baroque : « La recherche du mouvement et du trompe-l’œil exclut la vision privilégiée, univoque, frontale, et incite le spectateur à se déplacer continuellement pour voir l’œuvre sous des aspects toujours nouveaux, comme un objet en perpétuelle transformation » L’œuvre ouverte, trad. de l’italien, (Paris : Editions du Seuil, coll. « Essais », 1965), p. 20.

614.

« D’un récit baroque », Figures II, (Paris : Editions du Seuil, coll. « Points », 1969), p. 222.