Chapitre 1. Du principe de mixité au constat des inégalités

« La mixité n’est pas une valeur. […]
c’est une expérience propre à l’espace démocratique. »
(Fraisse, 2004) 7 .

Depuis une cinquantaine d’années la mixité est une réalité scolaire. Prônée au début du vingtième siècle par les instituteurs à des fins de coéducation, elle fait aujourd’hui l’objet de critiques parfois enflammées. Ecole mixte ou école non mixte, le débat peut-il connaître une fin ? La seule finalité envisageable pour l’école serait-elle l’utopie d’une harmonie sociale des enfants des deux sexes ?

La mixité s’inscrit dans un débat récurrent. Elle pose problème à l’école en général, mais les complications qu’elle génère sont exacerbées en EPS. A l’école, la mixité ne va pas tellement de soi. En mixité rien n’est simple ! Le principe même relève d’une contradiction. D’une part, l’institution a généralisé l’éducation commune des sexes dans les établissements sans évaluer en profondeur les bouleversements qu’elle provoquerait, d’autre part, les sociologues mettent en évidence que les modes de la sociabilité enfantine encouragent la séparation des sexes. Ce mode est même « premier par rapport à l’expérience de mixité qui s’impose dans les classes » (Zaidman, 1996) 8 . Appliquée au système scolaire, la mixité entraîne des conséquences dommageables pour les filles comme pour les garçons (Baudelot et Establet, 1993 9  ; Durut-Bellat, 1990 10 , Fize, 2003 11 ). Pour ces auteurs, certes il faut protéger les filles mais aussi sauver les garçons (Flahaut, 2004) 12 . En une quinzaine d’années, les recherches sur la mixité dans les établissements scolaires ont évolué. Partis des constats sur les inégalités entre les sexes, les travaux actuels mettent en avant les difficultés des garçons (Duru-Bellat, 2004) 13 . Les recherches anglo-saxonnes sur les « masculinities » ont montré que la construction du masculin pose, en définitive, autant de problèmes que celle du féminin et qu’il faut donc sauver les garçons … d’eux même. Par contrecoup, les filles passent au second plan et l’on finit par penser qu’elles ont moins de problèmes à l’école d’autant que ce sont elles qui y réussissent le mieux. Ces conceptions sont montrées du doigt par les chercheuses féministes comme tenant d’une idéologie conservatrice et d’un discours masculiniste cherchant à masquer les inégalités qui perdurent (Bouchard, 2002) 14 .

En définitive, la mixité demeure une notion floue 15 , pourtant la littérature est prolixe sur ce thème depuis déjà une cinquantaine d’années. Chaque auteur confronte les représentations et les comportements liés à la mixité des pratiques sociales avec ceux de l’école 16 . Les discours se succèdent mais les recherches sont rares 17 .On peut parler d’un paradoxe à la française : la sociologie s’interroge depuis plus de vingt ans sur les effets de la mixité sociale et montre que le collège unique ne pallie pas ce type d’inégalités mais elle ne s’intéresse pas à la mixité des sexes (Mosconi, 2004) 18 .

L’idée de mixité finit par apparaître comme un allant de soi, pourtant, elle est en réalité peu fondée. Initialement, elle a été justifiée par l’idée de démocratie à travers les valeurs de liberté et d’égalité 19 , par la possibilité qu’elle peut offrir en favorisant de bonnes relations entre les sexes. Mais ce principe est contestable : d’une part, il ne suffit pas de juxtaposer les filles et les garçons dans un même lieu pour qu’ils acquièrent spontanément une compréhension mutuelle, d’autre part, les enseignants sont parfois réticents à ce rapprochement des sexes. Au milieu du vingtième siècle toutes les écoles françaises ont été soumises à l’obligation de mixité. Considérée lors de son instauration comme une victoire démocratique et républicaine dans un pays enclin aux valeurs humanistes du « mélange » (des cultures, des sexes, des ethnies…) : cinquante années plus tard elle est pointée du doigt par les chercheurs qui relèvent les inégalités qu’elle produit pour les élèves selon leur sexe.

« Force est de constater que, des décennies après son instauration, la mixité n’a pas rempli la fonction égalitaire qui lui était assignée […] » (Lepoix, 2004) 20 .

Pourtant, l’éducation nationale, par les programmes du 22 juillet 1982, tenait une position assurée qui consiste à affirmer que le rôle de l’école est bien « d’assumer la pleine égalité des chances entre filles et garçons par la lutte contre les préjugés sexistes ». La mixité constitue une chance et contribue à améliorer les relations entre les deux sexes dès l’accès à la scolarité.

Ainsi nous faut-il d’abord discuter les a priori fondateurs de ce choix d’organisation de l’école à travers deux évidences interrogatives :

  • La mixité est-elle un gage de non domination d’un sexe sur l’autre, que nous traduirons par : la mixité rime-t-elle avec neutralité ?
  • La mixité est-elle synonyme d’égalité de traitement entre les sexes ? Y a-t-il une corrélation forte entre mixité et égalité ?

Dans le cadre de l’EPS comment la mixité est-elle prise en compte ? Dans notre discipline une difficulté supplémentaire non négligeable dans cette problématique surgit : apprendre avec son corps.

Notes
7.

Fraisse, G. (2004). Que pensez d’une évidence ? Revue Contre pied, 15. (p.63).

8.

Zaidman, C. (1996). La mixité à l’école primaire. Paris : L’Harmattan.

9.

Baudelot, C. et Establet, R. (1993). Allez les filles ! Paris : Points Actuels.

10.

Duru-Bellat, M. (1990). L’école des filles. Quelle formation pour quels rôles sociaux ? Paris : L’Harmattan.

11.

Fize, M. (2003). Les pièges de la mixité scolaire. Paris : La Renaissance.

12.

Flahaut, F. (2004). Sauver les garçons et protéger les filles. Journée débat « Les filles et les garçons sont-ils éduqués ensemble ? » IUFM de Lyon. 22/ 09/ 2004. (Notes personnelles).

13.

Duru-Bellat, M. (2004). Ecole de garçons, école de filles… .In Les filles et les garçons sont-ils éduqués ensemble ? Diversité, 138, 65-72.

14.

Bouchard, P. (2002). Faire réussir les garçons ou en finir avec le féminisme ? Site Internet Sisyphe.org

15.

Zaidman, C. (1992). Présentation. In C. Baudoux et C. Zaidman (Eds.), Egalité entre les sexes. Mixité et démocratie. Paris : L’Harmattan. (p.9).

16.

Zaidman, C. (1992). Idem.

17.

Cogérino, G. (2004). Beaucoup de discours, peu de recherches. Contre pied, 15 , La mixité en question, pp. 6-8. Par exemple Cogérino identifie seulement 3 recherches de doctorat en EPS sur ce thème: Volondat (1979), Artus (1999), Perez (2001).

18.

Mosconi N. (2004). Conclusion. In R. Rogers. (Ed.), La mixité dans l’éducation. Enjeux passés et présents. (pp. 195-205). Lyon : ENS.

19.

Mosconi, N.(2004). Idem.

20.

Lepoix, J-P. (2004). Garçons-filles : de la diversité à la communauté d’intérêt. Contre pied, 15 , (p.2).