Université Lumière – Lyon 2
U.F.R de sciences sociales
Thèse pour l’obtention du diplôme de doctorat
En sciences de l’éducation
Contribution aux effets du genre de l’enseignant en EPS
Etude descriptive dans trois APSA : gymnastique, badminton, handball
Sous la direction du professeur Michel Develay
Thèse soutenue le 9 décembre 2005
Membres du jury :
Amade-Escot Chantal, professeure en Sciences de l’Education, Université de Toulouse
Anaut Marie, professeure en Sciences de l’Education, Université Lyon 2
Cogérino Geneviève, professeure en STAPS, Université d’Amiens
Develay Michel, professeur en Science de l’Education, Université Lyon 2
Terret Thierry, professeur en STAPS, Université Lyon 1

Prologue

Enfant, vers huit ans, il me souvient avoir eu la révélation qu’être un garçon comportait plus d’avantage que d’être une fille. Je pouvais facilement établir la comparaison entre les « corvées » qui m’incombaient et l’impunité de mon frère cadet. Pour autant, il était hors de question de renoncer à être une fille. Je souhaitais toujours me comporter en fille pour ce qui était avantageux : me faire consoler par mes parents de mes larmes fréquentes, être raisonnable, agréable aux autres, mais dans le même temps être libre de courir, grimper aux arbres qui étaient mon refuge pour de longues lectures en toute tranquillité, être indépendante. Mes petits plaisirs préférés étaient la lecture, les jeux de mains avec papa, la course en survitesse quand il me faisait parcourir l’allée en me tenant la main, me permettant de réaliser de formidables bonds de géant qui me mettaient en joie.

Adolescente, j’abandonnai la danse, pour me tourner vers le judo dans une petite structure rurale, où le manque de filles me permettait de combattre avec de grands gaillards qui après m’avoir facilement fait chuter se retrouvaient vaincus par un étranglement ou un armlock ce qui m’assurait une victoire savoureuse. Au cours de la même période, je jouais avec les garçons du village à des jeux de rugby dans le pré d’en face, jeux pour lesquels le ballon n’était qu’un prétexte à des placages et des empilements de corps dont les coups n’étaient pas exempts.

Au lycée, lorsque j’annonçai à ma « prof » d’EPS. mon désir de faire des études en Education Physique, elle me rit au nez en me rétorquant que je ne réussirais pas car je ne savais même pas lancer le poids (il est vrai que je n’ai pas le gabarit d’une lanceuse !). Je m’en trouvai dépitée mais après avoir tenté ma chance au concours d’entrée et réussi, je parcourus la formation avec un enthousiasme et un plaisir constant. Le mélange des cours me convenait particulièrement. La psychologie m’intéressait autant que la physiologie, les pratiques sportives constituaient pour mes camarades et moi-même de grands moments de détente et de convivialité malgré le niveau d’exigence physique.

Jeune enseignante motivée, je lisais régulièrement la Revue EP.S ; l’article de Davisse et Volondat 1 attira mon attention sur les difficultés que pouvaient ressentir les filles dans cette discipline qu’en tant que femme j’aimais enseigner. Cette position des filles me paraissait dévoiler une injustice, cependant je constatais parallèlement que toutes mes élèves ne s’investissaient pas comme je l’aurais souhaité. Après tout, était-il si important qu’elles fussent des sportives dynamiques, alors qu’elles apportaient des réflexions intéressantes et de grands moments de conversation lors des nombreux déplacements sur les lieux de pratiques ? Je n’enfourchai pas ce cheval de bataille, tout en conservant ce constat en mémoire. Mais je ne pouvais m’empêcher de me rengorger lorsque l’une d’elle me confiait en aparté : « madame grâce à vous j’ai eu envie de faire du sport et je me suis inscrite dans un club ».

L’EPS se différencie des autres disciplines enseignées à l’école par la configuration des lieux de sa pratique. Souvent, il est nécessaire de se déplacer pour s’y rendre, ce qui procure l’occasion de mouvements collectifs et de discussions entre les élèves, bien sûr, mais aussi entre l’enseignant et les élèves. D’autre part, les lieux de pratiques sont des lieux ouverts, si ce n’est à ciel ouvert comme le sont tous les terrains d’extérieurs sur lesquels la classe et son enseignant sont amenés à faire face ensemble aux intempéries, du moins ouverts aux autres : le transit des autres classes après le passage aux vestiaires, ou au local à matériel, quand ce n’est pas directement le partage du gymnase entre une ou plusieurs classes simultanément. Cette particularité provoque et permet le regard des autres : les élèves des autres classes sont immanquablement beaucoup plus intéressés par les pratiques ou les événements occupant les classes voisines que par ce que leur propose leur propre enseignant ! L’enseignant également est amené(e) à observer, ou à prendre en compte les actions de son (sa) collègue afin d’adapter le déroulement de son propre cours : les moments d’explication sont plus efficaces et moins épuisants quand les classes sont arrêtées simultanément. C’est l’occasion à la fin des cours de discussion entre collègues sur les ambiances de classe, les contenus abordés, les gênes donnant parfois lieux à conflit… Ayant fréquemment changé d’affectations, j’ai eu l’occasion d’aborder de nombreuses situations d’enseignement simultanées faisant émerger progressivement un questionnement sur la relation entre le sexe de l’enseignant et sa façon d’enseigner l’EPS. Pourquoi lorsqu’ untel partageait le gymnase avec moi, notre juxtaposition se passait de telle manière et avec unetelle d’une autre façon ? Pourquoi lui, proposait-il telles situations à ses élèves, et moi telles autres alors que nous avions défini collectivement un cadre commun ? Pourquoi lui, proposait-il à ses élèves du rugby et elle de la danse rock ? Le sexe de l’enseignant me paraissait investi d’un effet particulier sur l’enseignement et j’aboutis à la question : en EPS, entre les enseignants hommes et les enseignantes femmes qu’est-ce qui est différent ? Pas uniquement différent, peut-être aussi semblable ?

Notes
1.

Davisse, A. et Volondat, M. (1986). Mixité, pédagogie des différences et didactique.Revue EPS, 206, 53-56.