Introduction. Contribution aux effets du genre : qu’est-ce à dire ?

Les profanes de la question pourraient demeurer perplexes face à ce titre. De quoi allons-nous parler ? Genre, qu’est-ce à dire ?

Mauvais genre 2 , drôle de genre, se donner un genre, nouveau genre ?

Dans le domaine de l’art, les œuvres sont classées par genre.

Les grammairiens pensent immédiatement au genre des noms classés en masculin, en féminin ou neutre pour certaines langues.

Les naturalistes classent également les animaux en divers genres.

Ce terme paraît largement en usage et démontre un phénomène de catégorisation, cependant aucune des expressions précédentes ne nous renseigne sur l’objet de notre étude. Un détour s’avère nécessaire afin de mieux nous faire comprendre. Le genre est en effet issu d’un phénomène de catégorisation dont deux voies sont exploitables.

La dimension naturaliste octroie à l’espèce humaine le sexe désigné sur un mode binaire en « mâle » et « femelle ». Ses différences sont attestées physiquement par la perception visible d’organes génitaux externes. Au moment de la maturité sexuelle, ces attributs se doublent de caractères secondaires qui confirment le sexe de l’individu. Cette naturalisation des individus exclut toute manifestation hors de ces normes biologiques pourtant pas toujours aisées à définir (Badinter, 1992) 3 .

La dimension environnementaliste part du postulat que l’identité « mâle » ou « femelle » se construit dès le plus jeune âge et se transmet socialement. Le genre s’exprime alors suivant de multiples compositions tirant du masculin et/ou du féminin des attributs sociaux, valeurs, représentations, rôles…. Les combinaisons multiples fondent l’identité de l’individu et l’inscrivent socialement. Le genre s’exprime en termes de masculin et de féminin auxquels s’adjoignent tous les assemblages possibles tirant de l’un ou de l’autre genre toute une gamme de bisexualités confirmées tout autant par la psychanalyse que par les nouvelles données de la biologie 4 . Ces compositions genrées orientent la modélisation sexuée vers un mode ternaire. Ce procédé instaure dans l’espace social, des hommes à identité masculine ou féminine, des femmes à identité féminine ou masculine. Ces modalités permettent d’inscrire la dimension sexuée de l’identité dans le rôle essentiel d’une meilleure communication, d’une meilleure compréhension de l’autre genre, d’une médiation entre toutes les personnes humaines.

Notre objet de recherche ne s’attache pas à définir des propriétés de genre, cela a été réalisé au sein des gender studies notamment par les courants féministes originaires des Etats-Unis et se poursuit actuellement en France. Notre étude concerne un objet beaucoup plus restreint, inséré dans un contexte particulier : celui de l’école et à proprement parler celui de notre discipline d’enseignement : l’Education Physique et Sportive (EPS).

Par cette inscription, c’est une recherche impliquée qui s’appuie sur un vécu, un ressenti, des expériences personnelles et professionnelles.

La question de départ émanait de situations vécues sur le terrain en comparant ma propre pratique à celle d’autres collègues hommes et femmes. Intuitivement quelque chose de l’ordre du sexe de l’enseignant paraissait avoir des implications dans la manière d’enseigner. Par exemple certaines enseignantes modifiaient les Activités Physiques Sportives et Artistiques (APSA) du programme annuel quand celles-ci étaient masculines (football, rugby, combat) prétextant qu’elles n’avaient pas été formées pour enseigner ces activités, par contre elles aimaient initier les élèves à la danse alors que les hommes s’y refusaient catégoriquement. Nous avons démarré des recherches exploratoires qui ont abouti à préciser cette interrogation d’origine en l’orientant non plus sur le sexe mais sur le genre. En effet, certaines collègues enseignaient plutôt comme des hommes alors que ce n’était pas le cas pour d’autres et vice versa. Une femme pouvait montrer une certaine facilité à faire autorité sur les élèves, même les garçons les plus turbulents, alors que pour d’autres un brouhaha permanent dominait l’ambiance de classe. S’agissait-il d’une corrélation avec une certaine orientation sexuelle ? Une façon d’être plutôt masculine ou plutôt féminine ? A partir de ce questionnement, l’emploi du concept de genre s’est avéré approprié au décodage de notre objet d’étude sur l’enseignant en EPS.

Notre objet de recherche est d’examiner dans un but descriptif l’enseignement en EPS en tentant de faire émerger des différences et/ou des similitudes selon le genre de l’enseignant 5 . A travers les contenus, les interactions, la gestion pédagogique des élèves, l’enseignant dévoile-t-il des indices spécifiquement liés à son genre ?

Nos observations débutent par la conception même du sport qui valorise le corps masculin au détriment du corps féminin et dont les valeurs les plus prisées débordent d’exploits et de performances. Dès lors les femmes ont du mal à accéder au sport parce que de multiples obstacles se dressent devant elles : de la gestion du temps libre, des représentations du corps et du sport, à l’accès aux installations ou à l’accueil qui leur est réservé. Par contrecoup certaines activités sportives paraissent plus accessibles à la pratique des hommes et d’autres à celle des femmes. Ayant partie liée avec le champ sportif, l’EPS reproduit cette catégorisation féminine/masculine des activités, les élèves se retrouvent-ils à égalité d’accès si l’on considère le poids de ces connotations ? L’approfondissement de trois APSA apportera des éléments de réponse.

A partir de la sélection des activités physiques sportives et artistiques le professeur définit des choix de contenus qu’il met en œuvre dans son enseignement. Ces sélections effectuées librement permettent l’expression de ses caractéristiques personnelles et notamment celles du genre. Dès la programmation annuelle des activités sélectionnées comme support de l’enseignement d’EPS, on peut remarquer la tendance de chaque enseignant à choisir les activités qui lui conviennent le mieux et qui peuvent être identifiées comme étant plutôt appropriées à un sexe ou à l’autre. Les valeurs sous-tendues par le genre tendent-elles à être dominées par le pôle masculin par référence au sport ou sont-elles différenciées suivant la connotation de l’APSA ? Enseigner une APSA féminine tendrait alors à proposer des contenus comprenant davantage de valeurs féminines alors qu’enseigner une APSA masculine produirait l’effet inverse.

Poursuivant notre raisonnement sur d’autres paramètres de l’acte d’enseignement, comme la qualité des interactions échangées entre l’enseignant et les élèves, celles-ci sont-elles différentes suivant le genre de l’enseignant et le sexe de l’élève ? Est-ce que les enseignants masculins favorisent un certain type d’interaction et les enseignants féminins un autre type ? Ces types d’interactions donnent-ils des renseignements différents selon le sexe des élèves ?

Ces interactions peuvent s’exprimer sur le mode verbal et/ou non verbal. Quelles sont les modalités d’expression des enseignants masculins par rapport aux enseignants féminins ? Le rapport à l’élève et au corps sont-ils de même nature ?

Enfin, l’ambiance de la classe, l’autorité et le contrôle des élèves peuvent-ils être orientés par les valeurs du genre ? Les classes des enseignants masculins sont-elles plus silencieuses, plus respectueuses de l’autorité que les classes des enseignants féminins ? Ces dernières présentent-elles des aspects plus maternants, plus relationnels ?

Cet ensemble de questions fait apparaître les différents paramètres (contenus, interactions, communication verbale et non verbale, univers de la classe) que nous allons explorer dans notre travail.

A partir des interrogations qui précèdent, l’hypothèse suivante est convoquée :

A travers les différents paramètres par lesquels il module son enseignement, l’enseignant fait émerger des valeurs liées au genre.

Ces valeurs sont différentes suivant le groupe de genre 6 dans lequel l’enseignant a été classé. Selon l’orientation du groupe par rapport aux deux pôles féminin et masculin, elles sont tantôt en adéquation avec des valeurs féminines, masculines ou simultanément féminines et masculines.

A partir de cette hypothèse, on suppose que chaque genre dégage une certaine cohérence de groupe selon des valeurs réparties sur la polarité féminine/ masculine.

Quatre parties structurent notre exposé.

La recherche d’une grille qui permette de discriminer le masculin et le féminin et s’appuie sur les stéréotypes. La recherche d’une grille de décodage des interactions qui prenne en compte la question du genre et englobe les indicateurs des contenus et de l’univers de l’enseignant. Le décompte des interactions en nombre et en durée ainsi que les repères statistiques qui en découlent.

Elle est essentiellement à orientation qualitative ne comprenant que quelques repères quantitatifs concernant les interactions. Tout d’abord, les trois activités supports de la recherche seront présentées d’après la considération de la nature de chacune. Puis nous proposerons les résultats sur le thème des contenus, des interactions et de l’univers de l’enseignant. Nous rechercherons de manière synthétique pour chaque groupe les différences et les similitudes en termes de manifestation du genre. Enfin nous inviterons à l’ouverture de perspectives sur le thème du genre.

Notes
2.

Rogers, R. (Ed.). (2004). La mixité dans l’éducation. Enjeux passés et présents. Lyon : ENS. (p.13).

3.

Badinter, E. (1992). XY de l’identité masculine. Paris : Odile Jacob.

4.

Doray, B. (2004). Connaître le pays de l’autre genre ! Contre pied, 15, 32-34.

5.

Nous indiquons par la parenthèse l’importance que nous accordons à l’expression féminine des noms génériques traditionnellement masculins. Cependant l’usage de cette forme écrite alourdit considérablement le propos, c’est pourquoi nous ne conserverons que le terme générique d’ « enseignant » par lequel vous voudrez bien comprendre que nous y entendons également la forme féminine qui s’y trouve tacitement formulée.

6.

Le genre se décline en différents groupes selon l’adhésion aux valeurs de masculinité et de féminité. Il se catégorise en quatre groupes : masculin, androgyne, non différencié et féminin. Au sein de chaque groupe de genre les individus peuvent être des hommes ou des femmes.