I.2. L’école semble construite sur des valeurs masculines.

Historiquement, les garçons ont eu accès à l’école avant les filles, même si au XVIIème siècle les jeunes filles de la bourgeoisie pouvaient recevoir un enseignement. En France au XIXème siècle la ségrégation des sexes est une norme qui relève de la conséquence de la « bataille » de l’Eglise contre la mixité 25 . Les classes ne sont mixtes que par nécessité dans les zones rurales, cependant, les manuels des filles et des garçons sont différents. Le XXème siècle marque l’ouverture aux filles des disciplines et des établissements de garçons. En 1922 une circulaire du ministre de l’Instruction publique Léon Bérard autorise la présence des filles dans les classes de première et de philosophie des lycées de garçons, puis dans les autres niveaux du second cycle. 26 Certes le XXème siècle signe avec la scolarisation massive des filles, l’accès des femmes à la parole théorique, littéraire et artistique (Thébaud, 1992) 27 , cependant en 1965, une inspectrice générale souligne que l’enseignement dispensé dans les lycées mixtes est calqué sur celui des garçons.

Dans l’enseignement secondaire mixte, l’expérience des deux sexes n’est pas prise en compte à égalité. C’est en général l’expérience masculine qui sert de référent dans les différentes disciplines alors que l’expérience féminine est peu prise en compte (Mosconi, 1994) 28 . Les savoirs sont historiquement marqués par les stéréotypes ainsi que le démontre Le Doeuff (1998) 29 . Etre une « femme savante » relève du ridicule et ne paraît pas compatible avec l’idée d’une « nature » féminine. Les manières de penser et les savoirs auxquels les femmes ont accès sont ceux dont les hommes ne veulent plus et qui sont alors dévalorisés, déclassés. Par exemple, l’intuition, faculté de connaissance supérieure au XVIIIème siècle devient une spécialité féminine qui s’oppose à la rationalité du concept que construit la philosophie (discipline masculine).

De la même manière les femmes peuvent avoir accès au savoir rationnel mais pas à l’autonomie critique pour devenir « sujet connaissant », elles doivent se contenter d’acquérir ce qui est déjà connu. Par ces mécanismes, les femmes scientifiques et philosophes qui se sont historiquement affirmées par leurs pensées et leurs écrits sont effacées de la mémoire collective et des manuels scolaires 30 . L’étude de la place des femmes en histoire montre que ces dernières sont perdantes au niveau de leur citation au premier plan de l’engagement politique, intellectuel ou artistique. L’engagement des femmes dans leur accès à la démocratie est effacé au profit de l’universalisme du cheminement masculin, le suffrage universel masculin devient le synonyme d’une démocratie achevée que les femmes françaises (patrie de l’humanisme et de la liberté) attendront jusqu’en 1948. Le marquage des rôles de sexe se met en place dès l’école primaire à travers les livres de lecture au CP (Paly, 1999) 31 . Les héros sont typés de manière caricaturale selon des critères masculins ou féminins, les métiers des parents et leurs rôles sont également différenciés et correspondent aux stéréotypes sociaux. La mère fait le ménage, la cuisine et s’occupe des enfants pendant que le père lit ou bricole dans son atelier.

Actuellement, certains courants essentiellement situés dans les pays anglo-saxons remettent clairement en cause la mixité. Ils tentent de nouvelles expériences de séparation des sexes pour protéger les élèves de ces difficultés de cohabitation et pour mieux adapter l’enseignement dispensé aux caractéristiques de chaque sexe.

Du côté français, il semblerait que l’on soit à la recherche d’une autre alternative, conciliant des moments et des lieux où l’on pourrait jouer sur la présence des sexes « ensemble-séparés ». C’est une version restreinte de la gestion de la mixité qui est ainsi mise en place ; elle consiste à proposer aux deux sexes soit des activités différentes, soit les mêmes activités avec des règles différentes, souvent simplifiées pour les filles. Sans être un véritable retour en arrière, cette gestion évite le problème mais ne constitue qu’une forme d’accommodation :

« Reconduire les rôles masculins et féminins en séparant les sexes est une solution négative à un problème urgent » (Fraisse, 1998).

Un espoir demeure, utopique peut-être, défendu par des mouvements de femmes : « […] proposition d’une vision de la mixité scolaire où se croiseraient la tête et le corps, l’identité des êtres humains comme êtres de raison et la différence des corps comme corps sexualisés et sexués » (Fraisse, 1998) 32 . Considérer enfin les filles et les garçons selon leurs caractéristiques individuelles et différentielles permettrait de franchir un nouveau pas. Si la mixité n’est pas une garantie de l’égalité c’est un seuil à partir duquel elle peut s’engager « un seuil d’idéal et d’expérience » (Fraisse, 2004).

Pourtant il faut se rendre à l’évidence, le constat de l’égalité au sein de l’école mixte n’est pas positif ; les chercheurs sont nombreux à faire apparaître les inégalités qui frappent les élèves selon une discrimination sexuée. Les enseignants n’ont pas souvent conscience des biais que leurs propres stéréotypes introduisent à la fois dans la perception des comportements des jeunes et dans la perception de leurs propres interventions, la plupart pensent intervenir de la même manière avec les filles et les garçons et avoir des attitudes et des réactions identiques. Une prise de conscience de la réalité de l’oppression des filles n’entraîne pas automatiquement une transformation suffisante des pratiques pédagogiques (Forest, 1992) 33 . Duru-Bellat (1994) 34 montre que les filles sont moins valorisées tout au long de leur parcours scolaire et cette insuffisance se traduit au final par le choix d’orientation dans des filières moins valorisées (para-médical, littéraire…), plus courtes, alors que paradoxalement elles sont en plus grande réussite que les garçons. La littérature scientifique sur ce thème est émaillée de constats de ce type.

Notes
25.

Thébaud, F. et Zancharini-Fournel, M. (2003). Editorial. In F. Thébaud et M. Zancharini-Fournel, Coéducation et mixité. CLIO, Histoire, Femmes et Sociétés, 18, 11-19.

26.

Zancarini-Fournel, M. (2004). Coéducation, gémination, co-instruction, mixité : débats dans l’Education nationale (1882-1976). In R. Rogers (Ed.), La mixité dans l’éducation. Enjeux passés et présents, (pp. 25-32). Lyon : ENS.

27.

Thébaud, F. (1992).Introduction au chapitre 9. In F. Thébaud (Ed.), Histoire des femmes en occident. Le XX ème siècle. Paris : Plon.

28.

Mosconi, N. (1994). Femmes et savoir. La société, l’école et la division sexuelle des savoirs. Paris : L’Harmattan, collection savoir et formation. (p.221).

29.

Le Doeuff, M. (1998). Le sexe du savoir. Paris : Aubier.

30.

Mosconi, N. (1999). Michèle Le Doeuff, le sexe du savoir. Les cahiers pédagogiques, 372, (p.19).

31.

Paly, P. (1999). Manuels de lecture : que font les filles, où sont les femmes ? Les cahiers pédagogiques, 372, 44-45.

32.

Fraisse, G. (1998). Préface. In A. Davisse et C. Louveau. Sport, Ecole, Société : la différence des sexes. Paris : L’Harmattan.

33.

Forest, L. (1992). L’école primaire « mixte » : une école pour les filles, une école pour les garçons. In C. Baudoux et C. Zaidman. Egalité entre les sexes. Mixité et démocratie. (pp. 41-62). Paris : L’Harmattan.

34.

Duru-Bellat, M. (1994).Filles et garçons à l’école. Revue Française de Pédagogie, 109 et 110.