Dialogisme et alchimie

Le propre du composite est d’être « formé de plusieurs composants distincts dont l’association confère à l’ensemble des propriétés qu’aucun des composants pris séparément ne possède615 ». Telle est en effet la nature profonde du palimpseste lowryen : l’alchimie pratiquée ici est loin d’être simple juxtaposition ou extension des composants du matériau emprunté, elle les transforme pour donner naissance aux nouveaux effets de sens qui constituent ce composite. C’est dire que le dialogisme chez Lowry n’est pas réductible à un simple empilement d’échos de la parole d’autrui ; il correspond à une transmutation réussie du matériau littéraire emprunté.

Dès lors, l’image du magicien noir évoquée par Shelley dans Alastor acquiert une portée extradiégétique. Au-delà d’un fantasme de dé-création consulaire, elle devient la métaphore séminale de l’art poétique de Lowry. Il n’est pas inutile de rappeler ici les vers de Shelley :

‘O, that the dream’ ‘Of dark magician in his visioned cave,’ ‘Raking the cinders of a crucible’ ‘For life and power, even when his feeble hand’ ‘Shakes in its last decay, were the true law’ ‘Of this so lovely world! (Alastor, 681-686/ Norton, p. 86)’

Le magicien noir du poème de Shelley ranime les cendres dans son creuset ; Lowry réactive les mots enfouis dans son texte pour leur redonner vie et puissance. La force du texte lowryen dépasse en effet de loin les velléités alchimistes de son représentant diégétique : si les voix du Consul s’éteignent avec lui (« the true end of this so lousy world », UTV, 202, italiques ajoutés), celles de Lowry, conformément à sa loi esthétique (« the true law of this so lovely world »), se perpétuent dans un flamboiement vivace.

Notes
615.

Définition proposée par Le Petit Larousse (Grand format), (1996), p 252 a 3.